Séance du mercredi 25 avril 2018

Séance commune ANC / FDA – Le progrès de la prise en charge anesthésique et analgésique péri-opératoire
14h30-17h, Les Cordeliers
Nicolas BRUDER (SFAR, FDA), Éric ALLAIRE (ANC, FDA), Laurent JOUFFROY (Strasbourg)

 

 

Introduction de la séance

VILLET R, MARRE P, PASCAL G

 

Introduction thématique de la séance

VILLET R, LETOURNEAU D

 

Les apports liquidiens peropératoires : les anesthésistes doivent-ils changer leurs pratiques ?

CHOLLEY B

Résumé
Bien que les perfusions intraveineuses soient une composante incontournable de toute prise en charge péri opératoire, les médecins anesthésistes-réanimateurs découvrent que le remplissage vasculaire est un médicament potentiellement dangereux. Ces dernières années, de nombreux travaux nous ont appris que des apports liquidiens mal conduits (insuffisants ou en excès) pouvaient entraîner des complications et un allongement de la durée de séjour hospitalier chez les patients chirurgicaux les plus fragiles. Alors que les équipes médico-chirurgicales de toutes spécialités développent de nouvelles stratégies pour permettre une « réhabilitation accélérée après chirurgie (RAAC) », la gestion du remplissage vasculaire est au centre des préoccupations car son impact sur le pronostic et la durée de séjour sont de mieux en mieux reconnus. Les paramètres hémodynamiques usuels que sont la pression artérielle, la fréquence cardiaque et la pression veineuse centrale ne sont pas pertinents pour informer du caractère adéquat ou non du volume de remplissage vasculaire. Les stratégies qui ont démontré qu’elles étaient associées à une amélioration du pronostic des patients prônent une titration des apports liquidiens basée sur la mesure du volume d’éjection systolique (VES). Quand le VES augmente e réponse à un apport liquidien, la perfusion tissulaire s’en trouve améliorée par augmentation du transport en oxygène. En revanche, si le VES n’augmente pas, cela signifie que le volume administré n’améliore pas le retour veineux ni la perfusion tissulaire mais qu’au contraire il est responsable de congestion et d’œdèmes délétères pour le patient. La mesure du volume d’éjection systolique est donc la seule méthode fiable pour déterminer la limite supérieure du remplissage qu’un individu peut tolérer. Ce paramètre doit désormais être monitoré chez tous les patients chirurgicaux « à haut risque » de complication péri opératoire.

 

Mesure de la douleur sous AG. Monitorage de l’analgésie avec l’ANI

JEANNE M

Résumé
La Société Française d'Anesthésie Réanimation estime que "La pupillométrie, l'ANI (Analgesia Nociception Index) et le SPI (Surgical Pleth Index) permettent une évaluation correcte de la balance analgésie-nociception sous anesthésie générale" [1]. Mesurer la réponse de l'organisme à la nociception est possible grâce aux réactions neurovégétatives qu'elle induit: diminution du tonus parasympathique ou augmentation du tonus sympathique, parfois même avant que leurs effets sur le rythme cardiaque (tachycardie) et la pression artérielle (hypertension) n'apparaissent. Les tonus sympathique ou parasympathique fonctionnent "en miroir" l'un de l'autre, l'activation de l'un étant associée à l'inhibition de l'autre. Leur monitorage permet d'anticiper, voire d'éviter la réactivité hémodynamique ou le surdosage antalgique. L'ANI (Analgesia Nociception Index, MDMS, Loos, France) mesure en continu, de façon non invasive, le tonus parasympathique des patients à partir d'un simple signal électrocardiographique (ECG). Il permet d'observer l'augmentation du tonus parasympathique induite par les médicaments antalgiques ainsi que sa diminution (activation sympathique simultanée) lorsque la nociception chirurgicale débute ou augmente. Plusieurs études indiquent qu'il permettrait de guider l'administration des antalgiques [2, 3], d'anticiper les réactions hémodynamiques du patient et de diminuer l'intensité de la douleur postopératoire [4].

 

Les progrès de la prise en charge de la douleur aiguë postopératoire

MAURICE-SZAMBURSKI A

Résumé
La douleur aiguë postopératoire est toujours insuffisamment traitée. Plus de 3 patients sur 4 va présenter des douleurs après une chirurgie, dont 80% seront modérées à extrêmes [Rathmell 2006]. En plus d’être la première cause de réadmission après parcours ambulatoire, la douleur est un déterminant majeur du vécu du patient [Maurice-Szamburski 2013]. Malgré les innovations techniques et pharmacologiques de ces 20 dernières années, les grandes enquêtes nationales à travers le monde rapportent toujours des niveaux de douleurs inacceptables [Correl 2014]. La douleur aiguë est la première cause de douleur chronique et près d’un patient sur 3 présentera des douleurs persistantes 3 mois après la chirurgie [Estebe 2009]. En plus du geste chirurgical, des prédispositions existent à l’échelle individuelles [Althaus 2012]. Ainsi les patients présentant un syndrome dépressif, une anxiété préopératoire élevée ou une vision catastrophiste seront à la douleur [Theunissen 2012].
Si intervenir sur ces facteurs dans le cadre d’une prise en charge pré-opératoire semble difficile d’accès, différentes stratégies ont été mise en œuvre afin de diminuer l’impact de la douleur sur le patient. Le concept de pré-emptive analgesia a pour objectif de diminuer la sensibilisation centrale en délivrant les antalgiques avant la survenue du stimulus nociceptif chirurgical avec pour objectif d’obtenir une rémanence de leurs effets au-delà de leur durée d’action. Toutefois les phénomènes de sensibilisation sont multifactoriels et un haut niveau de preuve difficile à obtenir dans ce contexte [Wall 1988]. L’analgésie multimodale reprend l’objectif de diminuer les douleurs de façon pérenne sans toutefois contraindre la chronologie d’administration de médicaments qui la compose à la phase préopératoire. Certains des éléments qui la compose méritent d’être évoqués plus particulièrement. Les anti-inflammatoire non stéroïdiens font partie des médicaments les plus efficaces en termes d’analgésie chirurgicale et l’intérêt des anti-COX 2 a récemment été soulignée par plusieurs études de haut niveau [Nissen 2016]. Les opioïdes sont peu efficace et sont responsables de 60% des complications postopératoires après chirurgie prothétique de hanche ou de genou [Halawi 2015]. Ils posent à l’heure actuelle un problème majeur de santé publique aux États-Unis et leur consommation en France est en train d’exploser [OMS 2015]. Leur prescription va à l’encontre des principes de la réhabilitation améliorée [Kehlet 2015]. La kétamine est un inhibiteur non compétitif des récepteurs NMDA, impliqués dans la douleur aiguë et dans les phénomènes de chronicisation douloureuse [Wilder 2006]. Son utilisation n’est pas associée à une augmentation du delirium [Avidan 2017] et ses indications sont de plus en plus nombreuses [Jonkman 2017]. Les corticoïdes comme la dexaméthasone ont démontré une efficacité sur la douleur aiguë postopératoire [Waldron 2012], en plus d’être d’excellents anti-émétiques. Toutefois, leur impact sur la chronicisation douloureuse doit encore être démontré [Nielsen 2015]. La lidocaïne intraveineuse présente un intérêt majeur en chirurgie abdominale et le niveau de preuve ne cesse de croitre [Vigneau 2011]. L’infiltration périarticulaire est à la mode en chirurgie orthopédique majeure. Malheureusement son efficacité est modeste et limitée aux 10 premières heures postopératoires [Sogbein 2017]. L’analgésie locorégionale représente la meilleure technique antalgique, toute chirurgie confondue [Richmann 2006, Andrea 2012, Liu 2012]. Elle est à la base du concept même de réhabilitation améliorée [Kehlet 1995]. Bien mise en œuvre, elle n’est pas responsable d’une augmentation du risque de chute en chirurgie orthopédique [Memtsoudis 2014].

 

Les progrès de l’anesthésie régionale

DELAUNAY L

Résumé
En ce qui concerne la rachianesthésie, la technique est bien codifiée et fait partie des gestes que tout anesthésiste doit connaître et savoir pratiquer. Les évolutions récentes concernent l’apparition des aiguilles atraumatiques ont également permis de réduire considérablement l’incidence des céphalées post ponction dure-mériennes., Après la suppression de la lidocaïne dans cette indication, il manquait des molécules à durée d’action plus adaptées à l’ambulatoire que la bupivacaïne. Des molécules anciennes, probablement initialement abandonnées à cause justement de leur courte durée d’action, ont récemment été réintroduites. La chloroprocaïne (brevet 1955) et la prilocaïne (brevet 1960) sont à nouveau commercialisées. Avec la bupivacaine, nous disposons maintenant d’un choix large de possibilité en termes de durée (fig1), Enfin, il est utile de dire un mot sur la rachianesthésie continue. Dans cette situation la rachianesthésie est réalisée avec une aiguille plus grosse et un cathéter est introduit dans l’espace intrathécal. Cette technique est plus lourde mais il a été montré qu’elle permettait une meilleure stabilité hémodynamique que l’injection unique ou l’anesthésie générale chez des patients fragiles. Concernant les blocs périphériques, la principale et indéniable évolution a été le développement de l’échographie permettant de visualiser ce que nous faisions auparavant soit à l’aveugle soit aidé d’un neurostimulateur. De nombreuses études ont montré que les US amélioraient le taux de succès, réduisaient les volumes utiles et la fréquence d’un certain nombre de complications.  Si la péridurale est resté longtemps la seule technique de référence pour l’analgésie après chirurgie digestive lourde, le développement des techniques chirurgicales moins invasives, comme la coelioscopie, l’analgésie multimodale et la nécessité de lever rapidement les patients en postopératoire nous a forcé à réfléchir à d’autres techniques comme les cathéter pré-péritonéaux pour la chirurgie viscérale ou les infiltrations paravertébrales continues pour la chirurgie thoracique.. Le choix entre ces différentes techniques doit rester un choix d’équipe après discussion et évaluations locales.
En ce qui concerne la chirurgie orthopédique, si les blocs du membre supérieur restent des références, pour les arthroplasties du membre inférieur on retrouve une évolution comparable à la chirurgie viscérale. Pour le genou par exemple, le cathéter fémoral est longtemps resté la technique de référence. Mais, comme pour la chirurgie viscérale, la nécessité de lever les patients rapidement a fait se développer des techniques alternatives comme les infiltrations et/ou le bloc au canal des adducteurs qui n’ont pas ou en tous cas moins de risque de paralysie ou parésie quadricipitale.
Au total en ce qui concerne la place de l’ALR pour la prise en charge de la douleur nous devons admettre que nous avons une boite à outil plutôt bien garnie. Il revient aux équipes de choisir ce qui est le plus adapté à leur activité. En conclusion, je reprendrais celle d’un éditorial publié en 2014 par Stavros Memtsoudis et qui faisait suite à une revue sur les indications de la péridurale en postopératoire. « Désigner une technique ou approche particulière comme un gold standard a peu de sens dans une période de prise en charge individualisée et d’évolution constante des connaissances scientifiques ».

 

Prise en charge des douleurs neuropathiques post-opératoires

SERRIE A

Résumé
De nombreux patients opérés, présentent des douleurs chroniques postopératoires qui mettent en échec un acte chirurgical considéré comme réussi. Pour beaucoup d’entre eux, l’intensité, la persistance et le retentissement de cette douleur chronique postopératoire retentissent de façon importante sur la qualité de vie. La douleur neuropathique postopératoire est fréquente et invalidante, très souvent sous-estimée, non diagnostiquée voire ignorée. La douleur neuropathique est officiellement définie par l’association internationale pour l’étude de la douleur (International Association for the Study of Pain, IASP) depuis 2011 comme une « douleur étant la conséquence directe d’une lésion ou une maladie affectant le système somato-sensoriel ». Les douleurs neuropathiques postopératoires correspondent à des douleurs engendrées par une lésion traumatique d’un nerf au cours de la chirurgie. Toutes les lésions nerveuses n’évoluent pas vers la douleur neuropathique, il existe des facteurs chirurgicaux favorisant la lésion nerveuse, mais il faut tenir compte de la grande vulnérabilité interindividuelle. Le développement de la douleur chronique postopératoire semble peut-être en rapport avec des mécanismes de sensibilisation centrale préopératoire. La douleur neuropathique peut être détectée très précocement en postopératoire. Il est important de rechercher les facteurs de risques et de la détecter précocement afin de proposer des stratégies individualisées.  Une fois installée, la douleur neuropathique reste difficile à traiter.
C’est la convergence des éléments de l’interrogatoire et de l’examen clinique qui permet le diagnostic du mécanisme physiopathologique. Aucun examen complémentaire n’est nécessaire. Des outils de dépistage ont été développés pour aider à dépister une douleur neuropathique : le questionnaire DN4 composé de dix items associant les descripteurs de la douleur à un examen clinique permet d’orienter vers la douleur neuropathique.
Elle nécessite une prise en charge spécifique. Les traitements médicamenteux systémiques de la douleur neuropathique périphérique reposent sur différentes classes thérapeutiques : les topiques, les antidépresseurs tricycliques ou mixtes, les antiépileptiques gabaergiques et les morphiniques, ainsi que les thérapeutiques non pharmacologiques.

 

Évolution récente du métier d’anesthésistes

JOUFFROY L

Résumé
Sommes-nous bien au clair et d’accord avec ce que le concept même de « métier d’anesthésiste-réanimateur » recouvre ? Certes pas. Qu’est-ce qui fonde cet exercice, quel est son périmètre, quelles sont les relations avec les parties prenantes de la prise en charge du patient ?
Traditionnellement, la profession procède aujourd’hui d’une logique formelle, la définition par le diplôme, et d’une logique matérielle, la définition par les actes que les professionnels peuvent effectuer. Dans une perspective moderne, il conviendrait de s’interroger sur une définition du métier qui privilégie les missions. Autrement dit, sortir de cette logique qui reconnaît le métier par les actes, et imposer la vision de la reconnaissance d’une véritable activité de prise en charge. Cette approche plus fondée sur la compétence doit nous permettre de passer de la notion de « poste » que l’on occupe à celle de « fonction » que l’on assume, à celle de « mission » que l’on définit par des résultats et des responsabilités. Concrètement, découpler la réalisation des actes et se donner les moyens de faire reconnaître l’activité anesthésique, en évitant de tomber dans le piège de la seule référence aux actes comme référence exclusive, pourra nous permettre :
– de considérer l’anesthésiste non plus comme le réalisateur de tâches qui ne relèvent que d’une seule compétence technique (« il a des compétences »), voire comme un extincteur, mais comme un acteur porteur de plus de sécurité, de plus de service, de plus de communication, de plus d’organisation sous réserve de s’accorder sur les modalités d’une action concertée et efficiente (« il est compétent ») ;
– de développer une organisation performante basée sur une coopération formelle qui définit le rôle de chacun, anesthésistes et chirurgiens, en termes de répartition des tâches et des responsabilités et de leadership.
– de mettre en œuvre une collaboration entre les médecins et les infirmières anesthésistes qui s’agence autour de leurs compétences respectives, ne donnant pas aux IADE une totale autonomie mais leur reconnaissant une marge d’initiative plus importante ;
– de gagner du temps médical qui compensera les aléas de la démographie et permettra d’adapter l’offre à la demande pour autant que celle-ci soit reconnue pertinente.
Voilà ce qu’il nous faut débattre. Et faire reconnaître. Dans l’intérêt des patients.

 

Comment améliorer la sécurité globale au BO

BENHAMOU D

Résumé
Le bloc opératoire n’échappe pas aux erreurs et événements indésirables. La chirurgie est même la source de complications avec une fréquence plus importante qu’en médecine. Les nombreux facteurs intriqués qui contribuent à l’existence d’un risque accu sont présents dans la grande majorité des actes opératoires, y compris lorsqu’il s’agit d’interventions mineures chez des patients à faible risque intrinsèque. Les déficits dans le domaine des compétences non techniques sont à l’origine des dysfonctionnements, des erreurs et donc des complications. La communication et ses insuffisances sont au centre des problèmes. Un leadership inadéquat, un comportement non respectueux des autres et des plus jeunes, une autorité mal placée conduisant à un travail en équipe défectueux, un corporatisme trop évident, les interruptions de tache font le lit des erreurs et des conflits et sont donc un facteur de changement sur lequel il est essentiel d’agir. D’autres aspects liés à l’humain sont mis en avant aujourd’hui comme facteurs d’erreurs : la conscience de la situation et la capacité à prendre une décision sont des axes importants d’analyse et de formation.
L’instauration d’une culture interprofessionnelle passe par l’emploi d’outils tels que la checklist opératoire et doit être mise en place dès la formation initiale, notamment par la simulation.
La phase postopératoire est également une période à risque. On retrouve ici les problèmes de communication (gestion des anticoagulants notamment) et la détection trop tardive des complications (conscience de la situation, raisonnement clinique).