L. 125.  >
À Charles Spon,
le 22 août 1645

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre belle lettre, dans laquelle j’ai trouvé les articles de nos plénipotentiaires et les dépositions des témoins contre votre docteur nouvellement métamorphosé [2][3] qui maltraite sa femme. [1] Quand je vois tant de désordres dans la vie humaine, j’ai pitié de l’homme qui, faute de devenir maître de ses passions, tombe dans de telles brutalités. N’est-ce pas une chose honteuse qu’un homme qui croit être si sage et si savant, soit si fou que de battre sa femme et la laisser mourir de faim ? Vous diriez qu’il veut la tuer et l’assommer afin qu’elle soit sainte et martyre par les maux qu’il lui aura fait souffrir. Vous verrez qu’il aura encore assez d’ambition de prétendre par là du crédit en paradis ; mais il se trompe. Je voudrais que pour son bien et son amendement quelqu’un lui dît à l’oreille le sens mystique de ces deux beaux vers de Virgile : [4]

Non tibi regnandi veniat tam dira libido,
Quamvis Elysios miretur Græcia campos
[2]

Cette pauvre belle-mère qui lui a donné sa fille en mariage [5] voit trop tard qu’on n’a jamais bon marché de mauvaise marchandise. Des gens qui sont autant capricieux que ce docteur ne devraient point se marier pour n’avoir pas tant de témoins de leur folie. [6] Cette pauvre infortunée peut dire de soi-même ce que la femme d’un certain jaloux d’Italie dit dans Vivès : [7]

Discite ab exemplo Iustinæ, discite matres,
Ne nubat fatuo filia vestra viro
[3]

Pour le sieur Stella, [8] je ne sais pas véritablement d’où il était ; mais en un certain panégyrique qu’il fit au cardinal de Richelieu, [9] l’an 1634, il s’y nomme Tilemannus Stella Bipontinus. Ne vous étonnez pas si Du Val [10] en a parlé froidement dans son livre. [4] Cet homme ne sait presque rien de la vraie histoire et il serait même bien malaisé de la lui apprendre, tant il y est malpropre. Je lui ai donné plusieurs fois divers bons mémoires, mais le dessein et le style sont de lui tout seul. Il devrait avoir parlé d’Érasme [11] lorsqu’il parle de l’institution des professeurs du roi ; [5] mais comme il est cagot et trop scrupuleux pour un philosophe, il ne l’aime pas et n’a jamais lu de ses ouvrages. Je lui ai même une fois ouï dire à table qu’Érasme ne savait rien, dont il fut bien relevé. Dans le premier livre des épîtres d’Érasme, il est parlé de ce noble dessein du roi François ier ; [12][13][14] et même, il y a une belle épître de Budé [15] à Érasme, avec la réponse d’Érasme à Budé, où il est traité également de la nation et du nom des Guillaume qui avaient toujours favorisé Érasme, parce que ces trois Guillaume l’avaient recommandé à ce bon roi François ier et avaient les uns sur les autres renchéri à dire du bien de lui, savoir Guillaume Budé, Guillaume Copus, [16] son médecin, et Guillaume Parvus, [17] son confesseur qui devint évêque de Meaux. [6][18] Pour revenir au mot de Bipontinus, je pense que Stella voulait dire qu’il était du duché de Deux-Ponts au Palatinat du Rhin, [19] d’où était ce Wolfgang, [20] duc des Deux-Ponts, qui vint en France sous Charles ix [21] avec une armée pour secourir les protestants et qui mourut de trop boire à La Charité-sur-Loire [22] l’an 1569, dont on fit ce distique latin :

Pons superavit aquas, superarunt pocula Pontem,
Febere tremens periit, qui tremor orbis erat
[7]

Je sais bien ce que c’est que le Facundus du P. Sirmond, [23][24] dont vous me parlez, et j’y ai vu le passage sur l’eucharistie que vous demandez : Adoptionem quoque filiorum suscepisse Christum, si antiqui Doctores Ecclesiæ dixisse monstrantur, nec ipsi, nec omnis Ecclesia qua tales Doctores habuit, iudicari deberent hæretici. Nam Sacramentum adoptionis suscipere dignatus est Christus, et quando circumcisus est, et quando baptisatus est ; et potest Sacramentum adoptionis adoptio nuncupari ; sicut Sacramentum corporis et sanguinis eius, quod est in pane et poculo consecrato, corpus eius et sanguinem dicimus, non quod proprie corpus eius sit panis et poculum sanguis, sed quod in se mysterium corporis eius, sanguinisque continenant. Hinc et ipse Dominus benedictum panem et calicem, quem Discipulis tradidit, corpus et sanguinem suum vocavit, etc. Facundus Sirmundi, p. 404[8][25] C’est une affaire à démêler à M. Arnauld, [26] ou au P. Sirmond qui y a fait des notes en la lettre Tt, [9] ce qui lui a déjà été reproché par Le Faucheur [27] ou Aubertin [28] dans les doctes traités qu’ils ont faits sur l’eucharistie. [10] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, de 22e d’août 1645.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no v (pages 17‑21), datée du 12 août 1645 ; Bulderen, no v (tome i, pages 13‑16), datée du 12 août ; Triaire no cxxviii (pages 467‑470) ; Reveillé-Parise, no clxxxvi (tome i, pages 358‑360).

1.

Nouvelle allusion à Lazare Meyssonnier, protestant récemment converti au catholicisme, que Guy Patin tenait pour fou.

« Nos plénipotentiaires » étaient probablement les diplomates français envoyés à Münster pour négocier la paix, mais je n’ai pas trouvé de référence imprimée qui y corresponde.

2.

« Ton désir de régner n’irait pas jusque-là, bien que la Grèce admire les champs Élysées » : Géorgiques, chant i, vers 37‑38 (avec altération du premier vers : Nec tibi regnandi veniat tam dira cupido).

Les P. Virgilii Maronis Bucolica et Georgica Argumentis, Explicationibus, Notis illustrata, Auctore Io. Ludovico de la Cerda… Edition cum accurata, tum locupletata, et Indicibus necessariis insignata [Bucoliques et Géorgiques de Virgile, illustrées des commentaires, des explications et des notes de Juan Luis de la Cerda] {a} (Lyon, Horatius Cardon, 1619, in‑fo) ont donné leur « sens mystique » (caché) à ces deux vers tirés du préambule des Géorgiques, en paraphrasant ceux qui les précèdent et les suivent (page 185, note d de l’Explicatio) :

Concludit Poeta hac ratione : Modo sis unus e Diis terrarum, e Diis maris, e Diis cœlestibus, quicquid demum ex tribus istis eris, (nam te nec Tartara regem suum sperent, nec tu hoc cupias : quamvis Græcia Elysios campos miretur, quamvis Proserpina infernis locis permulsa nollet matrem Cererem repetere, nollet sequi) da mihi cursum navigationis facilem, annue cœptis audacibus, una mecum in viam ingredere miseratus agrestes ignaros viæ, assuesce iam ut Deus vocari.

[Le poète conclut sur cette pensée : peu importe que tu {b} sois l’un des dieux terrestres, l’un des dieux marins, l’un des dieux célestes, il suffit que tu sois l’un quelconque de ces trois là (car le Tartare {c} n’espère pas t’avoir pour son roi, et tu ne le désires pas, bien que la Grèce admire les champs Élysées, {d} et bien que Proserpine, charmée par les lieux infernaux, ne veuille pas que Cérès, sa mère, l’en ramène, ni ne l’y suive) ; {e} donne un parcours aisé à ma navigation, {f} approuve les audaces de mon entreprise, sois apitoyé quand s’y lancent avec moi des paysans qui en ignorent la route, habitue-toi à être invoqué comme un dieu].


  1. V. note [12], lettre 224.

  2. Virgile dédiait ses Géorgiques à l’empereur Auguste (v. note [6], lettre 188), son protecteur.

  3. Les enfers.

  4. Dans le mythe antique, les champs Élysées étaient le lieu du Tartare où les héros et les gens vertueux goûtaient le repos après leur mort.

  5. V. notule {a}, note [3] du Faux Patiniana II‑6, pour Proserpine (Perséphone), fille de Cérès.

    Pluton (v. note [16], lettre 514) est à prendre pour Lazare Meyssonier, son épouse, pour Proserpine, et sa belle-mère, pour Cérès (v. note [18], lettre 539) : tel était le sens mystique des deux vers que Guy Patin citait à Charles Spon pour qualifier la mauvaise conduite de Meyssonnier.

  6. La rédaction et le succès des Géorgiques.

3.

« Instruisez-vous par l’exemple de Justina, instruisez-vous, mères, pour ne pas marier votre à un fou. »

Avec matres pour patres, ce sont les deux derniers vers d’une épigramme de Jean-Louis Vivès (Juan Luis Vives ; Valence, Espagne 1492-Bruges 1540) : {a}

Immitis ferro secuit mea colla maritus
Dum propero nivei solvere vincla pedis,
Durus et ante thorum quo nuper nupta coivi,
Quo cecidit nostræ virginitatis honos.
Nec culpa meruisse necem bona numina testor ;
Sed iaceo fati sorte perempta mei.
Discite ab exemplo Iustinæ, discite patres,
Ne nubat fatuo filia vestra viro
.

[Un cruel mari m’a tranché le cou tandis que je délaçais en hâte mon blanc soulier ; sans pitié et devant le lit nuptial où, m’étant couchée avec lui peu de jours avant, s’était envolé l’honneur de ma virginité. Nulle faute pourtant ne m’avait mérité cette mort, j’en prends les dieux pour témoins ; mais me voici à terre, victime de mon destin. Instruisez-vous par l’exemple de Justina, instruisez-vous, pères, pour ne pas marier votre fille à un fou]. {b}


  1. Trois livres de Institutione feminæ christianæ [sur l’Institution de la femme chrétienne] (Anvers, Michael Hillenius, 1524, in‑4o) : livre i, page§ L ii vo, chapitre intitulé De quærendo sponso [La manière de chercher un fiancé].

  2. Traduction dans L’Institution de la femme chrétienne, tant en son enfance comme en mariage et viduité, avec l’office du mari… (Anvers, Christophe Platin, 1574, in‑8o), pages 164‑165 :

    « Justine fus jadis de grand’ beauté ornée,
    Et non moins de vertus, d’honneur et chasteté :
    Mais en mari je fus par trop infortunée,
    Qui sur moi exerçant horrible cruauté
    Près du lit où naguère avait cueilli l’honneur
    De ma virginité, en abaissant la tête
    Pour lâcher mon soulier, de glaive par fureur
    Mon beau chef sépara du corps : Mais Dieu j’atteste
    En mon âme impollue, qu’on lui fis offense :
    Mais telle fin m’avait m’avait gardé ma destinée.
    Voyez, pères, ici, et chacun de vous pense
    Remémorant ce cas tant étrange et nouveau,
    Que pour ne voir un jour sa ville malmenée
    Ne la doit marier à homme sans cerveau. »

V. note [14], lettre 409, pour trois autres ouvrage qui attestent de l’abondante et éminente production littéraire de Vivès. Après des études à Paris, il se rendit à Louvain et s’y lia avec Érasme. Sous sa direction, Vivès se perfectionna dans les langues grecque et latine. Il professa ensuite les belles-lettres à Louvain, fut appelé en Angleterre pour y exercer les fonctions de précepteur de la princesse Marie, fille de Henri viii (Marie Tudor, v. note [8] du Borboniana 3 manuscrit). Ce roi jeta Vivès en prison parce qu’il avait osé désapprouver son divorce d’avec Catherine d’Aragon. Libéré au bout de six mois, Vivès alla s’établir à Bruges. Il occupe une place distinguée parmi les philosophes érudits qui vers la fin du xvie s. sapèrent dans ses fondements l’influence des scolastiques et donnèrent une vive impulsion à l’étude de la littérature classique. Il formait avec Érasme et Budé ce qu’on nommait le triumvirat dans la république des lettres : Budé était l’esprit, Érasme la parole et Vivès le jugement (G.D.U. xixe s.). De nos jours, Bruges honore toujours la mémoire de Vivès par une statue placée dans l’un de ses plus charmants jardins.

En novembre-décembre 1658, Charles Spon et Guy Patin ont échangé sur le veuvage de leur collègue Lazare Meyssonnier. Je n’ai pas trouvé le nom et le prénom de son épouse, mais cette recherche m’a mené à son petit livre intitulé :

La belle magie ou Science de l’esprit, contenant les Fondements des Subtilités, et des plus Curieuses et Secrètes Connaissances de ce Temps. Accompagnée de figures en taille-douce, et tables bien amples… {a}


  1. Lyon, Nicolas Caille, 1669, in‑12 de 543 pages. Le livre n’est illustré que de deux gravures un portrait de l’auteur, avec cette légende :

    « Vrai portrait de Lazare Meyssonnier, conseiller médecin odinaire du roi, et de S.A.R., {i} docteur de l’Université de Montpellier, agrégé au Collège des médecins à Lyon professeur de la Science de L’esprit qui enseigna aux Mages par une Étoile comme il fallait aller adorer Jésus-Christ N.S., {ii} et lui offrir les Trésors. » {iii}

    1. « Son Altesse royale », titre réservé à Monsieur, frère du roi (Gaston d’Orléans, frère de Louis xiii).

    2. Notre Seigneur.

    3. Voilà pourquoi Guy Patin tenait Meyssonnier pour un fou.

Les pièces liminaires contiennent aussi un court Testament de l’auteur à Marie-Marguerite Meyssonnier, sa fille unique (sans mention de sa mère).

4.

Iohannes Tilemannus Stella avait été nommé en 1637 lecteur et professeur du roi « ès mathématiques et histoires », à la suite de Jean Bulenger, mort en 1636. Guy Patin se souvenait ici de son :

Panegyricus Eminentissimo Cardinali, Serenissimo Duci, Armando Ioanni Plessiaco, Richelii Toparchæ, Patri Patriæ, consecratus a Tilemanno Stella Bipontino.

[Panégyrique de l’Éminentissime cardinal, sérénissime duc, Armand Jean du Plessis, gouverneur de Richelieu, par Tilemannus Stella, de Deux-Ponts]. {a}


  1. Paris, Sébastien Cramoisy, 1634, in‑fo de 72 pages.

    La principauté du Palatinat-Deux-Ponts, dont Deux-Ponts (Zweibrucken en allemand) était la capitale, se situait en Bavière.


La pièce la plus curieuse de ce petit livre est la traduction en six langues (grec, hébreu, samaritain, chaldéen, syriaque et arabe) du distique latin final in Cardinalium ter-maximum [à la gloire du cardinal trois fois très grand] :

Regnum, Orbem, Cœlos, auxit, concussit, adegir Dux, Phœnix, Præsul, Marte, stupore, prece.

[Chef pour la guerre, phénix pour le ravissement, prélat pour la prière, il a agrandi le royaume, secoué le monde, vénéré les cieux].

Stella avait obtenu ses lettres de professeur royal le 13 juillet 1639. La notice sur « Stella, Allemand » occupe toute la page 37 et le haut de la suivante dans le Collège royal de France… de Guillaume Du Val (v. note [5], lettre 98. Elle est en effet plutôt froide :

« Mais depuis Bulenger éclipsé par mort, {a} sa chaire royale de mathématique, vacante par son décès, est demeurée en silence et ténèbres, quoiqu’une étoile lui ait été substituée, dont le Collège royal de France et le public attendai<en>t les clartés et influences, espérant de voir et percevoir d’un nom si pur et si étincelant les démonstrations mathématiques plus claires que le jour. Mais cette étoile n’a point éclaté et n’a été vue en la chaire royale, le sieur Stella n’ayant fait aucune montre de suffisance, ni leçon, ni entrée, ni harangue ; ni exhibé ses provisions au doyen ou à l’ancien des lecteurs du roi, comme la coutume est et le devoir de civilité l’obligeait, comme tous les nouveaux reçus. Nous estimons Monsieur Stella homme de bien, docte, capable, et qui porte un nom de renom et de lumières, mais nous ne savons de quel ordre de grandeur et d’éclat il peut être parmi les étoiles, et ne le pouvons juger, ne l’ayant ouï, ni vu, ni considéré son lever, son ascension ou élévation au méridien du Collège royal, et notamment pour la profession de mathématique où il est nommé. […] Mais n’est-ce point aussi que ce bel astre royal, le sieur Stella, n’étincelle et ne brille point au Collège royal à cause qu’il est (possible), {b} en cour, occupé et employé près Messieurs de l’État, ambassadeurs ou autres éminents personnages ? Suivant ce que dit Aristote, que les planètes ou étoiles errantes n’étincellent point à cause qu’elles sont près des hommes ou plus proches de la terre que ne sont les fixes, qui sont plus élevées et attachées au firmament, et par-dessus les planètes […]. » {c}


  1. Jean Boulenger (Poissy 1550-Paris 1636), professeur royal de mathématiques (incluant l’astronomie) en 1607.

  2. Peut-être.

  3. Le Patiniana I‑3 (v. sa note [57]) dit que Stella mourut « à Strasbourg, l’an 1645, où il était agent pour le roi ».

5.

Guillaume Du Val, en effet, n’a pas cité Érasme dans son Collège royal de France… (page 10) :

« Mais la fondation et l’institution la plus signalée pour l’honneur et avancement des bonnes lettres, des langues hébraïque, grecque et latine, et pour la splendeur de toutes les sortes de sciences, les plus secrètes et excellentes dans ce seizième siècle, fut celle des lecteurs et professeurs du roi, faite à Paris par le grand roi François premier, surnommé le Clément et le père des bonnes lettres, et le restaurateur des sciences ; qui, à la très louable sollicitation et persuasion de messire Guillaume Budé, conseiller de Sa Majesté en ses Conseils d’État et privé, et maître des requêtes, et de l’Éminetissime cardinal Jean Du Bellay, {a} évêque de Paris, et de M. Jean Lascaris, tous illustres et savants, et nommément M. Budé, digne d’être appelé un second Démosthène, et Restaurateur de la langue et éloquence grecque en France, et possible le premier notable Français qui ait excellé en cette langue ; après avoir dressé la belle et riche Bibliothèque de Fontainebleau, créa et institua les lecteurs et professeurs publics pour enseigner les langues, les mathématiques, la philosophie grecque et latine, l’éloquence latine, la médecine et la chirurgie, et en établit douze, tant Français qu’étrangers. »


  1. V. notule {b‑3}, note [15] du Faux Patiniana II‑3.

6.

Meaux (Seine-et-Marne) sur la Marne, 40 kilomètres à l’est de Paris, capitale de la Brie, est siège épiscopal depuis le ive s.

Budé, Cop et Petit furent « ces trois Guillaume », liés à Érasme, qui exercèrent leur influence sur François ier pour le déterminer à créer le Collège royal de France (1530).

Guy Patin faisait allusion à deux lettres latines écrites en 1516, qu’on trouve dans les Épîtres d’Érasme (édition de Londres, 1642, v. note [14], lettre 71).

  1. Lettre 15 (livre premier, colonne 58‑59), de Guillaume Budé à Érasme, datée de Paris, le 5 février :

    Ac ne Regis voluntatem impetum esse potius, quam judicium propositumque certum suspiceris, idem præsul mihi dixit, cum de te, ac summæ notæ scriptoribus loqueremur, Cordi esse Regi literas altiores, elegantioresque, secumque verba fecisse Regem, de conquirendis viris doctrinæ eminentis. Dixi tum posse te honesto præmio evocari in Franciam, idque me curaturum (si res ista tulisset) pollicitus sum, effecturumque : diu te Parisiis studuisse, nec minus te Franciam, quam locum incunabulorum tuorum nosse. Is, quantum opinor, summe tibi favebit. Summa autem porro ipse autoritate apud Principem pollet, ut qui in sanctius consilum Principis allectus sit inter paucos, quos apolectos, et selectos appellarunt antiqui. Tu hac de re statues, et ad me, aut alium quemvis scribes, si alium esse tibi amiciorem me putas : ut si hanc conditionem acceperis, hoc est, accipienda censueris, nova tibi stipulatione, certioreque caveatur a Principe, ejus præcipue opera, cujus hortatu ad te scripsi. Ipse enim maxime velim, ut hoc negotium sine captione ulla tua transigatur. Existimo Guilielmum Copum medicum regium, hominem utraque lingua doctum, et tibi amicum, ac benevolum, de hoc ad te scripturum, et alios, fortasse Principis jussu, vel ipsum etiam Regem. Mirum quam tibi Guilielmorum natio dedita sit et literis. Jam enim tres Guilielmos in eodem negotio studiosos habes tui. Sed Stephanus Parisiensis (id est, corona) si tecum (ut spero) locutus est, magnum omen attulit ad summam, felicemque manum imponendam incœpto.

    [Et afin que vous ne supçonniez pas que la volonté du roi soit plutôt un caprice qu’une décision ou un dessein bien résolus, ledit prélat {a} m’a dit, tandis que nous parlions de vous et des écrivains de tout premier rang, que le roi tenait en très haute estime la littérature la plus éminente et la plus raffinée, et qu’il lui a demandé de recruter les plus savants auteurs. Je lui dis alors que nous pourrions vous faire venir en France moyennant une honnête rétribution, et lui ai promis d’en prendre soin et d’y parvenir (si cette affaire prenait forme), car vous avez longtemps étudié à Paris, et avez reconnu que la France n’était rien de moins que le berceau où vous avez grandi. Je pense tout à fait que ce prélat vous sera entièrement favorable. Il jouit en outre d’une très haute autorité auprès du prince, étant donné que dans son Conseil privé il fait partie de ce petit nombre de personnages que les Anciens appelaient apolecti et selecti. {b} Il vous appartient d’en décider et d’écrire votre réponse, soit à moi, soit à quelqu’un d’autre, s’il en est un que vous tenez pour meilleur ami de vous que je ne suis. Vous direz si vous acceptez cette fonction, c’est-à-dire si vous estimez devoir accepter cette charge qui est nouvelle pour vous, et à la quelle le roi, sur l’instance de qui je vous écris, attache la plus haute importance. Personnellement, je serais très désireux que cette négociation aboutisse sans que vous y voyiez le moindre piège. Je pense que votre bienveillant ami Guillaume Cop, médecin du roi et homme savant dans les deux langues, {c} vous en écrira, ainsi que d’autres, peut-être sur l’ordre du prince, voire que le roi en personne prendra la plume. Il est admirable de voir à quel point la nation des Guillaume est dévouée à votre cause et à celle des belles-lettres, car en cette affaire, vous vous êtes déjà acquis les faveurs de trois Guillaume ; mais si (comme j’espère) Estienne de Paris {d} (c’est-à-dire sa couronne) vous en a parlé, j’augure fort qu’il a apporté une puissante et heureuse aide à notre projet].


    1. Étienne Ponchier (1446-1524), président au Parlement de Paris (1498), garde des sceaux (1513-1515), évêque de Paris (1503) et futur archevêque de Sens (1519).

    2. « Choisis et du tout premier rang ».

    3. Latin et grec.

    4. L’imprimeur érudit Henri i Estienne (v. note [8], lettre 91).

  2. Dans sa réponse (lettre 16 (ibid. colonne 58‑59), datée d’Anvers, le 21 février, Érasme remercie chaleureusement Guillaume Budé et le roi François ier pour leur flatteuse proposition, à laquelle il désire plus longuement réfléchir. Il évoque les Guillaume qui peuplent ses souvenirs :

    Commodum admonuisti, quod ipse sæpenumero admiratus sum, Guillemorum gentem mihi tantopere favere, sive id fato quodam accidit, sive casu. Olim vix decem natus annos, collusorem amavi Guilielmum. Rursum quindecim annos natus, sic æqualem quemdam dilexi, ut mihi esset meipso charior. Huic successit Guilielmus Hermannus, homo doctus, cujus hymnos opinor vidisse te : post hunc Guilielmus Montjoius, perpetuus et constantissimus Mecænas meus. Deinde Guilielmus Latamerus, vir in utriusque literaturæ præstantia Linacro non inferior, homo vere Theologus, hoc est, integerrimus simul et eruditissimus, nostrisque cum primis studiosus. Ad hæc, Guilielmus Grocinus, cujus epistolam habes sphæræ Proculi additam. Jam quot Guilielmos æquat unus ille Guilielmus Archiepiscopus Cantuariensis ? Ad hæc Guilielmum Copum sic totum totus amo, ut ad ipsum etiam hominis nomen recreer. De te vero parcius dicam in os. Sed ditior sum, quam existimaram. Nesciebam insignem illum et omnium ore celebratum Theologum Guilielmum cognomento Parvum, virtutum eminentia maximum, usque adeo meum esse. Mane, nondum omneis Guilielmos meos recensui.

    [Vous me rappelez opportunément l’immense faveur que je porte à la gent des Guillaume, et qu’elle ait été due au destin ou au hasard, je m’en suis très souvent émerveillé. À peine âgé de dix ans, j’eus un Guillaume pour bien-aimé compagnon de jeu. À quinze ans, j’en ai pareillement aimé un autre, qui m’a même été plus cher encore. Lui a succédé Guilielmus Hermannus, savant homme dont, je pense, vous avez vu les hymnes ; {a} et après lui, Guilielmus Montjoius a été mon perpétuel et très constant Mecænas. {b} Ensuite, il y eut Guilielmus Latamerus, homme dont la connaissance des deux langues n’était pas inférieure à celle de Linacrus, et authentique théologien, c’est-à-dire à la fois parfaitement intègre et érudit, qui a veillé sur mes débuts. {c} Il y a encore Guilielmus Grocinus, dont vous avez la lettre qui a été ajoutée à la Sphère de Proclus. {d} De tant de Guillaume, un seul égale-t-il aujourd’hui ce Guilielmus, archevêque de Cantorbéry ? {e} J’éprouve en outre une si complète affection pour Guilielmus Copus que je m’en remets entièrement au renom de cet homme. De vous, je ne dirai pas plus, mais je suis plus riche encore que je ne pensais : j’ignorais que Guilielmus, qui porte le patronyme de Parvus, cet insigne théologien que les discours de tous ont célébré pour l’extrême éminence de ses vertus, va jusqu’à me soutenir. Attendez, je n’ai pas encore entièrement recensé mes chers Guillaume]. {f}


    1. Érasme et Guilielmus Hermannus figurent parmi les 12 auteurs ou traducteurs d’un petit recueil de fables publié à Sélestat, Lazarus Schurerius, 1521, in‑4o.

    2. V. note [7], lettre 206, pour Mécène, mais je n’en ai guère trouvé plus sur ce bienfaiteur à qui Érasme a plusieurs fois marqué sa reconnaissance.

    3. Thomas Linacre, médecin et humaniste anglais mort en 1524, a fondé le College of Physicians de Londres, en 1518. Mes recherches sur Latamerus (ou Latimerus) ne m’ont mené à rien de probant.

    4. La Sphère (dite étoilée ou armillaire, v. note [30] du Faux Patiniana II‑2) de Proclus, dit le Diadoque, est un traité d’astronomie d’auteur incertain. Thomas Linacre a édité ce traité pour la première fois, en grec et latin, en 1499 (Alde Manuce). L’helléniste anglais William Grocyn (1446-1519) en a rédigé la préface.

    5. Probablement William Warham (1450-1532), archevêque de Cantorbéry et Lord chancelier en 1503.

    6. Érasme cite encore son ami Guilielmus Nesenus (Guillaume Nesen, 1493-1524), humaniste de Bâle qui opta pour le luthéranisme en 1521.

7.

« Un Pont est passé dessus les eaux, les abus de boisson sont passés dessus l’autre Pont,
Il a péri tremblant de fièvre, lui qui était un tremblement de terre. »

Wolfgang, duc des Deux-Ponts (1526-1568) hérita du duché de Neubourg vers le milieu du xvie s. et mourut en France dans une expédition qu’il avait entreprise pour secourir les protestants (G.D.U. xixe s.). V. supra. note [4] pour la principauté bavaroise du Palatinat Deux- Ponts.

Pierre de L’Étoile (Mémoires pour servir à l’histoire de France, édition de M. Petitot, Paris, 1825, page 68) :

« Le 11 juin, {a} le duc des Deux-Ponts passa de ce siècle en l’autre au pays de Limousin. Ce seigneur allemand, prince du Saint-Empire, après avoir amené, au très grand besoin de ceux de la religion, un brave et puissant secours depuis les bords du Rhin jusqu’aux dernières limites du Limousin, non sans un extrême danger, et joint son armée à celle des protestants de France, malgré les forces du duc de Guise et du pape, fut saisi d’une fièvre chaude, causée d’avoir trop bu et d’avoir trop fait carous {b} avec les Français pour la joie qu’il avait de les avoir joints et être venu à bout de son entreprise, de laquelle fièvre il mourut ; pourquoi fut fait sur sa mort le distique suivant […]. »


  1. 1569.

  2. Trinqué.

La Charité-sur-Loire n’est pas en Limousin, mais en Bourgogne (Nièvre) sur la rive droite du fleuve, 53 kilomètres à l’est de Bourges et 22 au nord de Nevers. La ville a tiré sa prospérité d’un pont sur le fleuve et d’un prieuré bénédictin dont le titulaire était seigneur spirituel et temporel de la cité, et jouissait d’un des plus beaux bénéfices du royaume.

8.

« Si on démontre que les anciens docteurs de l’Église ont dit que le Christ a aussi reconnu l’adoption des enfants, ni eux-mêmes, ni l’Église tout entière, qui a eu de tels docteurs, ne devraient être jugés hérétiques. En vérité, le Christ a été jugé digne de subir le sacrement d’adoption, et quand il a été circoncis, et quand il a été baptisé ; et l’adoption peut être dénommée le sacrement d’adoption ; {a} tout comme nous disons que son corps et son sang sont le sacrement de son corps et de son sang, qui est dans le pain et le vin consacrés, non pas parce que son corps est proprement du pain, et son sang du vin, mais parce qu’ils contiennent en eux le mystère de son corps et de son sang. {b} Et c’est pourquoi le Seigneur a lui-même appelé son corps et son sang le pain bénit et le calice qu’il a remis aux disciples, etc. Facundus de Sirmond, page 404. » {c}


  1. « Adoption » est ici à prendre dans son sens surnaturel de grâce spéciale par laquelle, dans le baptême, les chrétiens deviennent enfants de Dieu et héritiers du royaume du Ciel d’où le péché d’Adam les avait exclus.

  2. V. note [5], lettre 652, pour la transsubstantiation et les querelles dogmatiques qu’elle engendrait alors.

  3. Guy Patin transcrivait mot pour mot un passage (livre ix, pages 404‑405) des :

    Facundi episcopi Hermianensis provinciæ Africanæ pro defensione trium capitulorum concilii Calchedonensis libri xii, ad Iustinianum Imperatorem. Iac. sirmondi Soc. Iesu Presbyteri cura et studio nunc primum in lucem editi, notisque illustrati.

    [Douze livres de Facundus, évêque d’Hermiane, {i} province d’Afrique, pour la défense des Trois Chapitres du concile de Chalcédoine, {ii} contre l’empereur Justinien. {iii} Publiés pour la première fois par les soins et l’étude, et éclairés par les notes de Jacques Sirmond, {iv} prêtre de la Compagnie de Jésus]. {v}

    1. Facundus, évêque d’Hermiane (Tunisie) au vie s.

    2. Sur la rive orientale du Bosphore, en face de Constantinople, où le concile éponyme se tint en 451.

    3. Sans lien direct avec la transsubstantiation, le nestorianisme, alors naissant, conçu par Nestorius, évêque de Constantinople, énonce que deux natures (hypostases) coexistent dans la personne du Christ, l’une divine et l’autre humaine : Marie est la mère de Jésus, mais non celle de Dieu.

      Justinien, empereur d’Orient (v. note [22], lettre 224), s’opposa aux dogmes nestoriens par l’édit des Trois Chapitres, dérivés du concile de Chalcédoine.

    4. V. note [7], lettre 37.

    5. Paris, Sébastien Cramoisy, 1629, in‑8o de 582 pages.

9.

Le feuillet (sans numéro de page) du Facundi episcopi… portant la signature Tt correspond à une note du P. Sirmond sur le passage précité du livre ix (page 404) de Facundus. La note porte sur Non quod proprie corpus [non pas parce que son corps est proprement du pain] :

Panis consecratus, natura mutatus, panis non est : panis tamen appellatur, quia panis fuit, et panis speciem retinet. Idemque iudicium est vini. Panem rursus vinumque corpus Christi et sanguinem dicimus, ut Augustinus quoque affirmat lib. iii de Trinitate cap. iv. Non proprie, sed figurate : quia sub panis et vini specie corpus Christi et sanguis in sacramento continentur. Nec alia, opinor, in his verbis sententia est Facundi. Nam de veritate carnis et sanguinis Christi in Eucharistia dubitare non potuit, quia post ipsius Domini professionem, ut docet Hilarius libro viii de Trinitate, non est relictus ambigendi locus. etc.

[Le pain qui est consacré a changé de nature, ce n’est pas du pain ; pourtant on l’appelle du pain parce qu’il a été du pain et qu’il conserve l’apparence du pain ; il en va de même du vin. Par conséquent, nous appelons le pain et le vin corps et sang du Christ, comme Augustin l’affirme aussi au livre iii, chapitre ix, De la Trinité. Ce n’est pas au sens propre mais au sens figuré parce que dans le sacrement, le corps et le sang du Christ sont contenus sous l’apparence du pain et du vin. Par ces mots, Facundus n’a, je pense, rien voulu dire d’autre. En vérité, il n’a pu douter de la vérité du corps et du sang du Christ en l’Eucharistie car, après ce qu’a proclamé le Seigneur lui-même, comme l’enseigne Hilarius au livre viii De la Trinité, il n’y a pas lieu à discussion. etc.].

V. note [5] du Borboniana 6 manuscrit pour la communion sous les deux espèces. Tout cela prouve au moins que Guy Patin s’intéressait de très près à certaines questions religieuses, telle ici celle de la transsubstantiation eucharistique qui était au cœur d’un désaccord dogmatique entre catholiques et protestants (après avoir opposé les nestoriens aux monophysites du temps de l’empereur Justinien).

10.

Michel Le Faucheur (Genève vers la fin du xvie s.-Paris 1er avril 1657) avait fait preuve d’un grand talent oratoire dès son premier ministère pastoral à l’Église d’Annonay (Ardèche). En 1612, il avait été appelé au synode national de Privas, puis été nommé pasteur de l’Église de Montpellier. Il fut chargé en 1625, avec deux de ses coreligionnaires, d’aller apaiser les protestants de Nîmes et de leur recommander la fidélité au roi. Ayant refusé une chaire à l’Académie de Lausanne et une place de pasteur à Genève, il était venu s’établir en 1634 à Charenton (v. note [18], lettre 146) où il demeura jusqu’à sa mort (G.D.U. xixe s.). Le Faucheur est, entre autres, l’auteur du Sermon sur ces mots de l’Évangile selon saint Jean, chapitre 6, verset 56, « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui », prononcé en l’Église de Charenton le jour de Pâques 1632… (Charenton, P. Auvray, 1632) et du Traité de la Cène du Seigneur, avec la réfutation des oppositions du cardinal Duperron, et autres… (Genève, sans nom, 1635, in‑fo).

Edme Aubertin (Châlons-sur-Marne 1595-Paris 1652) était ministre de Charenton depuis 1631. Celui de ses livres que Guy Patin signalait ici est L’Eucharistie de l’ancienne Église, ou traité, auquel il est montré quelle a été, durant les six premiers siècles depuis l’institution de l’Eucharistie, la créance de l’Église touchant ce sacrement… (Genève, PierreAubert, 1633, in‑fo) (Triaire et Jestaz).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 août 1645

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(Consulté le 26/04/2024)

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