À Charles Spon, le 5 février 1655

Note [5]

V. note [1], lettre 414, pour les Responsiones duæ [Deux réponses] auxquelles travaillait Jean ii Riolan contre la seconde édition augmentée des Experimenta nova anatomica… [Expériences anatomiques nouvelles…] de Jean Pecquet (Paris, 1651 et 1654, v. note [4], lettre 360).

Samuel Sorbière, sous le pseudonyme de Sebastianus Alethophilus, est l’auteur d’une lettre latine (avec passages en grec) intitulée Viro clarissimo D. Ioanni Pecqueto Med. D. celeberrimo, venarum lactearum thoracicum inventori sagacissimo, Sebastianus Alethophilus Ευτυχιαν [Sébastien l’Aléthophile (celui qui aime la vérité, alêtheia en grec) se félicite du succès (eutukhia en grec) du très brillant Jean Pecquet, très célèbre docteur en médecine, très ingénieux découvreur des lactifères thoraciques] (sans lieu ni nom, 1654, in‑8o de 17 pages) ; on la trouve aussi dans la susdite réédition des Experimenta nova anatomica… de Pecquet (pages 164‑180).

  1. Elle commence par ce récit :

    Quod nudiustertius me præsente, Pratæo nostro, Auzotio tuo, et Aquinis præstantissimis medicis adstantibus, iterasti Experimentum Vasis lacteis thoracicis demonstrandis, rem fecit adeo indubiam, Pecquete Suavissime, ut nullus deinceps ambigendi locus nec mihi, nec illis reliquantur. Visa est enim cavitas illa quæ sub duplicatura peritonæi infra mesenterij centrum latens oculos Anatomicorum hucusque fefellerat, tam manifeste, presso mesenterio, adimpleri chylo ; visus est chylus per ductus a te detectos olim in subclavias venas, et inde in cavam, atque in dextrum cordis sinum, cujus mucronem resecuera, tam aperte delabi, ut oculis nulla in posterum fides adhibenda videatur, nisi res certa, evidens, et compertissima habeatur.

    Gaudeo igitur, ex animo gaudeo, Medicinæ primum caussa, quam novo locupletasti invento, et quo quidem egebat ; quippe quæ fæde jacuerat in scholis oppressa gravi sub Magistrorum supercilio ; et amici deinde nomine, qui tam felix fuit, ut rem adeo utilem primus invenerit.

    [Quand, voilà trois jours, en ma présence, et sous les yeux de notre ami Du Prat, de votre ami Auzout et des deux éminents médecins que sont les D’Aquin, {a} vous avez reproduit l’expérience qui démontre les vaisseaux lactés du thorax, {b} elle a rendu le fait si indubitable, mon très cher Pecquet, que, ni pour moi ni pour eux, il ne reste aucun lieu d’en disputer. En effet, en pressant le mésentère, on a vu cette cavité, qui se cache sous un dédoublement du péritoine, au-dessous de la racine du mésentère, et qui avait jusqu’alors échappé au regard des anatomistes, se remplir très manifestement de chyle ; puis on l’a vu s’écouler par des canaux que vous avez jadis découverts dans les veines subclavières et, de là, dans la veine cave et dans la cavité droite du cœur, dont vous aviez coupé la pointe ; et ce si clairement que désormais, sauf à être aveugle, la chose doit être tenue pour certaine, évidente et parfaitement démontrée.

    Je me réjouis donc doublement, et du fond du cœur : d’abord, au nom de la médecine que vous avez enrichie de cette nouveauté, à qui, de toute évidence, elle manquait, bien qu’elle ait été odieusement mise à terre dans les Écoles, écrasée sous la pesante moue des maîtres ; et ensuite, au nom d’un ami qui a eu le grand bonheur d’avoir le premier mis au jour une chose si utile].

  2. Plus loin (page 172), l’énumération des partisans de Pecquet ne manque pas d’intérêt, mais elle dut fort déplaire à Jean ii Riolan :

    superest adhuc, Deo bene propitio, Bartholinus, Conringius, Patinus, Sponius, Mentellius, Pratæus, et supersunt alij diligentiæ tuæ æmuli, per quos sperare licet quid lucis uberioris affulsurum.

    [Vivent encore, Dieu merci, Bartholin, Conring, Patin, Spon, Mentel, {c} Du Prat et d’autres émules de votre application à chercher, grâce à qui il est permis d’espérer qu’un jour brillera quelque éclat d’une lumière plus vive encore].

  3. La fin (page 180) est une attaque en règle contre Jan van Horne, professeur d’anatomie et de chirurgie à Leyde, qui avait publié un opuscule intitulé Novus ductus chyliferus. Nunc primum delineatus, descriptus et eruditorum examini expositus… [Nouveau conduit chylifère. Pour la première fois découvert, décrit et soumis à l’examen des savants…] (Leyde, Franciscus Hackius, 1652, in‑4o), sans même y mentionner le nom de Pecquet :

    Scripsi ad Henricum Bornium, professorem Leydensem, veterum amicum, mirair me qui fieri potuerit ut Clarissimus vir Ioannes Hornius de ductu chylifero scribens non viderit tractatulum tuum biennio ante typis editum, ut plane constet nulli non literato, nec in Anatomicis hospiti, te primum exstitisse freti istius, Magellanico sane potioris , detectorem. Atque adeo ludibrium posteris debiturum collegam, nisi quamprimum illud data occasione fateatur ; et dcat, non visum sibi librum tuum, cum tamen ipse eodem ferme experientia sua perveniset. Nolle enim me ambigere, quin Hornius quoque ductum invenerit, sed tamen a suspicione plagij famam viri jam aliunde et per se mgni nominis immunem non futuram, nisi liberetur, nuda et simplici narratione experimenti suis, atque relicta tibi inventionis primariæ gloria. Itaque rogavit virum doctissimum caute officij sui admoneret. Tu, Vale, Pecquete Clarissime, et rem Medicam juvare contende. Optandum enim esset ut in re tam seria tandem homines nugari desinerent. Iterum Vale. Lutetiæ Parisorum Eid. Sextil. ciɔ iɔc liv.

    [J’ai écrit à Henricus Bornius, professeur à Leyde et mon vieil ami, {d} pour qu’il me prouve, s’il le pouvait, que le très illustre van Horne n’avait pas vu votre petit livre, publié deux ans plus tôt, {e} quand il a écrit sur le conduit du chyle, car il apparaît clairement à quiconque a quelque connaissance de la littérature et de l’anatomie que vous avez été le tout premier à découvrir ce canal qu’on peut véritablement tenir pour plus important que le détroit de Magellan ; à tel point que notre collègue devra passer pour ridicule aux yeux de la postérité, à moins qu’il ne confesse bientôt avoir abusé des circonstances ; mais il proclame qu’il n’a pas vu votre livre et qu’il est tout seul parvenu presque à la même découverte que vous grâce à ses propres recherches. Je ne doute pas, soyez-en bien assuré, que van Horne ait aussi pu observer le canal ; mais sa grande réputation, déjà bien établie ici et ailleurs, sera pourtant entachée d’une suspicion de plagiat s’il ne s’en affranchit en relatant simplement et clairement la teneur de sa propre expérience, et en vous reconnaissant la primauté de la découverte. C’est pourquoi j’ai prié Bornius de rappeler avec ménagement le très savant van Horne à son devoir. {f} Vale, très brillant Pecquet, et battez-vous pour le bien de la médecine. Il serait en effet souhaitable qu’en une matière aussi sérieuse les hommes cessent enfin de conter des sornettes. Encore tous mes vœux. De Paris, le 13 août 1654]. {g}


    1. V. notes [4], lettre 360, et [36], lettre 469, pour le mathématicien Adrien Auzout, [27], lettre 152, pour le médecin lyonnais Abraham Du Prat, et [7], lettre 7 et [4], lettre 666, pour les médecins parisiens Philippe et Antoine D’Aquin, père et fils.

    2. Les vaisseaux lymphatiques thoraciques qui drainent à la fois la lymphe venue de la partie inférieure du corps et le chyle venu des intestins (v. note [26], lettre 152).

    3. Thomas Bartholin et Hermann Conring ont correspondu avec Guy Patin ; v. note [6], lettre 14, pour Jacques Mentel, qui affirmait, sous couvert de l’anonymat, avoir observé le réservoir du chyle (v. note [23], lettre 152) dès 1629, soit 18 ans avant Pecquet (v. note [6], lettre latine 369).

    4. Henricus Bornius (Utrecht 1617-Leyde 1675) était professeur de philosophie à Leyde.

    5. V. note [15], lettre 280, pour les Experimenta nova anatomica [Nouvelles expériences anatomiques] (Paris, 1651) où Pecquet donnait la première description imprimée du canal du chyle, qu’il avait découvert en 1647.

    6. Notre édition contient sept lettres de Patin à van Horne. Il est question de Pecquet à la fin de celle du 6 septembre 1665 : en réponse aux nouvelles que van Horne lui avait demandées, Patin l’avisait avec tristesse de la disgrâce où était tombé Pecquet, en punition de son extraordinaire fidélité à Nicolas Fouquet.

    7. Jean ii Riolan n’est pas explicitement cité dans la lettre de Sorbière.

      V. note [4], lettre latine 50, pour l’honnête opinion que Johannes Antonides Vander Linden a publiée en 1653 sur la suspecte découverte de son collègue et ami van Horne.


Guy Patin révélait ici que Pierre de Mersenne, compagnon de Pecquet dans ses recherches sur le chyle et la lymphe (v. note [21], lettre 336), s’y cachait sous le pseudonyme d’Hyginus Thalassius Sangermanus, auteur d’un traité intitulé Brevis destructio, sive Litura responsionis Riolani ad eiusdem Pecqueti Experimenta nova anatomica [Courte réfutation ou censure de la réponse de Riolan contre les Expériences anatomiques nouvelles] inséré dans la nouvelle édition des Experimenta nova anatomica… de Pecquet (1654, pages 181‑246). On y lit (pages 197‑200), dans le chapitre iii, De doctorum Parisiensium Testimoniis. Candide illi scriptis ad Pecquetum epistolis lacteas thoracicas probarunt ac commendarunt. Defenduntur epistolæ adversus Riolani censuram, quæ adversa rationi et experientiæ sponte corruit [Témoignages des docteurs parisiens qui, par des lettres écrites de bonne foi à Pecquet, ont approuvé et recommandé les lactifères thoraciques. Leurs lettres sont défendues contre la censure de Riolan qui s’écroule d’elle-même, comme contraire à la raison et à l’expérience], ces deux passages à propos de Guy Patin.

Ces propos d’Hyginus Thalassius devaient mettre Guy Patin fort mal à son aise, au moment même où Jean ii Riolan lui accordait la survivance de sa chaire au Collège de France.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 février 1655, note 5.

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(Consulté le 03/05/2024)

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