Autres écrits
Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : xi

De la thériaque et du mithridate [a][1][2][3]

La thériaque est une composition aussi inutile dans la bonne médecine que son nom en est impertinent et extravagant. Elle est ainsi appelée απο των θηριων, des bêtes venimeuses, [1] et particulièrement des vipères, aux morsures desquelles quelques Anciens ont voulu croire qu’elle était excellente ; [4] et par une misérable métathèse, ils ont prétendu et prétendent encore aujourd’hui très faussement que, comme elle résiste au venin communiqué au corps vivant par la morsure de ces animaux (j’entends vipères et serpents), [5] elle soit pareillement fort convenable à résister à la pourriture qui produit les fièvres malignes, pourprées et pestilentes ; [2][6][7][8] qui est une très fausse supposition, vu qu’il n’y a nul rapport entre le venin de ces animaux, qui est très froid, avec cette pourriture, qui est très chaude ; ce que démontrent la rêverie, [9] les vomissements bilieux, [10] les flux de ventre colliquatifs, [11][12] les syncopes et pâmoisons, [13][14] les yeux ardents et étincelants, les convulsions, [15] la fièvre chaude et continue, les bubons, les charbons, [16] les saignements de nez et autres horribles symptômes qui accompagnent ces grandes maladies. La Thériaque est appelée par Pline, Lib. xxix, cap. i, Historiæ[17] d’un nom qu’elle mérite par-dessus tout autre, savoir compositio luxuriæ, composition luxurieuse, [3] non pas tant qu’elle serve au péché de luxure (comme l’ignorance de quelques apothicaires prétendait il y a quelque temps), mais d’autant que c’est un fatras de grande quantité de divers remèdes, chauds, froids, secs, humides, narcotiques, [18] purgatifs[19] mêlés ensemble fort mal à propos, sans ordre, sans raison et sans aucune apparence de vérité. Le premier auteur ou inventeur d’icelle a été Andromachus, [20] médecin de Néron, digne drogue d’un tel tyran ; [21] d’autres l’attribuent à Damocratès ; [22] d’autres disent que le premier qui l’a inventée a été Mithridate, roi du Pont, prince savant et curieux, [23] et que ces deux médecins ne l’ont que réduite en meilleur ordre ; [4] mais, hélas, quel ordre ! Tant qu’elle est nouvelle et que la vertu très froide de l’opium n’est pas encore surmontée par la quantité des remèdes chauds qui y entrent, elle est narcotique et peut tuer un homme sous ombre de le faire dormir, non plus ni moins que fait l’opium ou le laudanum des chimistes. [24][25] Après qu’elle a passé quatre ans et qu’elle avance en âge jusqu’à douze, elle devient très chaude, et ainsi devient toute contraire à ce qu’elle était auparavant. Si bien qu’elle est un certain temps très froide, et un autre très chaude, tuant, au commencement, de sa froideur et après, de sa chaleur ; et en quelque temps que vous la preniez, elle est toujours un remède inutile très dangereux ou, tout au moins, à l’usage duquel il n’y a nulle assurance.

Mais quelqu’un, pensant favoriser les apothicaires, [26] et principalement ceux de Montpellier, et autoriser l’abus et le désordre qui s’ensuit de leurs grandes compositions en la médecine, me dira de la thériaque : Habet aliquid in toto quod non habet in partibus. J’avoue franchement que cela est vrai, qu’elle a en son tout ce qu’elle n’a point en ses parties. Aussi la veux-je considérer tout autrement ; mais néanmoins, ces subtils défenseurs ne nous montrent point par aucun certain raisonnement, ni ne nous font voir par aucune expérience fidèle à quoi peut être bonne la thériaque. S’ils me disent qu’elle est bonne à concilier le sommeil à un malade, puisque je la reconnais narcotique, je leur réponds que tant s’en faut que je m’en veuille servir, faute de savoir en quel état est l’opium si fort mélangé, et quelle force il a parmi tant de divers ingrédients de différente nature ; mais plutôt que, si j’étais réduit à me servir de ces narcotiques pour quelque grande fluxion, douleur âcre ou veilles immodérées, j’aimerais bien mieux me servir d’un grain ou deux (en cas d’une urgente nécessité) d’opium tout cru que de cette thériaque. Mais un autre me dira : Au moins est-elle bonne aux maladies froides, puisque vous l’admettez très chaude depuis quatre ans jusqu’à douze ; ce que je nie pareillement, vu qu’il faut bien d’autres remèdes que de simples altératifs [27] pour chasser des maladies qui sont ordinairement longues, comme sont les froides. [5] Ce sont les purgatifs qui y sont particulièrement nécessaires, et dont l’usage en doit être très fréquent. La chaleur de la thériaque, qui est extrêmement âcre et brûlante, toute immodérée et, par conséquent, ennemie de notre chaleur naturelle (qui est de soi et par nécessité tempérée, pour faire ses fonctions), ne peut rien contribuer à la guérison des maladies froides : elle n’en ôte ni diminue la cause, soit qu’elle soit contenue dans les vaisseaux, ou cachée dans quelque recoin. Et d’autant que ceci peut sembler difficile de prime abord à quelqu’un, principalement du nombre de ceux qui n’entendent pas volontiers la raison, je le veux éclaircir et prouver par exemple.

Prenons la léthargie, l’asthme et l’hydropisie pour trois maladies froides : je prétends néanmoins que la thériaque ne peut convenir à pas une de ces trois. Pour la léthargie, [6][28] il faudrait que la thériaque pût monter à la tête et, qu’y étant parvenue, elle pût agir et fondre ou, tout au moins, réchauffer et ôter au cerveau la cause conjointe qui y produit le mal. Pour l’asthme, [29] y a-t-il quelqu’un assez ignorant qui se puisse persuader que la thériaque puisse aller jusque dans le poumon, y fondre ou, tout au moins, atténuer la matière qui bouche ses canaux ? Certes, les chemins en sont bien longs et bien difficiles, et, pour dire vrai, cela est tout à fait impossible : il n’est permis de croire autrement qu’à ceux qui ne savent rien en l’anatomie, qui est l’œil et le flambeau de la médecine. Reste pour l’hydropisie, [30] à laquelle la thériaque ne peut être bonne en aucune façon car, soit que nous considérions la quantité des eaux qu’il faut vider, ou la réparation des forces et du tempérament du foie, [31] laquelle y est absolument nécessaire, c’est chose certaine que la thériaque ne peut faire ni l’un ni l’autre : elle ne vide ni ne tire rien du corps, ex parte affecta nihil detrahit ; [7] elle ne peut aussi fortifier le foie, en quelque état qu’il soit, vu que sa chaleur est immodérée tout à fait, trop âcre et brûlante ; de sorte qu’elle dissiperait plutôt ce qui lui resterait de forces, de chaleur tempérée et d’esprit, qu’elle ne lui fera du bien. Je puis donc conclure que la thériaque ne peut être bonne ni aux maladies chaudes ni aux maladies froides par les raisons susdites.

Mais à quoi donc peut-elle servir ? Les charlatans, [32] les empiriques [33] et les ignorants disent qu’elle peut être bonne à la peste parce qu’ils l’ont autrefois ouï dire ; [34] mais, bonnes gens, qui vous croira, je vous prie ? La peste est une maladie maligne en laquelle tous les accidents témoignent une horrible chaleur : putredinis et calidi extranei summa sunt omnia ; [8] le mal, la cause du mal et tous les symptômes qui en procèdent ne sont que les proches effets de cette profonde et extraordinaire pourriture, laquelle cause tout ce désordre par une chaleur extrême ; par quelle raison voulez-vous prétendre que ce remède si brûlant puisse servir contre une maladie si chaude qu’elle produise même des charbons ? Quelques-uns allèguent ici des qualités particulières, spécifiques et occultes, [35] mais cela se dit sans démonstration ; et moi je leur réponds, par l’autorité de Galien, lib. ii de Differentiis pulsuum cap. v, qu’il y a deux sortes de gens qui n’enseignent rien, dont les uns se servent de noms inconnus, ou mots nouveaux, et les autres ont recours à des qualités occultes. [9][36][37] C’est pourquoi tous les deux se rencontrant en la thériaque, je prononce hardiment qu’elle ne vaut rien contre la peste, ni par qualité occulte, ni par aucune propriété manifeste.

Un autre m’objectera : Mais les Anciens se sont servis de thériaque et l’ont recommandée pour la guérison de quelques maladies. Cela est vrai et je l’admets franchement, et prétends en même temps qu’ils n’en ont point mieux fait ; ce que je pourrais prouver fort facilement, mais cela étant hors de mon dessein, je me retiens et m’arrête aux raisons que j’ai alléguées ci-dessus. C’est chose certaine que dans les écrits des Anciens, on y trouve plusieurs bévues. Par les Anciens, je n’entends pas Hippocrate et Galien, et combien qu’ils aient eu la prérogative du temps, par laquelle ils nous ont appris ce qu’ils ont su, aussi avons-nous de notre côté la succession de douze ou quinze siècles durant lesquels les esprits des hommes se sont éveillés et élevés contre l’ignorance qui s’y fût introduite : les hommes savants et curieux de connaître ont eu autant de droit en leur temps que les plus anciens ont jamais eu de faire leurs expériences ; et leur a été également permis de s’inscrire en faux contre le mensonge et les fausses opinions que l’ignorance et la charlatanerie ont fourrées dans la médecine. La thériaque d’aujourd’hui n’a presque point de ressemblance avec celle des Anciens ; mais quand nous aurions celle-là, très parfaitement fournie de tous les ingrédients imaginables que Damocratès et Andromachus, médecin de Néron, ont semblé y désirer pour la rendre excellemment parfaite, je prétends et soutiens qu’elle ne vaudrait rien du tout contre la peste. Aussi ne fut-elle jamais faite pour cela : elle n’a été inventée que contre la morsure des animaux vénéneux et afin que, par son étrange chaleur, elle résistât à la rigueur de ces venins froids ; et à savoir si cela a réussi, j’en doute encore bien fort, vu que nous n’avons aucun témoignage, rapport ni expérience de ces Anciens qu’elle y ait jamais été bonne. Quelques-uns l’ont bien recommandée par opinion, mais je ne vois personne digne de foi qui en assure par l’expérience qu’il en ait faite. Il s’en faut plus de vingt sortes de simples que nous ne la puissions faire aujourd’hui telle que la requiert Andromachus ; mais, quand nous l’aurions toute telle, je serais très marri de m’en servir en la morsure des animaux délétères, et je me rendrais très coupable devant Dieu et très indigne de ses grâces si je me fiais à un si chétif et si malencontreux remède pour la guérison des fièvres pestilentes, vu que nous en avons de meilleurs en main.

Mais quelque autre m’objectera : Galien même en a fait un traité tout exprès, qui se lit aujourd’hui parmi ses œuvres sous le titre de Theriaca ad Pisonem, et ad Pamphilianum ; [38] mais je lui réponds que ce traité de Theriaca n’est non plus de Galien que le Prêtre Jean ou l’empereur des Abyssins [39] est l’ancien Thersite d’Homère. [10][40] Il n’est ni ne peut être de Galien pour les raisons suivantes. 1. Le style en est tout à fait dissemblable, ce que Mercurial même a autrefois avoué. [11][41] 2. Il y a là-dedans diverses propositions erronées et manifestement contraires aux principes de la dogmatique que nous ont enseignée Hippocrate et Galien[42] 3. Ce livre contient des impiétés et des superstitions magiques ; or est-il que Galien ne fut jamais tel, combien qu’il fût païen et privé de la connaissance de la vraie religion ; je m’en rapporte à ce qu’il a dit et prononcé de Dieu, très sagement, dans ses divins livres de l’usage des Parties[12][43] 4. Ce livre est tout plein de faussetés étranges lorsqu’il s’emporte à louer la thériaque et qu’il en dit ou promet des choses si fort impossibles que j’aurais autant de raison de croire tout ce que chante l’histoire fabuleuse du Chevalier du Soleil que ce livre de Theriaca ad Pisonem, qui est un pur Roman de la thériaque[13][44]

D’où vient que, pour ces raisons et plusieurs autres, tant de savants hommes, depuis tantôt deux cents ans, se sont élevés contre la thériaque, les uns se moquant de cette composition extravagante, en une si grande quantité d’ingrédients chauds, froids, secs, humides, purgatifs et narcotiques, mêlés si mal à propos ensemble et si témérairement confus qu’il faudrait être plus clairvoyant qu’un ange pour en démêler la manifeste confusion qui s’y voit et rencontre partout ; les autres reconnaissant par l’expérience que tout ce qu’en ont dit quelques Anciens est faux. C’est pourquoi elle a été fort à propos condamnée par tous les illustres auteurs : Nicolaus Leonicenus, [45] Santes de Ardoynis, in io tractatu de venenis, [14][46] Manardus in Epistolis medicinalibus, [15][47][48][49][50] Fuchsius in Paradoxis, [16][51] Dessennius Cronenburgius, [17][52][53] Ioannes Baptista Theodosius in Epistolis, [18][54] Julius Alexandrinus[55] qui a fait un livre tout exprès contre la thériaque et les abus qu’il y a de s’en servir dans la guérison de la peste, [19] Matthiole, [20][56] Vincentius Calzavelia[57] en son traité de Abusu thriacæ in febribus pestilentialibus, Alex. Massaria[58] dans le livre qu’il a fait sous le même titre, le savant Caspar Hofmannus, en plusieurs de ses livres[21][59] et plusieurs autres que je ne pourrais ici dénommer sans ennui. Et par conséquent, elle n’est bonne à rien, et tout à fait indigne d’être mise au nombre et au rang des bons médicaments de la vraie et pure médecine, de laquelle, entre autres, font profession les médecins de la Faculté de Paris. [60]

Je mets au rang de la thériaque une autre fameuse composition faite d’environ cinquante simples, tous barbares et aussi étranges qu’ils sont étrangers : c’est ce qui s’appelle aujourd’hui mithridatium Damocratis[22] qui est une pure charlatanerie ; d’où vient même que les charlatans et les fourbes sont aujourd’hui nommés vendeurs de mithridate, comme imposteurs publics et coupeurs de bourses. C’est un impertinent fatras et un ramas fort inutile de plusieurs remèdes chauds, avec de l’opium, même en assez bonne quantité, mélangés tous ensemble si mal à propos qu’il y a grande apparence que celui même qui en a fait le premier mélange autrefois n’aurait pu dire à quoi tout ce grand colosse de remèdes pourrait servir. S’il n’y entrait point d’opium, je prendrais le mithridate pour une confection fort chaude, qui ne serait pas meilleure que la thériaque ; mais ce poison très pernicieux mêlé parmi me fait douter de tout, et ne sais quel parti je dois prendre à lui assigner quelque qualité. C’est pourquoi j’aime mieux t’avertir, cher lecteur, que ce mithridate est un remède aussi inutile et aussi impertinent que la thériaque, et je te conseille de ne jamais te servir de l’un ni de l’autre en état de santé ou en maladie quelconque, si tu ne veux être trompé.

Tibi laus, decus, imperium, Deus et Pater
Domini nostri Iesu Christi
in Spiritu Sancto
[23]

Fin des Observations.

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a.

Méthode d’Hippocrate, Observation xi, pages 87‑94. Pour le confort de la lecture, j’ai inséré quelques sauts de paragraphe.

1.

Le français qui suit le grec (apo tôn thêrion) en donne la traduction ; v. note [9], lettre 5, pour une définition de la thériaque et une explication de son étymologie.

2.

Métathèse : « figure grammaticale, qui se fait par une transposition de lettres dans un mot, ou de mots dans un discours » (Furetière). En grec, to thêrion, « la bête sauvage », a donné l’adjectif thêriakos, « qui concerne les bêtes sauvages » et, par métathèse (glissement de sens), « bon contre les bêtes sauvages ». L’extension devient plus criante encore quand on passe des morsures de serpent aux fièvres malignes.

3.

V. note [24], lettre 117, pour cette citation de Pline l’Ancien.

4.

V. note [2], lettre 1001, pour Andromaque l’Ancien (Andromachus) et le nom de galênê qu’il a d’abord donné à sa thériaque.

Damocratès (ou Démocratès), médecin grec de Rome au ier s. (contemporain d’Andromaque et de Néron), a écrit deux livres en vers iambiques grecs (v. notule {a}, note [5], lettre 47), aujourd’hui disparus, touchant la composition des médicaments, intitulés Philiatros [L’ami de la médecine] et Klinikos [Le médecin]. Galien en a cité quelques fragments sur la description du mithridate (v. infra note [22]) et de la thériaque (la sienne étant un peu différente de celle d’Andromaque). Pline (son contemporain) a parlé de Damocratès en deux endroits de son Histoire naturelle.

Mithridate vi Eupator, c’est-à-dire le Grand, roi du Pont (Bosphore) au ier s. av. J.‑C., échoua dans sa lutte acharnée contre Rome. En l’an 63 av. J.‑C., il décida de mettre fin à ses jours en absorbant du poison, mais sans effet « soit parce qu’il en faisait un fréquent usage, soit parce qu’il avait coutume de se servir d’antidote, surtout de celui qui porte son nom. Voyant qu’il avait manqué son coup de ce côté-là, il eut recours au fer, dont il se frappa d’une main caduque et mal assurée ; mais comme il n’en fut blessé que légèrement, il pria un officier gaulois de lui rendre le funeste service de l’achever » (Éloy). V. note [98] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii, pour le récit d’Appien d’Alexandrie.

Ce roi antique a laissé à la médecine les mots mithridate (le remède opiacé dont on lui a attribué l’invention), mithridatisation (prises régulières d’une substance toxique à petites doses pour s’en prémunir en y accoutumant le corps) et mithridatiser.

5.

Fondées sur les qualités (tempéraments) des quatre humeurs du corps (v. note [4], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656), ces notions de froid et de chaud, comme d’humide et de sec, s’appliquaient aussi aux maladies et aux médicaments. L’entrée Remède de notre glossaire en donne une brève explication. Tout cela n’a toutefois plus aucun sens aujourd’hui en médecine.

6.

Du grec lêthê, oubli, la léthargie est une « indisposition assoupissante, avec fièvre lente, oubliance [perte de mémoire] et lâcheté [relâchement musculaire]. Elle procède d’une intempérie du cerveau, froide et humide, causée de matière flegmatique. La léthargie est différente du care [coma], pource que celui-ci est sans fièvre, ou que, du moins, la fièvre violente le précède, au lieu que la léthargie est suivie d’une fièvre lente. Celse met la léthargie au nombre des maladies aiguës, et on en meurt d’ordinaire dans le septième jour. La léthargie succède d’ordinaire à la frénésie. Il y a des gens qu’on a crus morts, qui étaient seulement tombés en une grande léthargie » (Furetière). Hors de la médecine, au sens figuré, la léthargie était aussi déjà une « insensibilité et nonchalance en toutes choses » (ibid.).

7.

« elle ne tire rien de la partie affectée » (simple enjolivement du discours, sans source latine identifiée).

8.

« Tout y est au plus haut degré de putréfaction et d’échauffement » : traduction contextuelle d’un latin défectueux car putredinis, génitif du substantif féminin putredo [putréfaction], ne peut s’accorder avec les adjectifs génitifs masculins calidi [chaud] et extranei [extérieur, étranger] ; pour rétablir une cohérence, j’ai remplacé calidi extranei par caloris extremi [chaleur extrême] (mais avec pléonasme entre summa, au plus haut degré, et extremi).

9.

Ce chapitre du traité de Galien « sur les Différences des pouls » contient un beau discours sur la langue des savants ; tout mérite d’être lu, mais je n’en ai extrait que cet éloquent passage (Kühn, volume 8, pages 586‑587, traduit du grec) :

Quid tu non vis bone vir addiscere linguam Græcam ? Barbare, ut velis, sonaveris. Tantum ut ego permitto pro tuo tibi arbitrio loqui, sic mihi, ut doctus sum, concede, ut dicam. Patrem habui, qui adamussim teneret Græcam linguam, essetque doctor et pædagogus Græcus ; in hic altus vocabulis sum, nescio tua. Nec mercatorum mihi, aut cauponum, aut publicanorum usum nominum adducas. Non usus sum istorum hominum consuetudine, a puero in veterum versatus sum libris. Atque hæc dico, nec ulli dixi tamen unquam, vel heus tu barbare sonas, vel solœcismum commitis, vel parum bene et proprie appellasti. Imo loqui, ut volunt, omnibus per me quidem licet, ut etiam gubernator dicat : Adducas pes, nil laboro. Phavorinus hæc et Dion, non ego reprehendo ; tantum sermonem volo intellegere. Qui si me quando perplexum habet, ibi necessum quærere mihi est, qui interpretari nomen velit. Si aperit sensum, taceo : neque incuso, vel exprobro, quod a consuetudine desciverit Græcorum. Una duntaxat mihi cura, capiendi sensum sermonis. Istis hoc, ut videtur, non satis est ; sed quum nos utamur Græcorum nominibus, tum nos illi primum accusant, atque nunc dialecticos agunt, nunc physicos quosdam, alias oratores, nonnunquam grammaticos. Variis enim modis nos divexant. Deinde quum quis in longiorem cum iis disputationem necessario deductus, imperitiam detegat omnium quæ quasi nossent, jactabant, statim sui ipsi obliti, quæ initio esse utilia defendebant, hæc ipsa accusant. Quis est de istis audacibus, qui nobis non insultet, quando differentias dicamus pulsuum generum tot esse, male differentias contendens nos dixisse, et multo etiam pejus generum. Nos autem ut inanem contumeliam istorum vitemus, age qualitates, dicimus, eas vocaveris, aut quomodocunque cordi tibi sit ; neque enim de nominibus nos, sed de rebus disputamus.

[Toi qui es honnête homme, pourquoi ne veux-tu pas apprendre la langue grecque ? Parle donc comme un barbare, si tu veux, je te permets de faire à ta guise, mais autorise-moi à parler comme j’ai appris. J’ai eu un père fidèlement attaché au grec, langue qu’il maîtrisait et enseignait régulièrement, et c’est celle que je connais parfaitement, mais j’ignore la tienne. Tu ne me convaincras pas d’employer le vocabulaire des boutiquiers, des cabaretiers ou des extorqueurs. {a} Je n’ai pas les mœurs de ces gens car, dès l’enfance, je me suis plongé dans les livres des vieux auteurs. Je te dis ce que je n’ai encore jamais dit à personne : exprime-toi donc comme un barbare, commets des solécismes, emploie des mots fautifs et impropres ! Et même plus, je laisse à chacun la liberté de parler comme il veut, suivant en cela la volonté du gouverneur : « Là où tu mets le pied, je ne m’en soucie pas. » Pour ma part, je ne critique ni la langue de Favorinus ni celle de Dion, {b} je veux seulement comprendre leurs discours. Quand un auteur me plonge dans la perplexité, alors je me mets à chercher pour savoir ce qu’il a voulu dire ; si je trouve, je me tais, je ne l’accuse ni ne le blâme pour s’être écarté de la bonne langue grecque. Mon unique souci est de comprendre le sens du texte. Cela, semble-t-il, ne leur suffit pas : quand nous employons les mots des Grecs, ils nous en font reproche, agissant alors tantôt en raisonneurs, tantôt en naturalistes, tantôt en donneurs de leçons, {c} car ils savent nous tourmenter de bien des façons. À la fin, quand celui qu’ils ont nécessairement emmené à une trop longue supputation met au jour leur ignorance de tout ce qu’ils font mine de connaître, alors, aussitôt oublieux de leurs propres mots, ils mettent en cause ce qu’ils affirmaient et défendaient initialement comme étant d’utiles vérités. Quand nous enseignons qu’il existe quantité de genres de pouls, aucun de ces insolents ne nous ferait injure en contestant, ou en faisant bien pis encore, les différences que nous avons énoncées ; mais pour nous garder de leurs affronts, eh bien soit ! nous nommons ces qualités. Appelle-les comme nous ou comme le cœur t’en dira, car nous ne discutons pas des noms, mais bien des faits].


  1. Traduction péjorative de publicanus (telônês en grec), percepteur d’impôts.

  2. V. note [40], lettre 99, pour Favorinus, et [3], lettre latine 322, pour Dion de Pruse ; ces deux rhéteurs grecs des ier et iie s. étaient respectivement originaires de Gaule et de Bithynie.

  3. Traduction péjorative de grammaticus, grammairien.

C’est au De optima secta ad Thrasybulum liber [Livre sur la meilleure secte, à l’intention de Thrasybulus] que Galien a le plus explicitement donné un avis sur les médecins adeptes des qualités occultes (kékrumménes, cachées, en grec), c’est-à-dire qui dépassent l’entendement présent (v. note [7], lettre 3), Kühn, volume 1, pages 109‑110 (traduit du grec) :

Apparentium igitur, quæ non ex seipsis comprehenduntur, judicatoria, ut dixi, sunt sensoria : quæ non vero ex se, sed ex aliis cognoscuntur, judicatorium est observatio : dico autem eorum, quæ signis percipiuntur. Rursus occultorum ut plures sunt differentiæ, ita etiam judicatoria diversa. In occultis alia evidentia sunt, exempli causa, fieri non potest, ut idem homo simul Athenis sit et in Ægypto ; alia demonstratione intelliguntur. Jam evidentium sane judicium est communis omnium hominum notitia. Eorum quæ demonstratione comprehenduntur, judicatio consensus est cum iis, quæ in confesso habentur. Scinditur autem rursus confessi judicium multifariam : vel enim consensu, quem eum apparentibus obtinet, confessum judicatur : vel eo, quem cum evidentibus, vel illo, quem cum demonstratis. Quomodo igitur judicare conveniat verum, et quæ ad veri judicium ducunt, exposimus.

[Le jugement porté sur les choses visibles qui ne se comprennent pas d’elles-mêmes, ressortit, comme j’ai dit, aux perceptions sensorielles ; c’est-à-dire à ce qui n’est pas connu en soi, mais par l’intermédiaire d’autres phénomènes, et que la simple observation ne permet pas de discerner ; c’est ce que j’appelle aussi la perception à l’aide des signes. Autant il y a de différences dans les phénomènes occultes, autant il y a de diversité dans la façon de les juger. En cette matière, les preuves sont à établir différemment : par exemple, un même homme ne peut pas être à la fois à Athènes et en Égypte ; il faut recourir à une démonstration illogique pour rendre cela possible. Le savoir commun à tous les hommes se fonde sur les preuves concrètes. Nul ne conteste ce qu’une démonstration factuelle permet d’établir. En revanche les avis divergent sur ce qui n’a été qu’affirmé : les uns tiennent ce postulat pour une illusion des sens, mais d’autres le rangent parmi les faits évidents ou démontrés. Nous avons donc ici exposé comment il convient d’établir la vérité, et ce qui mène au jugement du vrai]. {a}


  1. Ma traduction a pris quelques libertés avec le latin de Kühn (et de ses prédécesseurs), mais elle permet de comprendre que Galien n’était guère partisan des qualités occultes et se fiait plus à l’objectif qu’au subjectif.

10.

V. note [6], lettre 213, pour les titres de ces deux traités galéniques « de la Thériaque à Pison » et « à Pamphilien » (dont le texte de l’observation ne fait ici qu’un seul et même traité), avec les renvois vers d’autres notes qui discutent leur caractère apocryphe.

L’arrogant et grossier guerrier achéen Thersite est dépeint et ridiculisé dans un des fameux épisodes de l’Iliade (chant ii vers 211‑277, Hodoï elektronikaï) :

« Tous s’asseyaient et se rangèrent sur les bancs. Seul Thersite, parleur sans mesure, piaillait encore. Son esprit abondait en paroles de désordre pour chercher vainement, mais contre le bon ordre, querelle aux rois avec tout ce qu’il jugeait propre à faire rire les Argiens. Il était le plus laid des hommes venus devant Ilion : {a} louche, boiteux d’une jambe, la poitrine creuse entre des épaules voûtées ; là-dessus une tête pointue, où végétait un rare duvet. Il était détesté surtout d’Achille et d’Ulysse car c’est contre eux que, d’habitude, il récriminait. Cette fois, c’était contre le divin Agamemnon {b} que, d’une voix aiguë, il débitait des injures : c’était à lui, en effet, que les Achéens en voulaient extrêmement, fort irrités en leur cœur. Aussi, criant très fort, Thersite querellait Agamemnon :

“ Atride, de quoi encore te plains-tu, où as-tu besoin ? Elles sont pleines de bronze, tes baraques ; beaucoup de femmes s’y trouvent aussi, des femmes de choix, que nous, les Achéens, nous te donnons, à toi avant tout autre, quand nous prenons une ville. Veux-tu encore l’or que t’apportera, peut-être, quelque Troyen dompteur de chevaux, d’Ilion, comme rançon de son fils, ligoté et amené ici par moi ou par un autre Achéen ? Veux-tu quelque jeune femme, pour t’unir à elle d’amour et la garder pour toi seul, loin de tous ? Il ne convient pourtant pas à leur chef de jeter dans le malheur les fils d’Achéens. Ô êtres mous, vils objets d’opprobre, Achéennes et non plus Achéens, rentrons donc chez nous avec nos vaisseaux et laissons cet homme ici, en Troade, savourer ses récompenses, pour qu’il voie si nous lui sommes de quelque utilité, ou non. Voilà qu’encore, maintenant, Achille, un homme bien supérieur à lui, il l’a déshonoré ! Il lui a pris et détient sa récompense que, de lui-même, il a ravie. Achille, certes, n’a pas de bile dans le cœur, il laisse tout faire ; autrement, Atride, c’eût été ton dernier méfait. ”

Ainsi parlait, querellant Agamemnon, pasteur de troupes, Thersite. Près de lui, soudain, se dressa le divin Ulysse, {c} qui, le regardant en dessous, l’invectiva rudement :

“ Thersite, bavard inconsidéré, quoique orateur à la voix claire, retiens-toi et ne prétends pas, seul, chercher querelle aux rois. Il n’y a pas, je l’affirme, pire mortel que toi entre tous ceux qui sont, avec l’Atride, venus devant Ilion. Ainsi tu pourrais éviter d’avoir sans cesse le nom des rois à la bouche, de proférer contre eux des outrages, de veiller au retour ! Nous ne savons encore clairement comment les choses iront, si nous nous en retournerons, bien ou mal, nous, fils d’Achéens. Et toi, maintenant, l’Atride Agamemnon, pasteur de troupes, tu es là à l’insulter, parce qu’il reçoit beaucoup des héros danéens, et tu tiens des propos blessants. Eh bien ! je vais te dire, et ceci s’accomplira : si je te prends encore à déraisonner comme aujourd’hui, qu’Ulysse ne garde plus sa tête sur ses épaules, qu’on ne m’appelle plus le père de Télémaque si je ne t’attrape moi-même, si je ne t’enlève tes vêtements, manteau, tunique, et ce qui couvre ton sexe, si je ne te renvoie, pleurant, vers les vaisseaux fins, chassé de l’agora avec des coups déshonorants. ”

Il dit et, de son sceptre, sur le dos et les épaules, lui donna des coups. Thersite se courba, laissant tomber de grosses larmes ; une tumeur sanguinolente se gonfla sur son dos, frappé par le sceptre doré. Il s’assit, effrayé et, souffrant, regardant sans voir, essuya ses larmes. Les Achéens, malgré leur affliction, rirent de lui doucement, et chacun disait en regardant son voisin : “ Ah ! vraiment, Ulysse a fait mille belles actions en proposant de bons avis et en armant la guerre ; mais aujourd’hui il fit mieux que jamais, parmi les Argiens, en imposant silence à cet insulteur blessant. Sans doute, après cela, son cœur arrogant ne le poussera plus à quereller les rois, avec des injures. ” »


  1. Troie.

  2. Roi des Atrides, v. note [55] de l’Autobiographie de Charles Patin.

  3. L’un des chefs grecs (Danéens, Argiens ou Achéens selon leur contrée d’origine) placés sous les ordres d’Agamemnon, v. note [14], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661.

Établir une relation entre cet antihéros homérique et l’empereur des Abyssins, autrement appelé Prêtre Jean, Grand Négus ou roi d’Éthiopie (v. note [1], lettre 697), ressemble fort à une facétie de Guy Patin (je n’y ai pas trouvé de source littéraire) pour marquer la profonde absurdité de comparer Galien à l’auteur du traité de la thériaque.

11.

Girolamo Mercuriali (v. note [16], lettre 18) a consacré plusieurs chapitres de ses ouvrages aux observations de Galien sur la thériaque. Il s’y est interrogé sur leurs contradictions, mais je n’ai pas trouvé de passage où il mettait explicitement en cause l’authenticité des deux traités de Galien sur ce sujet.

12.

Le traité de Galien « sur l’Utilité des parties [du corps humain] » (v. note [2], lettre 297) est composé de 17 livres. Le plus clair témoignage de son admiration pour les œuvres divines s’y lit dans le livre iii, à propos de « ceux qui blâment la nature de n’avoir pas fait des pieds la voie par où s’échappent les excréments, […] car il est bien pénible de se lever de son lit pour aller à la selle » (Daremberg, volume 1, pages 261‑262) :

« Quels doivent être, pensez-vous, les dérèglements infâmes qu’un tel homme se permet dans son intérieur, son insolence contre tous les conduits excréteurs du corps, la dépravation, la corruption des plus belles facultés de son esprit, puisqu’il appauvrit et obscurcit cette puissance divine qui seule permet à l’homme de contempler la vérité, et < puis>qu’il accroît, fortifie et rend insatiable ce désir de volupté contre nature, puissance abrutissante et détestable qui exerce sur lui sa tyrannie farouche ?

Si je m’arrêtais plus longtemps à parler de telles brutes, j’encourrais peut-être les justes reproches des hommes sensés ; ils m’accuseraient de profaner le discours sacré que je consacre comme un hymne sincère au créateur des hommes. Je pense que la piété véritable consiste non à immoler des hécatombes {a} sans nombre, non à brûler mille encens, mille parfums ; {b} mais à connaître d’abord et ensuite à apprendre à mes semblables combien grande est la sagesse, la puissance et la bonté du créateur. S’il a donné, autant que possible, à chaque être sa parure appropriée, si rien n’échappe à ses bienfaits, je déclare que c’est la marque d’une bonté achevée : qu’il soit donc par nous célébré comme bon ! S’il a su trouver en tout les dispositions les plus parfaites, c’est le comble de la sagesse ! S’il a fait tout comme il l’a voulu, c’est la preuve d’une puissance invincible !

Si donc vous admirez le bel ordre qui règne dans le soleil, dans la Lune et dans le cortège des astres ; si vous contemplez avec étonnement leur grandeur, leur beauté, leur mouvement éternel, leur retour périodique, n’allez pas, en comparant les choses de ce monde, les trouver mesquines ou mal ordonnées. Ici même vous rencontrerez une sagesse, une puissance, une prévoyance égales. Examinez bien la matière, principe de chaque chose, et ne vous imaginez pas que du sang menstruel ou du sperme puisse donner naissance à un être immortel, {c} impassible, agité d’un mouvement perpétuel, aussi brillant, aussi beau que le soleil ; mais comme vous jugez l’habileté d’un Phidias, {d} sa statue, fût-elle de bois vil, de pierre commune, de cire ou de boue. Ce qui frappe l’ignorant, c’est la beauté de la matière ; la beauté admire la beauté de l’œuvre.

Eh bien, instruisez-vous dans les merveilles de la nature, afin que nous vous traitions, non plus d’ignorant, mais d’homme instruit dans les choses de la nature. Faites abstraction de la différence des matières, considérez l’art nu ; quand vous examinez la structure de l’œil, songez que c’est l’organe de la vision ; quand vous examinez le pied, que c’est l’organe de la marche. Si vous voulez avoir des yeux faits de la substance du soleil, et des pieds d’or pur, non de chair et d’os, vous oubliez quelle matière les constitue. Considérez si cette substance est une lumière céleste ou un terrestre limon, car vous me permettrez de donner ce nom au sang de la mère qui pénètre dans l’utérus. Si vous avez donné de l’argile à Phidias, vous ne lui réclamerez pas une statue d’ivoire. De même, avec du sang vous n’obtiendrez jamais un soleil, une Lune ou ce corps brillant et beau dont ils sont faits. Ce sont des corps divins et célestes, nous ne sommes, nous, que des statues de limon. L’art du créateur est égal de part et d’autre »


  1. Étymologiquement, une hécatombe (du grec hékatombê) est un sacrifice de cent (hékaton) bœufs (bous).

  2. Traduction de casia (mot bilingue, grec et latin) par « parfum » : distincte de la casse purgative (cassa en latin), la casse odorante (casia) est l’écorce précieuse d’un arbre d’Inde qui ressemble à l’arbre à cannelle.

  3. Bien avant la découverte des spermatozoïdes et des ovules, les Anciens considéraient la conception comme l’union du sperme (jugé immortel car transmis du père à l’enfant) avec le sang menstruel, tenu pour être la semence féminine (v. note [17] de L’homme n’est que maladie).

  4. Sculpteur grec du ve s. av. J.‑C.

13.

Le Chevalier du Soleil est le titre français d’un roman de Diego Ortuñez de Calahorra, écrivain espagnol du xvie s. :

L’admirable histoire du chevalier du Soleil. Où sont racontées les immortelles prouesses de cet invincible guerrier et de son frère Roscilair, enfants du grand empereur de Constantinople, avec les exploits généreux et les aventures amoureuses de la belle et vaillante princesse Claridiane, et autres grands seigneurs. Ouvrage qui sert de miroir à tous princes et chevaliers. Traduit d’espagnol en notre langue par François de Rosset {a} et Louis Douët. {b}


  1. V. note [23] du Borboniana 7 manuscrit.

  2. Paris, Jean Fouët et Samuel Thiboust, 1620-1626, 8 volumes in‑8o, réimpression en 1643.

    Cette allusion de Guy Patin à un romancier espagnol aujourd’hui tombé dans l’oubli me donne l’occasion de dire ma surprise que Miguel Cervantes (mort en 1616) et son Don Quichotte (publié pour la première fois en français, sous le titre de Don Quixote, en 1620) ne figurent dans aucun texte de notre édition (lettres ou ana). Cela tient probablement au fait, dont Patin est souvent convenu, que les savants hommes répugnaient à lire les romans (et plus encore à en parler).

    Je n’en dirai pas autant d’une autre célébrité universelle, William Shakespeare (mort lui aussi en 1616), car ses œuvres n’ont guère été connues en France avant le xviiie s.


Tout autant que la précédente (v. supra note [10]), cette assertion a une forte odeur de sarcasme patinien.

14.

Niccolo Leoniceno (Nicolas Léonicène) a surtout parlé de la thériaque aux fos 11‑14 de son De Plinii et aliorum medicorum erroribus liber [Livre sur les erreurs de Pline et d’autres médecins] (Ferrare, 1509, v. note [28], lettre latine 75), s’interrogeant sur sa composition exacte et sur les serpents contre lesquels elle protège, et faisant bien comprendre qu’on ne peut plus être certain que la thériaque moderne, adultérée par les Arabes, a les mêmes vertus que celle de l’Antiquité.

Santes de Ardoynis (Sante Arduino), médecin vénitien du xve s., est l’auteur d’un Liber de venenis [Livre sur les poisons], divisé en sept traités, qui a été publié pour la première fois à Venise en 1492 ; il a été réédité (Bâle, sans nom, 1562, in‑fo) sous le titre complet de :

Santis Ardoyni Pisaurensis Medici et Philosophi præstatissimi Opus de venenis. A multis hactenus desideratum, et nunc tandem castigatissime editum. In quo naturalis primum historia venenatorum omnium, sive natura sive arte constent, fidelissime proponitur (quam partem Theriacam Græci vocant) et quibus signis venena non in genere tantum, sed etiam in specie cognosci ac dijudicari debeant, ostenditur. Deinde vero Alexipharmacia, hoc est, ratio tum præcavendi venena, tum curandi, elegans, copiosa, secura, planeque methodica, et post omnes alios, qui in consimili argumento versati sunt, perfectissima et absolutissima traditur. Cum præfatione luculenta, in qua Methodus venenorum cognoscendorum atque curandorum, summa arte, brevitate et facilitate docetur. Adiunximus eiusdem generis commentarium doctissimum, Ferdinandi Ponzetti cardinalis. Indicem præterea rerum atque verborum, copisissimum.

[Ouvrage sur les poisons de Santes de Ardoynis, natif de Pesaro {Marches italiennes}, très éminent médecin et philosophe. Beaucoup l’ont désiré jusqu’à ce jour, le voici enfin réédité et entièrement corrigé. D’abord y est très fidèlement présentée l’histoire naturelle de tous les empoisonnements, qu’ils surviennent naturellement ou par artifice (c’est la partie que les Grecs appellent Theriaca), et où il est montré sur quels signes les poisons, tant en général qu’en particulier, doivent être reconnus et distingués les uns des autres. Ensuite est relatée l’Alexipharmacie, c’est-à-dire la façon tant de se prémunir contre les empoisonnements que de les traiter, selon un système élégant, riche, sûr, et tout à fait méthodique, mais aussi bien plus soigné et complet que ce que tous les autres ont précédemment proposé sur le même sujet. Avec une brillante préface {de Theodor Zwinger, v. note [34], lettre 297} qui enseigne, avec très grand talent, brièveté et simplicité, la méthode pour diagnostiquer et soigner les empoisonnements. Nous y avons joint le très savant commentaire, de même qualité, du cardinal Ferdinando Ponzetti {1444-1527, médecin du pape Innocent viii} et un très riche index des matières et des mots].

La thériaque, sous toutes ses formes, occupe presque une page entière de l’index : son efficacité contre les poisons et les venins de serpent est amplement reconnue et détaillée, pourvu qu’elle soit prescrite avec discernement et selon les règles de l’art.

15.

V. note [6], lettre latine 61, pour les 20 livres de « Lettres médicales » de Giovanni Manardi (Lyon, 1549, pour l’une des nombreuses éditions). La lettre iii du livre vi (pages 90‑94), à Franciscus Caballus, professeur de médecine à Padoue au xvie s., datée de Buda (en Hongrie, où Manardi servait le roi Vladislav ii) le 26 août 1518, est entièrement consacrée à critiquer la thériaque de son siècle.

16.

Paradoxorum medicinæ libri tres, in quibus sane multa a nemine hactenus prodita, Arabum ætatisque nostræ medicorum errata non tantum indicantur, sed et probatissimorum autorum scriptis, firmissimisque rationibus ac argumentis confutantur, D. Leonardo Fuchsio Marchionum Brandenburgensium archiatro, autore. Obiter denique hic Sebastiano Montuo medico Rivoriensi respondetur, eiusque annotatiunculæ, velut omnium frigidissimæ, prorsus exploduntur

[Trois livres de Paradoxes de médecine, où une très grande quantité de faits, que nul n’a encore mis en avant, montre les erreurs des Arabes et des médecins de notre temps, et les réfute aussi par les écrits des auteurs les plus reconnus, et par les raisons et les preuves les plus solides. Par Leonhard Fuchs, {a} archiatre de la Marche de Brandebourg. {b} Chemin faisant, il répond à Sebastianus Montuus, médecin natif de Rieux, {c} et réfute absolument ses petites annotations, qui sont à tenir pour les plus insipides de toutes]. {d}


  1. V. note [5], lettre 123.

  2. V. note [1], lettre latine 320.

  3. Dans une compilation publiée en 1548, Sébastien Monteux (ou Dumont) avait contesté la première édition du livre de Fuchs, parue en 1535 ; Rieux est aujourd’hui Rieux-Minervois dans le département de l’Aude.

  4. Paris, Carola Guillard, veuve de Claudius Chevalonius, 1555, in‑4o.

Le titre du chapitre xlii, livre i, suffit à traduire la pensée de Fuchs :

Theriacam, cuius vix hodie verum extat nomen, eos quos veteres pollicentur effectus nostro seculo non præstare, quod multa huius confectionem constituentia, nedum a pharmacopolis, sed a medicis etiam ignorentur.

[La thériaque, dont le nom n’a presque plus aucune authenticité, ne produit plus aujourd’hui les effets qu’en promettaient les Anciens, parce que les pharmaciens, tout autant que les médecins, ne connaissent plus maints ingrédients qui sont requis pour sa confection]. {a}


  1. Nous voici, hélas, bel et bien revenus au latin dont j’ai déploré la barbarie dans la notule {g}, note [15] supra.

17.

Bernhard Dessen van Cronenburg (Bernardus Dessennius Cronenburgius, Amsterdam 1510-Cologne 1574), docteur de la Faculté de Bologne, exerça et professa la médecine à Cologne : De Compositione medicamentorum, hodierno ævo apud Pharmacopolas passim extantium, Libri x… Simplicium atque Aromatum nomenclaturis Latinis ac Germanicis tantum ab autore antea editis, nunc etiam Gallicas et Italicas in harum nationum gratiam adjecimus, cum Indice earundem omnium locupletissimo [Dix livres sur la Composition des médicaments qu’on trouve aujourd’hui partout chez les pharmaciens… Aux dénominations latines et allemandes des simples et des aromates, que l’auteur avait seules données précédemment, nous avons ajouté les françaises et les italiennes, pour le profit de ces deux nations, avec un très riche index qui les réunit toutes] (Lyon, Guillaume Rouillé [ou Roville, v. note [5], lettre de Charles Spon, datée du 5 mars 1658], 1556, in‑8o).

Trois sections du livre i, intitulées Theriaca Andromachi Iunioris, ex viperis, dicta Galene [La thériaque d’Andromaque le Jeune (sic pour l’Ancien), dite Galênê (v. note [2], lettre 1001)] (pages 112‑130), Theriaca Manardi [La thériaque de Manardi (v. supra note [15])] (pages 130‑134) et Theriaca diatessaron Mesuæ [La thériaque diatessaron de Mésué (v. note [5], lettre latine 412)] (pages 134‑140), et un Appendix [Appendice] (pages 140‑147) traitent de la thériaque. Maints passages de cette longue compilation dénoncent les adultérations et substitutions des multiples substances qui entrent dans la composition du remède, mais sans jamais le condamner généralement. Parmi ces abus, sans prétendre avoir tout lu attentivement, mon œil a été accroché (pages 128‑129) par ce propos sur le bitume thériacal, auquel on a donné le nom français de « pierre gagate » (car on en ramassait sur les rives du fleuve Gagas en Cilicie) :

Quanquam Arabs insuper aliam compositionem assignet, nimirum pissasphaltum factitium, quo mortuorum corpora condiebantur, ex myrrha et aloë, humana pinguitudine exceptis. Brasavolus docte et evidenter rem explicat, sed quoniam pretiosam illam Syriacorum nobilium ac divitum demortuorum condituram ad nos adferro non putem, malo vulgarem Mummiam substituere, aut verius siccatam picem accipere, præsertim quando hæc cum asphalto et vim et ordinis facultatem sortiatur. Quin tutius est, rem cognitam ac synceram, quam peregrinam et multis abominabilem usurpare

[La langue arabe y ajoute pourtant une autre composition qui porte le nom de pissaphalte factice, {a} fait de myrrhe et d’aloès, avec lequel on accommodait les morts pour préserver leurs corps de la putréfaction. Brasavola {b} explique cela clairement et savamment ; mais puisque je pense qu’on n’apporte pas chez nous cette confiture de défunts Syriens, nobles et riches, je préfère y substituer de la momie commune {c} ou, bien mieux encore, employer de la poix desséchée, surtout quand j’ai le choix entre elle et l’asphalte, pour sa force et la régularité de son effet. N’est-il pas plus sûr d’utiliser une substance connue et authentique, qu’une substance étrangère et horrifiante aux yeux de beaucoup de gens ?]


  1. V. notule {b}, note [9], observation x, pour le véritable pissaphalte bitumineux.

  2. Antonio Musa Brasavola, v. note [15], lettre 409.

  3. V. notule {c}, note [9] déjà citée dans la notule {a} supra, pour ce remède aussi extravagant que répugnant.

18.

Les 68 lettres de Ioannes Baptista Theodosius (Giovanni Battista Teodosi), natif de Parme, professeur de médecine à Bologne (mort en 1538 à l’âge de 63 ans), ont été publiées dans les :

Epistolæ medicinales diversorum autorum, nempe : Ioannis Manardi, Med. Ferraninesis, Nicolai Massæ, Med. Veneti, Aloisii Mundellæ, Med. Brixiensis, Io. Baptistæ Theodosii, Med. Bononiensis, Ioan. Langii Lembergii, Med. Principum Palatinor. Rheni. Adjectis indicibus duobus, quorum prior Epistolarum argumenta, posterior rerum ac vocum toto opere memorabilium elenchum continet

[Épîtres médicales de divers auteurs : Giovanni Manardi, médecin natif de Ferrare, {a} Niccolò Massa, médecin natif de Venise, {b} Luigi Mundella, médecin natif de Brescia, {c} Giovanni Battista Teodosi, médecin de Bologne, Johann Lange, natif de Löwemberg, médecin des princes palatins du Rhin. {d} Avec deux index, le premier contient les sujets des lettres et le second, un appendice des choses et des mots mémorables en tout l’ouvrage]. {e}


  1. V. note [2], lettre 533.

  2. Anatomiste et médecin (1489-1569).

  3. V. note [26], lettre 1020.

  4. V. note [17], lettre 264.

  5. Lyon, héritiers de Iacobus Junta, 1556, in‑fo de 557 pages.

L’Epistola ii, adressée à Athanasio, Medico Florentino excellentissimo, de peste et theriaca [Athanasius, très remarquable médecin de Florence, sur la peste et la thériaque], sans lieu ni date (pages 406‑408), avec cette conclusion désenchantée :

Hæc sunt, quæ tibi pollicitus sum scribere de mea theriaca, ut tu cum illis tuis medicis peritissimis iudicium adseras, hæcque eis ostendas, etiam atque etiam te rogo, et potissimum doctioribus, et quonam pacto in compositione vestræ theriacæ processeritis. Quod si mihi persuaseris, omnia ratione et recte ordinata esse, quod minime credo,, in vestram sententiam pedibus ibo. Quod autem in hac opinione firmus perseverarim, autoritas Galeni efficit, cum inquit, quod unius medicaminis adulterati negligentia, potest totam theriacæ compositionem corrumpere. Porro, qui possumus sperare, Athanasi doctissime, eam perfecte confici posse ? ubi maxima pars medicaminum, quæ in ipsa ingrediuntur, ignoratur.

[Voilà ce que j’ai promis de t’écrire au sujet de ma thériaque, de façon que toi et tes très savants confrères me fassiez connaître votre jugement. Montre-leur donc ma lettre, encore et encore, je te prie, et surtout aux plus doctes, et dites-moi comment vous êtes parvenus à composer votre thériaque. Si vous arrivez à me convaincre qu’elle est correctement et tout à fait judicieusement arrangée, ce que je peine à croire, alors je suivrai pas à pas votre sentence. Autrement, je persisterai fermement dans l’opinion fondée sur l’autorité de Galien quand il dit que négliger l’adultération d’une seule de ses substances peut corrompre la composition de la thériaque tout entière. {a} En outre, très savant Athanasius, comment pouvons-nous espérer qu’elle puisse être parfaitement préparée quand nous ignorons la plus grande partie des médicaments qu’on y mélange ?]


  1. Début du chapitre iii, Quomodo opitima theriaca componatur [Comment composer la meilleure thériaque], livre i, du traité de Antidotis [des Antidotes] (Kühn, volume 14, pages 5‑6, traduit du grec) :

    Fit autem hoc præstantissimum, reliquaque prope universa medicamenta, tum propter eorum quæ injiciuntur probitatem, tum ob virtutis inter sese proportionem. Plerique neutiquam singula ipsa privatim probare noverunt, quantum maligna probave existant. Quapropter neque virium inter se proportionem cognoscunt. Unde factum est ut pluribus medicamentis imbecillibus aut temporis spatio, aut genere nonnunquam injectis, validissima ipsis admiscuerint.

    [À elle s’applique une remarque extrêmement importante, qui vaut pour presque tous les autres remèdes, en lien tant avec la bonne qualité des composants qu’on y fait entrer qu’avec l’exacte répartition de leurs vertus respectives. La plupart des médecins ignorent tout à fait comment les évaluer un par un, et combien il en existe de néfastes et d’approuvés. Ils ne savent pas non plus comment il convient de mêler justement leurs bons effets. Il en résulte qu’aux plus puissants, ils en adjoignent d’inefficaces, qu’ils soient périmés ou parfois ajoutés sans discernement].

19.

Iulii Alexandrini a Neustain in Galeni præcipua scripta Annotationes, quæ Commentariorum loco esse possunt. Accessit trita illa de Theriaca Quæstio. Cum Indice copiosissimo [Annotations de Julius Alexandrinus von Neustein (v. note [24], lettre 1020) sur les principaux écrits de Galien qui peuvent tenir lieu de commentaires. Y est ajoutée cette Question rebattue sur la thériaque] (Bâle, Petrus Perna, 1581, in‑fo). Le de theriaca Tractatus [Traité sur la thériaque] occupe les dernières pages (859‑888) du volume et condamne son emploi dans la peste, comme l’énonce fermement la conclusion :

Demonstravimus, ut, si maxime resiccantia tollendæ putredini conveniant, siccitatis tamen eius respectu, quæ præsertim coniuncta cum putedrinoso calore eo tam acri sit, resicantissima, atque extenuantissima convenire nequeant, cuiusmodi in primis pascilli Theriaci habentur. Tum vero venenum inesse in febribus his manifesto satis (nisi fallor) ostendimus nullum : ut ne hac quidem ratione profutura quicquam sit Theriace : præsertim quoniam qua parte potissima illius dos adversus virulentorum animalium venenum ab omnibus censetur, eius in febribus his ne suspicio quidem ulla : in aliis autem quibusdam maiore ad usus hos commendatione Mithridatium æstimetur. Atque ita, cum neque in peste, pestilentique vere febre, ubi omnium maxime futurum opus erat efficacissimis remediis, usus tamen Theriacæ non satis profuturus esse videatur : longe minus ad lenticularium febrium curationem admittetur. Nam, nec qua pestilentes, atque etiam pestilentissimæ interdum evadunt, ob narratas iam causas, conveniet, nec qua mitiores quandoque, minoresque putredine præditæ videntur, eo quod multo tunc putredinis minor habenda ratio, respectusque sit, febris autem paulo maior quam in putredine ingenti illa. Ut iam semper in febribus cuiuscunque tandem modi continuis omnibus, ablegandus Theriacæ omnino usus esse videatur.

[Nous avons démontré que les remèdes desséchants conviennent parfaitement pour supprimer la putréfaction ; mais que, eu égard à la sécheresse qui la caractérise, il ne peut être opportun de joindre à la chaleur putride, si âcre soit-elle, des médicaments extrêmement desséchants et affaiblissants, parmi lesquels les pastilles thériacales tiennent le premier rang. Nous avons ensuite fait voir, de manière assez claire (me semble-t-il), qu’aucun poison n’entre en action dans les fièvres, si bien que la thériaque n’y est d’aucune utilité ; et ce, principalement, parce que si tout le monde reconnaît sa très puissante vertu contre le poison des animaux venimeux, je soupçonne qu’elle n’en ait aucune dans les fièvres ; certains autres estiment néanmoins que le mithridate y est recommandable. Qui plus est, puisque l’emploi de la thériaque ne semble guère utile dans la peste et dans la fièvre authentiquement pestilentielle, où nous aurions tous besoin de remèdes indéniablement efficaces, il paraît encore bien moins justifié de l’administrer pour traiter les fièvres lentes. {a} De fait, pour les raisons que j’ai dites, la thériaque ne convient pas dans les pestilentes, ni même dans celles qui deviennent extrêmement pestilentes, non plus que dans les fièvres plus douces et de moindre gravité qui semblent parfois liées à une putréfaction : il n’y a pas plus de motif à employer la thériaque quand la putréfaction est très modérée que quand elle atteint son plus plus haut degré d’intensité. Il me semble donc enfin que la thériaque soit à proscrire dans toutes les fièvres continues, de quelque sorte qu’elles soient]. {b}


  1. Lenticularis ayant en latin le sens de lenticulaire (en forme de lentille), j’ai pris febrium lenticularium pour un lapsus, à la place de febrium lentarum.

  2. Cette conclusion est fidèle aux préceptes de Galien. De fait, la recommandation de la thériaque contre la peste ne peut lui être imputée car elle n’est énoncée qu’au chapitre vi, livre i, du traité de Antidotis [des Antidotes], dans ces deux vers du poème intitulé Andromachi senioris theriace ex viperis, Galena dicta [La thériaque d’Andromaque l’Ancien, venue des vipères, ou galênê (v. note [2], lettre 1001)] (Kühn, volume 14, page 36, traduit du grec) :

    Pestiferamque luem curat, quæ tempus in omne
    Spiratu gravis est, intima conficiens
    .

    [Elle soigne aussi la maladie pestilente, dont l’exhalaison est en tout temps pernicieuse et ravage les familles].

20.

Le rude et distrayant jugement de Matthiole sur la thériaque et les triacleurs (les charlatans qui la vendent) se trouve dans son commentaire sur l’introduction du livre vi de Dioscoride (Lyon, 1579, v. note [42], lettre 332 ; pages 796, ligne 40‑797, ligne 62) :

« Quant est des médicaments composés, je puis dire que si on composait bien la thériaque comme il appartient, qu’il ne faudrait chercher autres remèdes contre les poisons ; mais parce qu’il me semble qu’il est très difficile de la trouver composée ainsi que sa description le requiert, à cause que plusieurs drogues nous défaillent, comme le cinnamome, le baume, le pétrosélinum de Macédoine, la myrrhe, le folium, le chalcitis (lequel, toutefois, nous pensons maintenant être connu), l’amome, l’asphalte, la canne odorante, {a} toutes lesquelles drogues sont de grande importance ; pource, je ne puis croire que la thériaque qu’on vend aujourd’hui puisse servir au lieu de la vraie et ancienne thériaque, vu mêmement que du temps encore de Galien, auquel les Romains dominaient presque sur tout le monde, la thériaque parfaite et entière ne se pouvait bien faire (ainsi que Galien témoigne au livre i des Antidotes), {b} sinon des empereurs mêmes. Et combien qu’aucuns grands seigneurs du temps de l’empereur Antonin {c} la composassent, si est-ce que plusieurs drogues leur défaillaient. {d} Par quoi je dis que si quelque thériaque de celles qu’on fait aujourd’hui doit être employée en usage, {e} que les médecins diligents soient soigneux qu’au moins ils usent de celle qui aura été composée curieusement {f} et fidèlement par le témoignage de savants et bien fameux personnages, et par expérience approuvée, de telle façon que Galien enseigne aux livres qu’il a écrits à Pison et à Pamphylian. {g} Qu’ils en fassent autant du mithridate, qui est aussi bon contre le poison que la thériaque et se peut faire plus facilement. Que tous donc se donnent garde d’user de la thériaque sophistiquée que vendent ces triacleurs par les foires et marchés, jaçoit qu’aucuns {h} l’estiment meilleure et de plus grande efficace, à savoir ceux qui ne savent les tromperies de ces charlatans, les voyant avaler un morceau d’arsenic ou réagal, {i} puis après, ne manger autre chose que de la thériaque qu’ils vendent à tous les assistants, et ne se ressentir d’aucun dommage. Ce que Galien sachant bien, écrit au livre dédié à Pison : “ Plusieurs tromperies se commettent en la thériaque par les méchants, et le vulgaire ignorant, déçu du seul nom d’antidote, achète chèrement de ceux qui ne veulent que tirer deniers de ce médicament, voire {j} mal composé. ” Mais afin que chacun puisse éviter les tromperies de ces méchants qui courent par le monde vendant leurs marchandises falsifiées, maintenant je veux, pour le bien singulier de toute la république, découvrir à toute la postérité leur grande et malheureuse méchanceté. Premièrement, quand ils montent sur leurs bancs devant le peuple qu’ils prétendent tromper, pour montrer qu’ils mangent du poison aussi bien que du pain, sans aucun inconvénient, ils se servent de plusieurs cautèles {k} et fins moyens, entre lesquels ils en ont deux que je veux maintenant manifester, lesquels ils ne découvrent jamais qu’à leurs plus familiers serviteurs, et comme ruffians. {l}

La première tromperie est que, sachant bien les poisons ne pouvoir que bien peu nuire quand l’estomac est bien fort rempli de viande {m} (ainsi que dit Dioscoride en la préface de ce livre, et Avicenne en son livre quatrième, section 6), devant que venir en place, ils mangent jusqu’à crever, principalement en été, des laitues crues avec sel, vinaigre et si grande quantité d’huile que les laitues nagent dedans ; et parce qu’en hiver, quand il fait grand froid, on ne trouve aisément des laitues tendres, au lieu d’icelles, ils mangent tant de tripes grasses que leur estomac en demeure tendu comme un tambourin. Ce qu’ils font pour deux causes : l’une est que le bouillon gras de tripes et la grossière substance d’icelles, la froideur aussi des laitues et la grande quantité de l’huile qu’ils y mettent, bouchent et opilent {n} les conduits et chemins intérieurs du corps pour empêcher le venin de pénétrer et percer au-dedans dudit corps ; l’autre est que ces choses amortissent et éteignent la vertu corrosive et l’acrimonie de l’arsenic ou réalgal qu’ils avalent. Après donc avoir pris ce poison qui ne leur nuit aucunement ou bien peu, parce que leur estomac est déjà plein de viande et farci de graisse, ils mangent de leur antidote sophistiqué et thériaque contrefaite qui ne leur sert de rien ; par cette ruse persuadant aux assistants qu’ils vendent le plus singulier et excellent antidote qui soit en tout le monde contre tous venins. De quoi induits, lesdits assistants (tant ils sont légers à croire) de telle presse et impétuosité courent < tant > à acheter cette fausse et sophistiquée thériaque que ceux qui, en une grande cherté de vivres, courent à troupes là où on donne à tous de grandes pièces de pain. Quand ils ont, en peu de temps, vendu toutes leurs boîtes pleines de cette thériaque, ils se retirent en leur logis où, premièrement, par certains moyens, ils vomissent l’arsenic qu’ils ont avalé avec les laitues ou tripes grasses qu’ils avaient auparavant mangées ; et tout ce jour, ils ne mangent rien, sinon qu’ils boivent du lait et reboivent, pour le vomir et revomir. < Il y a > tant de pouvoir à l’avarice en leur endroit qu’ils ne doutent de se mettre en danger de leur vie pour gagner de l’argent.

L’autre tromperie de laquelle usent ces marchands est telle : une heure ou deux devant que monter sur leurs bancs, ils vont en la boutique de l’apothicaire plus prochain de la place où ils veulent babiller devant le peuple. Ils se font apporter la boîte où est l’arsenic, duquel ils choisissent trois ou quatre pièces selon que bon leur semble, lesquelles ils font envelopper de papier et remettre dans ladite boîte, et prient l’apothicaire de bailler ledit arsenic enveloppé et serré au premier serviteur qu’ils lui enverront quand ils seront en place. Et étant là, ils haranguent au peuple, haut louant leur fausse thériaque, non sans mentir. Et pour faire mieux croire ce qu’ils disent, ils envoient leur serviteur ou quelqu’un des assistants à la boutique de l’apothicaire pour apporter le poison déjà choisi. Cependant, {o} étant debout sur leurs bancs, ils ouvrent un coffret plein de boîtes pleines de leur fausse thériaque, au couvercle duquel plusieurs lopins {p} faits de certain mélange de sucre candi, d’amidon et autres drogues bonnes composées d’un merveilleux artifice, ressemblant de figure et de grosseur à ces pièces d’arsenic déjà choisies, sont attachés avec de la cire. Pour mieux cacher leur piperie, ils lèvent ce couvercle étant debout sur leurs bancs et, finement, ils tournent l’intérieure partie de ce couvercle, où sont attachées ces pièces du faux arsenic susdit, vers eux. Puis ils mettent incontinent ce couvercle entre les mains de leur valet ou compagnon coupable de leur méchanceté, lequel il soutient bien proprement la main ouverte, la part où est cet arsenic contrefait étant vers le ciel, afin que personne ne connaisse la tromperie. Cependant, {o} vient celui qui apporte l’arsenic de l’apothicaire. Le maître le prend et le montre au peuple avec une longue harangue. Cela fait, il vient à son essai. Et pour montrer ne vouloir tromper le peuple, il rebrasse {q} ses manches d’écarlate ou de soie (telles ils les portent ordinairement) jusqu’au coude afin que, ce faisant, il mette le vrai arsenic sur le couvercle, où est aussi le faux arsenic, et caché, personne (à cause de la hauteur du bord d’alentour dudit couvercle) ne le pouvant voir. Ses manches ainsi renversées et les bras nus, la serviette mise sur l’épaule, il commande qu’on lui apporté un verre d’eau ou de vin ; et laissant le vrai arsenic, il choisit le faux ne pouvant nuire, lequel il coupe menu, le mêle avec l’eau ou le vin qu’on lui a apporté, et le boit sûrement. Par tels moyens, il joue si bien son personnage qu’il fait croire aux assistants qu’il a bu le venimeux arsenic qu’on lui a apporté de la boutique de l’apothicaire.

Il me souvient en avoir vu une fois un qui ayant semblablement baillé à son valet du poison sophistiqué et faisant semblant de ne lui vouloir donner aucun remède jusqu’à ce qu’il eût perdu le pouls et qu’il fût en grand danger de mort, pour mieux vendre sa thériaque ; ayant aussi instruit son valet de retenir par force son haleine pour se faire changer la couleur du visage, de tourner les yeux en la tête, de tordre le cou, il appela un médecin pas trop habile là présent, habitant la ville où cela advint, pour toucher le pouls de son serviteur afin qu’il testifiât devant tous ce garçon avoir perdu le pouls. À quoi s’accordant ce bon homme de médecin, servant au badinage du triacleur sans y penser, dit haut et clair qu’il n’avait trouvé aucun pouls en ce valet ; mais il n’avait encore lu que, par artifice, on peut arrêter le pouls des artères, combien que Galien l’ait décrit au livre vi Des préceptes d’Hippocrate et Platon. {r} On voit le même aux artères, lesquelles, ni plus ni moins que les nerfs ou coupés ou serrés par liens, ne battent et ne tressaillent plus. De là, il pouvait penser {s} qu’on pouvait avoir lié les bras à ce valet et, par ce moyen, empêché le battement des artères disposées le long du bras jusqu’aux mains ; car ces trompeurs accommodent si finement les liens pour serrer qu’en tournant une boulette de fer cachée hors de {t} la manche, au-dessus du coude, ils les serrent fort et les lâchent quand ils veulent ; ce qui se pouvait aisément faire par celui qui soutenait par les bras son valet faisant semblant d’être à demi mort, pour en faire un spectacle au peuple. Par telle ruse donc, les liens se serraient quand il voulait empêcher le battement des artères à son valet, et se lâchaient peu à peu quand ce fin valet, après voir pris de la thériaque, faisait semblant de recouvrer peu à peu sa première santé.

Ce sont les tromperies que font ces bourreaux, lesquelles j’ai voulu déclarer au long afin que chacun les sache et puisse éviter. Et je ne les eusse sues sans la grosse vérole, à laquelle je suis de ce attenu, {u} car l’un des plus grands maîtres de tous ceux qui font profession de manger du poison sans aucun dommage, étant mangé de la grosse vérole jusqu’aux os et désirant fort être guéri par moi, en le pensant {v} volontiers, il me découvrit, après l’en avoir prié, toutes les tromperies et finesses desquelles cette méchante sorte de gens usent pour tirer argent du peuple. »


  1. Tous ces composants ont été décrits dans les notes [15] et [17] supra, ou dans celles auxquelles renvoie notre index.

  2. V. supra notes [15], [18] et [19] pour ce traité de Galien.

  3. « certains grands seigneurs du temps de l’empereur Marc-Aurèle », Marcus Antoninus Aurelius qui régna de 161 à 180, c’est-à-dire contemporain de Galien qui lui servit de médecin.

  4. « même si plusieurs composants leur manquaient. »

  5. En pratique courante.

  6. Méticuleusement.

  7. Dans ce même commentaire sur l’introduction du livre vi de Dioscoride (page 789, lignes 30‑32), Matthiole a fait cette remarque, à propos du serpent aspic :

    « Le basilic incontinent infecte une personne de son regard et de son sifflement, selon Galien, au livre i De la thériaque à Pison, si ce livre n’est faussement attribué à Galien. »

  8. Bien que certains.

  9. Le réagal était « une espèce d’arsenic rouge, différent de l’arsenic commun, qui est blanc, et de l’orpiment, qui est jaune. Il y a deux espèces de réagal, un naturel et l’autre artificiel. Le naturel a été calciné dans la mine par des feux souterrains. L’artificiel, qui est le plus commun, a été calciné au feu ordinaire. Le réagal est un poison dangereux ; il est moins caustique [corrosif] que l’arsenic. En latin, risagallum » (Trévoux).

  10. Bien qu’il soit.

  11. Précautions.

  12. Maquereaux, compères.

  13. Nourriture.

  14. Obstruent. V. note [6], lettre 468, pour les qualités de la laitue, aliment réputé humidifiant et rafraîchissant.

  15. Pendant ce temps.

  16. Petits morceaux ayant la taille d’une bouchée d’aliment.

  17. Retrousse.

  18. Le traité de Galien De placitis Hippocratis et Platonis est composé de neuf livres. Le chapitre vii porte sur le battement des artères : leur est-il propre ou leur est-il transmis par le cœur ? Galien opte pour la seconde éventualité et se rit de la première (Kühn, volume 5, page 561, traduit du grec) :

    Commune igitur hoc placitum multorum et insignium virorum est, sicuti etiam quod facultatem ex corde tunicæ arteriarum dilatandi et contrahendi suscipiunt. In quo haud novi qua ratione desciverint ab eis Praxagoras et Philotimus, quum in aliis consentiant, arbitrantur tamen, arterias plane ex se ipsis pulsare ; proindeque, si quis carnem ex animali excisam palpitantem in terram dejiciat, evidenter arteriarum motum viderit. Nollem profecto eatenus aberrare tales viros ab eo, quod apparet, ut non possint palpitationem a pulsu distinguere. Hoc quidem, si quid iudico, eos viros novisse opportebat, non ignorasse autem et illud, quod, si solam excideris arteriam, non movetur, quemadmodum neque si vinculo interceperis, adhuc cordi connexam.

    [Beaucoup d’hommes distingués partagent donc ce précepte : les parois des artères tirent du cœur leur faculté de se contracter et de se relâcher. Je ne comprends pas pourquoi Praxagoras (médecin grec du ive s. av. J.‑C.) et Philotime (disciple de Praxagoras) l’ont nié : bien que d’accord sur les autres préceptes, ils estimaient que les artères battent par elles-mêmes, parce que si quelqu’un jette sur le sol la chair palpitante qu’il vient de prélever sur un animal, il verra clairement les artères remuer. J’ignore absolument comment de tels hommes se sont laissé tromper par l’apparence au point de ne pouvoir faire la différence entre une palpitation et un pouls. Ils se devaient pourtant, je crois, de connaître cette distinction, et de savoir aussi que si tu ne prélèves que l’artère, elle ne battra pas, tout comme si tu l’isoles par un lien quand elle est encore en communication avec le cœur].

  19. Le naïf médecin aurait dû penser.

  20. Sous la.

  21. « sans la syphilis à laquelle je dois de les avoir apprises ».

  22. Soignant.

21.

V. notes :

22.

Galien a consacré les deux premiers chapitres du second livre de son traité « des Antidotes » aux mithridates préparés par divers médecins de l’Antiquité. Celui de Damocratès (v. supra note [4]) est décrit et vanté dans un long poème qui occupe le chapitre ii (Kühn, volume 14, pages 115‑119).

23.

Invocation de la Sainte Trinité conforme au signe de croix catholique : « Louange, gloire et puissance à toi, Dieu et père de notre Seigneur Jésus-Christ en l’Esprit Saint. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : XI

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(Consulté le 07/05/2024)

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