L. 48.  >
À Claude II Belin,
le 12 novembre 1639

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de la vôtre que m’a délivrée M. Sorel. J’ai céans le poème de M. de Bonnefons [2] sur la mort de M. le doyen Le Tartier, [3] duquel je vous donnerai copie quelque jour ; [1] mais je voudrais bien pouvoir recouvrer le Cultellus sur la mort de Henri iii[4][5] Enquêtez-vous [2] un peu des héritiers de ce chanoine, s’il n’y aurait pas moyen de l’avoir ; je vous en supplie de tout mon cœur. Pour les opuscules de M. Baillou, [6] cela va si lentement qu’on en peut dire autant que Cicéron [7] disait des victoires d’Antoine : Teucris illa lentum negotium[3] Le Perdulcis [8] de la deuxième édition est un fort bon livre, duquel on a retranché sévèrement quarante mille fautes qui étaient en la première édition, outre le traité qui a été ajouté De morbis animi ; [4] je vous conseille de les avoir tous deux reliés ensemble. Je vous prie de remercier M. Allen [9] de son mémoire, je voudrais pouvoir le servir en quelque bonne occasion. Dites-lui que les Épîtres de Casaubon [10] sont excellemment belles et bonnes. Les miennes m’ont coûté 100 sols en blanc, je les achèterais une pistole si je n’en avais ; j’en ai fait vendre plus de 50. Si lui ou quelqu’un de ses amis en désirent, comme je crois qu’il doit les désirer, je les ferai avoir à 4 francs pièce d’un marchand auquel j’en avais fait apporter 60 ; il en a encore onze de reste, il n’a qu’à me le mander s’il en désire. C’est tout autre chose pour le secret de l’histoire, pour le nombre des épîtres et pour les jésuites, [11] où il y a des merveilles de ces bonnes gens-là, desquels je prie Dieu qu’il vous veuille bien délivrer, et nous aussi. Nam et semel dicam, pudet me totum pene orbem terrarum loyolitico eiusmodi veneno esse perfusum[5] J’ai le livre du P. Pasquelin, [6][12] et le Soldat français [13] aussi. Le P. Pasquelin était théologal de Beaune ; je sais bien de ses nouvelles, c’était un honnête homme. [7] Le roi [14] est arrivé à Saint-Germain [15] avec toute la cour. M. Moreau, [16] qui vous a tant écrit de bien de ma vespérie, [17] se moque de moi : elle ne mérite non plus d’être lue que d’avoir été ouïe. [8][18] Je vous baise les mains, et à madame votre femme, pour demeurer toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 12e de novembre 1639.

Si le neveu du P. Pasquelin est votre ami, faites qu’il vous donne des mémoires de la vie de son oncle, et vous me les enverrez. J’en ferai son éloge et le mettrai parmi mes Illustres que je fais ensuite de ceux de M. de Sainte-Marthe, [19] lesquels je ferai quelque jour imprimer, [20] si volet ille qui quum voluit, omnia fecit[9] Au bruit qui court sourdement, nos affaires vont mal devant Salses. [10][21]


a.

Ms BnF no 9358, fo 54 ; Triaire no xlix (pages 161‑163) ; Reveillé-Parise, no xxxix (tome i, pages 63‑65). La lettre no xlviii de Triaire (pages 157‑158) est une lettre en latin à Jean Citois, datée du 7 juin, extraite du ms Chéreau (Coll. de France).

1.

Jean Bonnefons (Clermont-Ferrand 1554-Bar-sur-Seine 1614) avait étudié le droit sous Jacques i Cujas et acquis l’amour de la poésie néolatine ; puis, par la protection d’Achille de Harlay, il avait obtenu la charge de lieutenant général du bailliage de Bar-sur-Seine.

Ses 32 poèmes adressés à une maîtresse imaginaire, publiés sous le titre de Pancharis [Parfaite beauté] (Paris, Abel L’Angelier, 1587, in‑12), sont une imitation de ceux de Catulle (v. note [8], lettre 52), à qui Gilles Ménage l’a comparé.

Il peut aussi s’agir ici de son fils, de même prénom, qui lui succéda dans sa charge et composa des vers latins, mais du genre élogieux, en en montrant bien les vicissitudes ; on y trouve en effet à trois ans d’intervalle, sur Concini (le maréchal d’Ancre, ministre de Louis xiii déchu et assassiné sur ordre en 1617), deux titres de tons opposés (Michaud) : Mercurius de laudibus marchionis Anchorani [Mercure à la louange du marquis d’Ancre] (Paris, Jean Libert, 1614, in‑8o) puis L’Évanouissement de Conchine fait en vers latins et français… (Paris, Jean Libert, 1617, in‑8o).

Le titre de « doyen » ne convenant guère au médecin champenois Adrien Le Tartier (v. note [14], lettre 14), il pouvait s’agir ici d’Yves Le Tartier, doyen du chapitre de Saint-Urbain, échevin de la ville de Troyes en 1589 : ligueur, il mourut les armes à la main, face aux troupes de Henri iv en novembre 1590 (François Roudaut). Je n’ai pas retrouvé le poème qu’un des deux Bonnefons composa sur sa mort.

2.

Enquérez-vous.

Je n’ai pas trouvé ce Cultellus (petit couteau) qu’Yves Le Tartier aurait écrit sur l’assassinat du roi Henri iii (Fontainebleau 1551-Saint-Cloud 2 août 1589). Troisième fils de Henri ii et de Catherine de Médicis, il avait été élu roi de Pologne en 1573. Son frère Charles ix étant mort l’année suivante, il lui succéda sur le trône de France et fut le dernier des Valois.

En dépit de tous les excès qu’il commit avec ses favoris (les mignons, v. note [18] du Borboniana 6 manuscrit), Henri iii fut, dans la tourmente, un souverain habile et courageux qui lutta pour restaurer un royaume miné par les guerres civiles ; mais la Ligue parvint à lui ôter la possibilité de gouverner à partir de 1585 en déclenchant la huitième guerre de religion. Henri iii n’avait pas eu d’enfant de son mariage avec Louise de Lorraine en 1575. En 1584, quand mourut son frère cadet et héritier présomptif, François de France, duc d’Anjou (v. note [13] du Borboniana 3 manuscrit), le chef du parti protestant, Henri de Bourbon, roi de Navarre (futur Henri iv), se trouva en position de prétendre à la couronne de France. Paris fut abandonné aux ligueurs après la journée des barricades du 12 mai 1588 (v. note [2], lettre 81) et le duc de Guise s’imposa comme prétendant au trône. Henri iii réagit lors des états généraux réunis à Blois en faisant assassiner Guise et son frère, le cardinal de Lorraine (23‑24 décembre 1588), puis en s’alliant au roi de Navarre (avril 1589) pour assiéger Paris (juillet 1589). Il mourut lors de cette opération, le lendemain du coup de poignard que lui avait donné le moine dominicain Jacques Clément, sur l’instigation de la Ligue (G.D.E.L.).

3.

« Cette Troyenne traîne en affaire » : Teucris illa lentum negotium est, sed tamen est in spe […on ne désespère pas cependant d’en voir la fin] (Cicéron, Lettres à Atticus, livre i, lettre 13).

Édités par Jacques Thévart, {a} quatre opuscules posthumes de Guillaume de Baillou {b} ont paru en 1640 (Paris, Jacques Quesnel, in‑4o) :

4.

« Des maladies de l’âme », v. note [5], lettre 47.

5.

« Je le dirai une fois pour toutes : j’ai honte que presque le monde entier soit ainsi imprégné par le poison jésuitique. »

Isaac Casaubon (v. note [7], lettre 36), calviniste fidèle, vouait une profonde haine à l’égard des jésuites qui avaient converti son fils aîné, Jean, pour le faire moine capucin (v. note [21], lettre Naudæana 1).

Guy Patin prisait fort les lettres de Casaubon. Les cinq extraits que j’en ai transcrits (et traduits) dans la note [19] du Borboniana 1 manuscrit me semblent bien montrer que son style et son latin ont été parmi ceux (avec l’inégalable Joseph Scaliger et l’inimitable Érasme) qui ont le plus influencé la plume épistolaire de Patin.

6.

Guillaume Pasquelin (Beaune 1575-1632) enseigna à Milan et à Rome, quitta en 1613 l’Ordre des jésuites, dont il faisait depuis longtemps partie, et fit établir dans sa ville natale des oratoriens et des ursulines (G.D.U. xixe s.). Il a écrit plusieurs ouvrages pour la réformation des jésuites, dont :

Ouranologie, {a} ou discours céleste du ciel divin. Hiérothéorie {b} des Ordres Religieux montrant la source des plus signalés. Parallèle des modernes Religieux avec les Anciens. Et le spécial Parallèle de l’ordre des Jésuites. Par Vénérable M. Guillaume Pasquelin, Beaunois, docteur en sainte théologie, et chanoine théologal de l’église Notre-Dame de Beaune.


  1. Étude du Ciel.

  2. Saint cortège.

  3. Paris, Gilles Blaisot, 1615, in‑8o.

7.

Pierre de L’Hostal (ou Lostal, né dans le Béarn au xvie s., mort après 1610), sieur de Roquebonne, etc., avait adopté le calvinisme, et devint avocat au parlement de Bordeaux et vice-chancelier du roi de Navarre. Son Soldat français (1604, sans lieu ni nom, in‑12) est un pamphlet en faveur de Henri iv et de la guerre contre l’Espagne. Il a laissé quelques autres ouvrages écrits dans le même style extravagant à la gloire du premier des Bourbons (G.D.U. xixe s., R. et S. Pillorget).

Joseph Scaliger s’est acharné sur L’Hostal, le traitant de bravache et d’étourdi (Secunda Scaligerana, pages 195‑196, au mot Anti-soldat ; v. note [6], lettre 888).

Ibid. (pages 433‑434) :

« Ce fou de Lostaut, {a} qui est auteur du Soldat français, a fait une remontrance au roi contre les jésuites, où il fait mention qu’à Agen on apporta une lamproie qu’on faisait deux écus ; il ne se trouva personne qui en voulût. Le pourvoyeur des jésuites l’acheta et l’attacha au crochet, afin que les bons pères eussent de bons morceaux (les lamproies ni les saumons ne se voient point en hiver). Richeome {b} n’a pas répondu à cette remontrance. »


  1. Lostal.

  2. V. note [37] du Borboniana 3 manuscrit pour le R.P. Louis Richeome, jésuite.

V. note [1], lettre 50, pour une autre attaque de Scaliger contre L’Hostal.

8.

Ayant présidé pour la première fois une quodlibétaire le 16 décembre 1627 (celle de Georges Joudouin, v. note [10], lettre 3), Guy Patin avait franchi le seuil imposé des dix années d’ancienneté quand il avait présidé, le 22 septembre 1639, le doctorat de Denis Joncquet (v. note [7], lettre 549 ; Comment. F.M.P. tome xiii, fo 76 vo). Le rituel des questions n’avait pas exactement respecté celui qui est indiqué dans les statuts de 1660 (v. note [14], lettre 54) : Me Jacques Thévart avait d’abord posé au licencié la première, An febribus intermittentibus vinum emeticum ? [Le vin émétique convient-il dans les fièvres intermittentes ?] ; puis Joncquet avait posé la seconde question à Me Pierre Yvelin, An febribus intermittentibus vinum absinthites ? [Le vin d’absinthe convient-il dans les fièvres intermittentes ?].

Trois jours avant, le 19 septembre 1639, Patin avait participé à l’acte de vespérie de Claude Le Vasseur, sur un sujet un peu moins brûlant. Le président, Cyprien Hubault, avait d’abord demandé au candidat de disputer sur la question An pestis cognitio medico ? [Le diagnostic de la peste appartient-il au médecin ?] ; puis le licencié avait soumis à Patin la question An pestis curatio chirurgo ? [Le traitement de la peste appartient-il au chirurgien ?] (ibid. fo 75 ro). Même si elles étaient généralement préparées par écrit, les harangues de vespérie ou de doctorat n’étaient jamais imprimées.

9.

« si le veut celui qui, comme il l’a voulu, a fait toutes choses. »

Gaucher, dit Scévole i de Sainte-Marthe (Loudun 1536-ibid. 1623) trouvant son prénom trop rustique pour un homme de bonne famille, sachant le latin, le grec et l’hébreu, le traduisit en celui de Scévole (scævola, gaucher en latin). Sous les règnes de Henri iii et de Henri iv, Sainte-Marthe fut d’abord contrôleur général des finances dans le Poitou (1571) puis, en 1579, maire et capitaine de Poitiers et bientôt après, trésorier de France dans la généralité de cette ville. Député aux états de Blois en 1588, il se fit remarquer par son zèle royaliste et combattit courageusement les ligueurs. Quand Poitiers passa à leur parti, malgré ses efforts pour l’en empêcher, il se retira à Tours. En 1589, Sainte-Marthe revint dans le Poitou, ayant pour mission de revendiquer les biens des catholiques qui avaient été confisqués par les réformés. Il contribua pour une grande part à la soumission de Poitiers en 1594. Enfin, après avoir été maire de Poitiers, il retourna à Loudun où il mourut, laissant huit enfants qu’il avait eus de sa femme Renée de La Haye, fille du seigneur de Malaguet. Les Œuvres de Sainte-Marthe (traductions en vers français et divers genres de poésie, Paris, 1569 et 1579) et ses Elogia (Poitiers, 1606, v. note [13], lettre 88) eurent de son vivant un grand succès (G.D.U. xixe s.).

À Loudun, Sainte-Marthe avait créé une académie littéraire informelle que fréquentèrent deux célébrités de la ville, Théophraste Renaudot (v. note [6], lettre 57) et Urbain Grandier (v. note [1], lettre 18), qui prononcèrent son oraison funèbre (v. note [5], lettre 1018).

Guy Patin ne publia jamais ce qu’il appelait ici ses Illustres (dont subsiste peut-être un manuscrit, v. note [4], lettre 829) ; il souhaitait s’y inspirer des Elogia de Sainte-Marthe (v. note [13], lettre 88). Dans la lettre qu’il a écrite à ses fils, Abel et Louis de Sainte-Marthe, le 19 septembre 1630, Patin leur a dit toute l’admiration qu’il avait pour leur père ; mais ils ne publièrent pas les vers qu’il avait écrits à sa gloire.

10.

Salses (Salces dans l’orthographe de Guy Patin) était la clé du Roussillon, à 18 kilomètres de Perpignan (aujourd’hui Salses-le-Château dans les Pyrénées-Orientales). Il s’y élève toujours une fière forteresse bâtie par les Espagnols (1497-1504). Les affaires, en effet, allaient mal devant cette place : Condé l’avait prise le 19 juillet 1639, mais elle avait été de nouveau assiégée par les Espagnols le 1er septembre ; la contre-attaque française venait d’échouer (2 novembre 1639) ; la garnison, livrée à elle-même, capitula le 7 janvier suivant, à court de vivres.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 12 novembre 1639

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(Consulté le 04/05/2024)

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