L. latine 210.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 19 septembre 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 114 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, professeur de médecine à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu la vôtre, datée du 5e d’août. Je me réjouis profondément que vous soyez en vie et vous portiez bien, et que votre Hippocrate avance, quoique lentement ; Dieu aidant, il s’achèvera enfin. L’Arétée in‑4o de notre ami Petit progresse doucement. [1][2][3][4] Vous en recevrez les premières feuilles dans un paquet que je vous enverrai prochainement par le fils de M. Vorst, [5][6] avec le livre de Fulvio Orsini, de Familiis Romanis et Numismatis, dont mon fils Charles a procuré une nouvelle édition. [2][7][8] Il y a ajouté beaucoup en examinant les monnaies qu’il a en sa possession ou qu’il a vues en divers endroits ; principalement chez le roi très-chrétien, lequel a ordonné que, pour faire son livre, toutes ses monnaies d’or et d’argent lui soient montrées. [9] Il vous envoie un exemplaire de cette nouvelle édition ; je voudrais que vous la receviez avec bienveillance en attendant que nous ayons des choses meilleures et plus précieuses à vous offrir, en récompense de tant de présents dont votre générosité nous a déjà comblés. Rangez donc en votre bibliothèque ce livre de mon fils Charles, dont la bonne disposition, les études, les travaux et les veilles me font beaucoup espérer ; surtout parce qu’il est un excellent fils, très amoureux des livres et des études, et qu’il est aimé de notre roi, et lui est même très cher. M. Bigot est parti d’ici pour Rouen ; [10] delà il s’en ira en Angleterre, avant de revenir vers nous en passant par votre Hollande et par les Pays-Bas espagnols. J’ai maintenant une autre raison de penser que vous n’avez rien à espérer de la Bibliothèque royale : [11] c’est le départ de M. Colbert, [12] abbé et docteur de Sorbonne, [13] directeur et garde de ladite Bibliothèque, qui a été nommé évêque de Luçon. [14] Voici trois mois qu’il s’en est allé dans son diocèse, mais il y a été frappé d’une très grave maladie ; il s’en est trouvé si mal que son frère, intendant des finances royales qui fut jadis secrétaire du cardinal Mazarin, [15][16] a appelé plusieurs médecins de Paris. Pour le soigner, ils seraient donc partis en hâte par la poste à cheval vers cette ville, qui est à plus de cent lieues de Paris ; ce que beaucoup des nôtres ont refusé, au nombre desquels je fus. [17] On en a enfin trouvé un seul qui est monté à cheval et a entrepris ce très pénible voyage pour aller soigner l’évêque, dont nul ne sait encore s’il va guérir et s’en reviendra bientôt à Paris. J’en déduis simplement que vous attendrez en vain quelque manuscrit que ce soit de la Bibliothèque royale. [3] Le tribunal judiciaire, entièrement composé d’hommes choisis, que le roi a établi et qu’on appelle ici la Chambre de justice, demeure en fonction. [18] C’est là que seront examinées les affaires des partisans et du prince des voleurs en personne, Nicolas Fouquet, jadis surintendant des finances. [4][19] On parle aussi beaucoup ici du différend qui s’est récemment élevé entre le roi et le pape ; [20] notre roi a ordonné que le nonce ou ambassadeur qui est chez nous sorte de son royaume, [21] et il a aussitôt obéi. Une guerre contre ce Jupiter capitolin ferait plaisir à beaucoup de gens, et plusieurs augurent mal de l’issue qu’elle aura pour lui. [5][22] Ses affaires fleuriront pourtant toujours ou du moins ne seront-elles pas misérablement anéanties, pourvu que ne s’éteigne pas pour lui le feu du purgatoire, [23] d’où tant de bonnes choses s’écoulent dans sa marmite, par l’excessive crédulité des grands de ce monde. Je salue MM. les très distingués Vorst, Stevartus, [24] Gronovius, [25] Rompf, [26] et nos autres amis.

De Paris, ce mercredi 19e de septembre 1662.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 114 vo.

1.

V. notes [11], lettre 726, pour l’Hippocrate posthume de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1665) et [3], lettre 731, pour l’édition de l’Arétée de Pierre Petit (Londres, 1726 ; mais en cours d’impression avortée à Paris chez Gabriel Cramoisy, v. note [2], lettre latine 209).

2.

V. note [11], lettre 736, pour l’édition augmentée par Charles Patin de l’ouvrage de Fulvio Orsini « sur les Familles et les monnaies romaines » (Paris, 1663, achevé d’imprimer le 7 septembre 1662).

3.

V. note [2], lettre 64, pour la nomination de Nicolas Colbert, frère de Jean-Baptiste, à la tête de la Bibliothèque royale en 1656. Son départ pour l’évêché de Luçon avait mis fin aux derniers espoirs qu’avait Guy Patin d’obtenir pour Johannes Antonides Vander Linden le rare exemplaire des œuvres d’Arétée de Cappadoce que conservait cette bibliothèque.

Nicolas Colbert survécut à sa maladie, il mourut en 1676, toujours pourvu de la charge de bibliothécaire royal (v. note [4], lettre 1009).

4.

V. note [5], lettre 715, pour la Chambre de justice (en français dans le manuscrit) créée en novembre 1661.

5.

V. note [1], lettre 735, pour l’affaire des gardes corses qui provoqua un grave différend entre le Saint-Siège et la France, et [2], lettre latine 208, pour l’expulsion du nonce apostolique, Celio Piccolomini.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 114 vo.

Cl. Viro D. Io. Ant. Vander Linden, Medicinæ Professori, Leidam.

Tuam accepi, Vir Cl. v. Augusti datam. Apprime lætor quod vivas et valeas,
et quod Hippocrates tuus, quamvis lentè, procedat : tandem, cum Deo, ad finem
perveniet. Aretæus Petiti nostri lentè currit, in 4. Primum ejus folium accipies
in fasciculo quem proximè mittam per filium D. Vorstij, cum libro Fulvij Ursini,
de familijs Romanis, et Numismatis
, cujus editionem novam promovit
filius meus Carolus, cum multis quæ superaddidit, ex inspectione multorum
Numismatum, quæ penes se habet, aut quæ vidit varijs in locis, præsertim apud
Regem Christanissimum, cujus jussu singula Numismata tam aurea quàm
argentea fuerunt illi exhibita, ad libri confectionem. Novæ hujus Editionis
unum Exemplar at Te mittit, quod benignè velim accipias, donec meliora et
pretiosiora habeamus Tibi offerenda, pro tot munerib. antehac singulari tua
liberalitate à acceptis. Reconde igitur in tua Bibliotheca librum istum Filij
mei, Caroli, de cujus bona indole, studijs, laborib. atque vigilijs plurimum spero :
eo potissimum nomine quod sit optimus filius, studiorum et libelrorum amantissimus,
et à Rege nostro dilectus, imò illi carissimus. D. Bigotius hinc abijt Rothomagum,
inde transiturus in Angliam, unde per Bataviam vestram et Belgium Hispani-
cum in ad nos est reversurus. Sed alia mihi suppetit ratio, per quam fit ut nihil
Tibi sperandum esse putem à Bibliotheca regia, per abitum D. Colbert, Abbatis ac
et Doctoris Sorbonici,
^ regiæ Bibliothecæ/ Custodis et Præfecti, qui factus est Episcopus Lucionensis ; Ille ante duos tres menses
abijt in suam diœcesim, ibiq. in morbum gravissimum incidit ; ex quo tam malè habuit,
ut plures Medici Parisienses rogati fuerint ab ejus Fratre, Quæstore regio, qui
olim fuit Card. Mazarino à Secretis, ut in eam Urbem plusquam centum leucis
à Lutetia distantem cursorijs equis properarent, ut illi Medicinam facerent, quod multi
recusarunt è nostris, ex quibus nunc quiquam numero fui : unus tandem repertus est qui statim
equum conscendit ; et ad faciendam Episcopo Medicinam, molestissimum iter suscepit : an
sit convaliturus, et in Urbem brevi reversurus, nemo adhuc novit : inde mihi facilè
in animum induco, frustra quidam ex regia Bibliotheca talium MS. à Te expectari.
Tribunal judiciarium ex tot viris selectis à Rege constitutum, quod vulgo vocatur
Chambre de Iustice, pergit in officio : illic excutiuntur negotia Publicanorum,
et ipsorum furum Principis, Nic. Fouquet, olim Gazophylacis. Hîc quoque
potissimum agitur de dissidio nuper exorto inter Regem et Papam, cujus
Nuntium seu ad nos Legatum, Rex noster è suo regno excedere jussit, et illico
paruit. Multis placeret bellum adversus istum Iovem Capitolinum, cui de belli
eventu plerique malè ominantur : cujus tamen res semper vigebunt, aut saltem
non tam miserè peribunt, modò purgatorius ignis illi non extinguatur, ex quo
tot bona in ipsius culinam defluunt, ex nimia Magnatum credulitate. Cl.
viros saluto, DD. Vorstium, Stevartum, Gronovium, Romphium, et alios amicos.
Parisijs, die Mercurij, 29.19. Sept. 1662. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 19 septembre 1662

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(Consulté le 26/04/2024)

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