L. 1010.  >
À Charles Spon,
le 23 octobre 1671

Monsieur, [a][1]

Après vous avoir salué très humblement, je vous dirai que j’ai reçu par l’ordre de mon Carolus, [2] qui est présentement en Hollande, l’obligation de M. Virelle [3] (vous savez bien ce que c’est que cette affaire). Il a désiré que je vous l’envoie, ce que je fais présentement, afin que, ledit M. Virelle étant par vous averti que vous ayez cette obligation, il s’adresse à vous pour la retirer de vos mains en vous délivrant la somme y contenue ; et voilà de quoi je vous supplie aujourd’hui. [1] Nous n’avons ici aucune nouvelle à vous mander. On dit seulement que le mariage est accordé entre M. le duc d’Orléans [4] et la princesse palatine, [5] fille de M. l’électeur palatin [6] qui demeure à Heidelberg. [7] C’est M. le maréchal Du Plessis-Praslin, [8] jadis gouverneur de M. le duc d’Orléans, qui fait le voyage en Allemagne. Le roi [9] n’a encore nommé personne pro comitiva archiatra ; [2] mais on a supprimé et retranché plusieurs articles dont le défunt [10] faisait ses intérêts aux dépens des pauvres chirurgiens [11] de la campagne, qui était une horrible vexation, si je ne dis tyrannique usurpation d’un homme qui était un grand larron, aussi bien qu’il n’a jamais été qu’un très grand et effronté charlatan en son métier ; encore dit-on qu’il n’était guère riche quand il est mort. Futurum eius successorem nemo novit[3] L’opinion commune le donne à M. Brayer [12] qui a déjà 100 000 livres de rente, ce sera pour vérifier Martial [13] qui a dit Dantur opes nullis nunc nisi divitibus[4] Eusèbe Renaudot [14] a été fort malade, mais il a été confessé et communié avec tant de dévotion qu’il en est enfin réchappé. Nous sommes dans le siècle des tartuffes, stulta superstitio dominatur in omnibus ; [5] il n’y a métier que ces gens-là ne fassent pour un peu d’argent, pro turpi lucello, nec abstinent a fraudibus artis innocentissimæ[6] M. Colbert, [15] intendant en Alsace, est premier président à Metz ; [16] M. Colbert, frère du grand Colbert, [17] est évêque d’Auxerre. [7][18][19] Il vient au roi un régiment de cavalerie d’Afrique, ce sont des Nègres qu’un certain roi d’Afrique nous envoie. [20] Le roi en son Conseil d’en haut [21] a ordonné que l’on mette en liberté tous ceux qui se trouveront en prison pour soupçon de magie et de sorcellerie. [8][22]

Vale et me ama. Tuus ex animo, Guido Patin[9]

De Paris, ce 23e d’octobre 1671.


a.

Ms BnF no 9357, fo 374, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; à côté de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1671./ Paris, 23 octob./ Lyon, le 1er novemb./ Risp./Adi 30 dudit,/ avec une incluse/ de Mlle Huguetan. »

1.

Il a pour la première fois été question de cette dette de M. Virelle, avocat provençal, à l’égard de Charles Patin, au début de la lettre à Charles Spon datée du 22 juin 1668 (v. sa note [2]).

2.

« pour la dignité d’archiatre [premier médecin] ».

3.

« Personne ne sait qui sera son successeur. »

4.

« Les trésors aujourd’hui ne se donnent qu’aux riches » (v. note [23], lettre 822). Nicolas Brayer (v. note [2], lettre 111) n’a pas succédé à Antoine Vallot dans la charge de premier médecin du roi : v. note [2], lettre 1005.

Guy Patin avait tort de dénigrer ainsi son riche collègue : en novembre 1672, quand la mort de Patin eut plongé sa veuve dans la nécessité, Brayer allait déterminer la Compagnie des docteurs régents à cotiser pour lui servir une rente trimestrielle de 50 livres (v. note [2] de Comment le mariage et la mort de Robert Patin ont causé la ruine de Guy).

5.

« la sotte superstition règne sur toutes choses ». Guy Patin se délectait à nouveau du mot « tartuffe » (v. note [2], lettre 963), mis en vogue par Molière.

6.

« pour quelque petit profit honteux, et ils ne s’abstiennent pas des fourberies du plus innocent des arts. »

7.

V. note [4], lettre 1009, pour Charles et Nicolas Colbert. Guy Patin persistait à ne considérer que Nicolas comme frère du ministre, Jean-Baptiste.

8.

Voltaire, Le Siècle de Louis xiv, chapitre xxxi (page 1000) :

« L’esprit de sagesse et de critique, qui se communiquait de proche en proche, détruisit insensiblement beaucoup de superstitions. C’est à cette raison naissante qu’on dut la déclaration du roi de 1672, qui défendit aux tribunaux d’admettre les simples accusations de sorcellerie. On ne l’eût pas osé sous Henri iv ou sous Louis xiii ; et si, depuis 1672, il y a eu encore des accusations de maléfices, les juges n’ont condamné d’ordinaire les accusés que comme des profanateurs, qui d’ailleurs employaient le poison »

9.

« Vale et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 23 octobre 1671

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(Consulté le 03/05/2024)

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