L. 619.  >
À André Falconet,
le 25 juin 1660

Monsieur, [a][1]

Ce samedi 19e de juin. Comme je suis fort honoré de l’honneur de votre amitié, aussi dirai-je que je suis ravi de vous écrire et de vous témoigner ma diligence dans les occasions. Je vous envoyai hier un paquet de lettres par la voie de M. Langlois [2] dans lequel étaient deux lettres pour vous de trois pages, une pour notre bon ami M. Spon et une autre pour M. Barbier [3] qui m’a envoyé l’Arithmétique du P. Léotaud [4] imparfaite d’une feuille[1] Noël Falconet [5] n’est pas aujourd’hui venu à ma leçon [6] car il a assisté à l’acte d’un Lyonnais, nommé Manis, au Collège de Lisieux, [7] où même il dit avoir disputé.

Ce dimanche 20e de juin. Je viens de recevoir votre paquet de lettres. J’ai donné à Noël Falconet sa part avec le mémoire de la lettre pour M. Le Sanier. [8] J’y ai trouvé la lettre de M. Meyssonnier [9] dont je vous remercie et auquel pour toute réponse, je vous prie de dire que je lui rends grâce de la sienne ; que je n’ai jamais vu son livre dont il m’écrit, intitulé l’Histoire de l’Université de Lyon, mais je vous prie de me l’acheter et de me l’envoyer avec le Sanctus Georgius Cappadox du P. Théophile Raynaud [10] quand il sera achevé, si ce n’est que l’auteur même vous en donne un pour moi ; j’ai grand regret de n’avoir vu ce livre ci-devant[2] Vous pourrez aussi lui dire que François Rabelais [11] est mort à Paris l’an 1553 dans la rue des Jardins, paroisse de Saint-Paul, [12] et qu’il y est enterré dans le cimetière, au pied d’un grand arbre, religione patrum multos servata per annos[3][13][14] Il dit en mourant Tirez le rideau, la farce est jouée, comme rapporte Freigius, [15] tom. i, Commentar. in orationes Ciceronis ; [4] en quoi il imita Auguste [16] qui, au rapport de Suétone, [17] en mourant, demanda à ses amis numquid vitæ mimum commode peregisse, etc[5] M. Simonet [18] est adroit et rusé comme un fin vendeur de perles et un joaillier raffiné ; je l’ai quitté ce matin, il est fort content de moi. Je l’ai fait saigner [19] hardiment cinq fois, tam in nephretico dolore quam in arthritico, qui, ut moris est, priorem subsecutus est ; [6][20][21] il n’a point avalé d’huile d’amandes douces [22] et n’a usé d’aucun secret car je n’en sais point. Je n’en demande qu’un à Dieu, nempe bene medendi methodum, quæ est arcanum artis maximum, et secretum secretorum secretissimum, eheu paucis notum ! [7] Quand on va par ce chemin-là, on ne se fourvoie jamais, c’est le chemin des gens de bien ; sed qui quærunt lucrum, per fraudes et imposturas, per vias obliquas gradiuntur[8] tels que sont Guénault, [23] des Fougerais, [24] Bodineau [25] et les deux Gazetiers[26][27] et aliæ pestes artis nostræ[9] La Vie de Galien [28] s’imprime in‑8o, que le P. Labbe [29] m’a dédiée ; [10] il y en a la moitié de faite. On parle ici du retour du cardinal Mazarin [30] et qu’il arrivera ici 15 jours avant le roi, [31] afin d’envoyer ses nièces [32] quelque part loin de Paris d’où elles ne puissent jamais voir le roi ni être vues de lui. [11][33] On dit que notre nouvelle reine [34] a bon appétit et qu’elle mange comme sa belle-mère ; [35] il ne faut pas tant manger si on veut vivre longtemps, Natura paucis contenta[12][36][37] En passant de la médecine à la politique, il y a longtemps qu’on nous mange ; la France pourrait dire à bon droit avec Plaute [38] Ossa atque pellis, sum miser a macritudine. [13]

Ce mardi 22e de juin. Me pardonnerez-vous, Monsieur, si je vous écris la débauche [39] que je fis hier ? Je me laissai entraîner avec ma femme [40] et nos nouveaux mariés [41][42] à Saint-Denis, [43] où je vis la foire [44] qui est une chétive chose, l’église < qui > est belle mais un peu obscure, le trésor où il y a bien du galimatias et de la badinerie, pro more gentis[14] et les tombeaux des rois où je ne pus m’empêcher de pleurer voyant tant de monuments de la vanité de la vie humaine. Quelques larmes m’échappèrent aussi au monument du grand et bon roi François ier [45] qui a fondé notre Collège des professeurs du roi. [46] Il faut que je vous avoue ma faiblesse : je le baisai même, et son beau-père Louis xii [47] qui a été le Père du peuple et le meilleur roi que nous ayons jamais eu en France. [48] Il n’y a point encore de tombeaux érigés pour les Bourbons, quorum cadavera servantur in quadam cella[15] dans le chœur au-dessous du grand autel, à main droite, où l’on a mis encore depuis peu le duc d’Orléans [49] qui mourut à Blois [50] le 2d de février et le septième jour d’une fièvre continue, [51] avec une fluxion sur la poitrine et quatre prises de vin émétique, [52][53] dont Guénault ordonna les trois dernières disant que c’était le vrai moyen de guérir. Sic moriuntur principes, sic itur ad astra[16][54] faute d’un bon médecin qui sache le secret de Galien : [55][56] cito et frequenter mittendo sanguinem [17] pour empêcher que le feu ne se mette dans le poumon et dans le cœur. Ma femme était ravie de ces bagatelles et prenait pour autant de vérités les petits contes qu’un moine lui débitait en les autorisant avec sa baguette. J’étais déjà informé de ces sottises lorsque je fus à Saint-Denis aux funérailles du roi Louis xiii [57] avec notre doyen M. de La Vigne [58] en 1643.

Le prince de Condé [59] est arrivé la nuit passée à Paris, n’ayant été que quatre jours à venir ici de Poitiers. On dit que l’empereur [60] envoie ses troupes en Hongrie y faire la guerre au Turc [61] pour obtenir des réparations de certains pillages que les Turcs y ont fait. Nos nouvelles de Londres portent que les deux frères du roi, [62] les ducs d’York [63] et de Gloucester, [64] ont été prendre leur place dans la Chambre de la noblesse au-dessus des gentilshommes du pays, mais on n’y a encore fait mourir personne.

On fait ici grand bruit de la mort de Mlle de Guerchy. [18][65] On avait mis prisonnière dans le Châtelet [66] la sage-femme, [67][68] elle a été traduite dans la Conciergerie [69] par arrêt de la Cour. Le curé de Saint-Eustache [70] a refusé la sépulture au corps de cette dame. On dit qu’on l’a porté dans l’hôtel de Condé et qu’il y a été mis dans la chaux, afin de le consumer plus tôt et qu’on n’y puisse rien reconnaître si on en venait à la visite. La sage-femme s’est assez bien défendue jusqu’à présent, mais aliæ admovebuntur machinæ, aliæ artes adhibebuntur ad eruendum verum[19] je crois qu’elle sera mise à la question. [71] Les vicaires généraux et les plénipotentiaires se sont allé plaindre à M. le premier président [72] que depuis un an 600 femmes, de compte fait, se sont confessées d’avoir tué et étouffé leur fruit, et qu’ils y ont particulièrement pris garde sur l’avis qu’on leur avait donné. [73] Hier deux voleurs furent pendus [74] à la Grève, [75] tous deux jeunes qui volaient ici alentour. L’un des deux avait été tambour du roi, il est des larrons de tout métier, Guénault même en a fait être du nôtre. On m’a dit aujourd’hui que notre des Fougerais se plaint de son même mal que l’an passé, vereri debet ne sit illi Autumnus Libitinæ quæstus acerbæ[20][76][77] La paix est faite tout à fait entre les Danois, Suédois et Polonais, la voilà tantôt par toute l’Europe. [78] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 25e de juin 1660.

Le greffier travaille à notre arrêt. [21][79] Je suis député pour travailler la semaine qui vient, avec quelques autres collègues, à l’examen des comptes de notre Faculté.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 25 juin 1660

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(Consulté le 19/03/2024)

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