L. latine 43.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 19 novembre 1655

[Ms BIU Santé no 2007, fo 39 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vander Linden, éminent professeur de médecine en l’Université de Leyde, le 19e de novembre 1655. [a][1]

Tant que j’en aurai la force et que l’iniquité du siècle ne m’en empêchera pas, je mettrai tous mes soins à faire publier les œuvres du très distingué Hofmann que je conserve ici soigneusement ; et ce pour répondre à votre volonté comme à la mienne, et aussi pour l’avantage du public. [2] J’ai confié deux paquets à M. Angot, le libraire de chez nous, [1][3] qui vous les remettra : vous garderez le premier pour vous et lui ferez bon accueil ; je vous prie d’envoyer l’autre à Utrecht à M. Christiaen Utenbogard, [4] notre ancien ami, docteur en médecine et excellent homme. Une autre fois, j’en enverrai d’autres, et de meilleurs peut-être ; ce que je ferai très volontiers, s’il s’en présente. Pour les frais de voiture, quel qu’en soit le montant, vous en traiterez avec Elsevier, [5] je vous le rembourserai sans difficulté. Ici, on entend dire partout beaucoup de mal de l’antimoine et de ses défenseurs, presque tout le monde le délaisse. Les corps de nos concitoyens ne sont pas disposés au vomissement : [6][7] ils sont délicats et faibles ; la moelle de casse [8][9] avec quelques drachmes de séné, [10] le sirop de roses ou de fleurs de pêcher, [11][12] la manne, [13] le tamarin, [14] la rhubarbe [15] suffisent à les purger presque tous ; nous n’allons presque jamais, sinon rarement, jusqu’à recourir au diaprun laxatif, [16] parce qu’il est le plus doux de toutes les scammonées ; [17] tant s’en faut que nous ayons besoin de ces puissants purgatifs métalliques, naturellement malins, que nos Parisiens sont tout à fait incapables de supporter ; l’étroitesse de poitrine et la faiblesse des poumons sont chez eux habituelles. Medici quotquot hic sunt plerique omnes, et alibi, non tam laboramus penuria remediorum, quam legitimæ methodi ad bene medendum cognitione, quæ est summum artis nostræ secretum, imo secretum secretorum secretissimum, eheu quam paucis nostrum ! [2] Ici ont vécu deux médecins tourmentés par une insatiable avidité à ramasser l’or : voici trois ans que le premier, nommé Vautier, [18] médicastre de cour, [19] ignorant vaurien de Montpellier et juif de cœur, [20] est parti dans l’au-delà, pour réserver un meilleur sort à quantité des gens ; l’autre est issu de notre Compagnie et toujours en vie, il se nomme Guénault. [3][21] Ces deux charlatans, [22] pour mieux s’enrichir, ont promu l’antimoine et l’ont ressuscité en s’appuyant sur cette impie et machiavéliste maxime ægros esse decipiendos quia volunt decipi, remediorum novitate, varietate et multiplicitate[4][23] L’issue, disent-ils, n’importe en rien, modo gravis ære domum mihi dextra redeat, etc. [5][24] Mais étant homme honnête, tant d’inepties me font honte ; pardonnez à mon ardeur ; hic et alibi venditur piper ; [6][25] Populus, lex, rex, grex, mundus omnis facit histrionam[7][26] Ces forains assoiffés qui, pour paraître plus savants que les autres, promettent merveilles de l’antimoine, ne l’utilisent jamais plus, ni pour eux-mêmes, ni pour les leurs,car ceux qui y ont recouru sont morts par lui et de lui : comme fit ledit Vautier l’an 1652 ; et non seulement Guénault l’emploie encore pour lui-même jusqu’à en être débilité, mais il en a prescrit à son neveu, docteur en médecine, [27][28] à sa propre femme, [29] à sa fille de 20 ans, enceinte, [30] et au mari d’une autre, [8][31] qui tous ont misérablement péri de ce venin le jour même où ils l’ont pris. Nous disposons de mille autres exemples, alors que nous ne manquons pas d’autres remèdes plus sûrs et qui plus est, parfaitement exempts de tout danger. Loin de moi l’idée que je veuille m’en tenir au jugement des chimistes sur la préparation de l’antimoine : [32] je hais cette engeance chimystique d’une haine pire que vatinienne, [9][33] [Ms BIU Santé no 2007, fo 39 vo | LAT | IMG] ce sont de très misérables et très menteurs fripons, convoitant avidement la bourse des malades et la guettant pitoyablement pour la surprendre. En voilà assez de cet antimoine mortifère.

Que pensez-vous de Crollius ? A-t-il exercé la médecine ? Je ne le pense pas. Où est-il mort ? Ce fut un cyclope digne de la détestation universelle. [10][34][35] Que savez-vous d’Andreas Libavius ? [11][36] Dieu veuille que nous voyions vite vos Selecta[2][37] Après que la peste aura cessé dans vos contrées et que vos Selecta auront été publiés, si vous voulez atteler votre esprit à une édition de Celse, [38][39] je vous enverrai deux éditions que j’en possède en souhaitant qu’elles puissent vous être utiles. J’ai salué de votre part M. René Moreau, qui est en vie et se porte bien ; il vous en remercie. [40] Ici, le mois dernier, savoir le 24e d’octobre, Pierre Gassendi a vécu sa dernière heure, âgé de 65 ans. [41] Restaurateur de la philosophie d’Épicure et professeur royal de mathématiques, [42] il était accablé d’une fièvre lente issue d’un poumon usé. [43] Il me reste une chose à vous demander, dont je serais peiné que vous l’oubliiez : faites en sorte, s’il vous plaît, que j’obtienne le discours que Johannes Freitag a prononcé sur les pharmaciens, car je ne l’ai jamais vu ni trouvé. On dit qu’il a été publié à Groningue ; [12][44][45] Moreau ne l’a jamais vu non plus. Quand vous m’écrirez, vous m’apprendrez, s’il vous plaît, si M. Christiaen Utenbogard, médecin d’Utrecht, a été un de vos amis et familiers. [46] Que se passe-t-il de nouveau aujourd’hui chez vous ? Qu’est-ce que préparent vos imprimeurs ? S’agit-il de quelques œuvres de Gerardus Johannes Vossius, [47] ou de lettres de Saumaise, notre très distingué et très cher ami, dont j’ai entendu dire qu’on prépare une édition ? [13][48] Dieu veuille que je la voie dans l’année qui vient. Vale et aimez-moi.

Vôtre de toute mon âme, Guy Patin, docteur en médecine de Paris et professeur royal.

De Paris, le vendredi 19e de novembre 1655.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 39 ro et vo.

1.

Charles Angot, libraire de Paris, mort en 1694, se rendait souvent en Hollande pour traiter avec les Elsevier.

2.

« Ici comme ailleurs, ainsi que la plupart des médecins, sinon tous, nous ne souffrons pas tant de manquer de remèdes que de méconnaître la juste méthode pour bien remédier. C’est elle qui est véritablement le secret le plus secret des secrets de notre métier ; mais hélas, bien peu le connaissent ! »

V. note [1] de la lettre de Hugues ii de Salins, datée du 3 mars 1657, pour la reprise de ces mots par Johannes Antonides Vander Linden dans ses Selecta medica… [Morceaux médicaux choisis…] (Leyde, 1656, v. note [29], lettre 338).

3.

V. notes [26], lettre 117, pour François Vautier, mort à Paris le 4 juillet 1652, et [21], lettre 80, pour François Guénault, alors âgé de 66 ans, le champion parisien de l’antimoine.

4.

« parce qu’ils veulent l’être, il faut tromper les malades par la nouveauté, la variété et la multiplicité des remèdes » : adage auquel je n’ai pas trouvé d’autre source que Guy Patin lui-même ; sous des formes diverses, il l’a utilisé plusieurs fois dans sa correspondance à l’encontre des charlatans.

5.

« pourvu que je rapporte à la maison une bonne poignée de monnaie, etc. » ; imitation de Virgile, Bucoliques (églogue i, vers 35), à propos de la bergère Galatée qui ne ramenait jamais un sou du lait des chèvres de Tityre, son amant, qu’elle était allée vendre à la ville :

non unquam gravis ære domum mihi dextra redibat.

[jamais elle ne rapportait à la maison une bonne poignée de monnaie].

6.

« ici comme ailleurs on vend du poivre » (on trompe le monde) ; v. note [3], lettre 22, pour cette expression inspirée d’Horace.

7.

« Peuple, loi, roi, troupeau, tout le monde joue la comédie » (Dominicus Baudius, v. notule {e}, note [37] du Patiniana I‑3).

8.

V. notes :

9.

V. note [17], lettre 315, pour la haine proverbiale que le peuple romain nourrissait contre le consul Vatinius.

Pour montre la sienne, Guy Patin accusait ici, une nouvelle fois, François Guénaut d’avoir occis tour à tour quatre de ses proches cités dans la note [8] supra.

10.

Cyclope est à prendre au sens mythologique d’ouvrier qui travaillait sous les ordres de Vulcain pour forger les foudres de Jupiter. V. note [51] du Borboniana 9 manuscrit pour le cyclope Polyphème.

V. note [9], lettre 181, pour le médecin allemand paracelsiste Oswald Crollius (mort à Prague en 1609).

11.

V. note [2], lettre latine 279, pour Andreas Libavius, autre médecin chimiste allemand, mort en 1616.

12.

Johannes Freitag ou Freijtag (Johannes Freitagius ; Wesel 1581-Groningue 1641), professeur de médecine à Groningue de 1631 à sa mort :

Oratio panegyrica de persona et officio Pharmacopæi et Pharmacopolio rite recteque instruendo, habita a Iohanne Freitagio M.D. in Incluta Illustrium Groningæ et Omlandiæ Ordinum Academia Professore P. cum publica solemnitate summum Recturæ Academicæ munus novo Rectori resignaret, ipso Academiæ natali qui est 23. Augusti anno 1633.

[Discours panégyrique sur le rôle et la fonction du pharmacien et sur la manière dont il faut convenablement et justement organiser une pharmacie, prononcé par Johannes Freitag, docteur en médecine, professeur public en la célèbre Université des illustres Ordres de Groningue et Ommelanden, quand, lors d’une célébration officielle, il abandonna à un nouveau recteur la charge suprême du rectorat universitaire, le 23 août 1633, {a} jour anniversaire de l’Université]. {b}


  1. Lors de sa création, le 23 août 1614, par l’Assemblée régionale de Groningue (v. note [6], lettre 365) et des Ommelanden, cette université comptait quatre facultés : théologie calviniste, droit, médecine et philosophie.

  2. Groningue, Johann Sas, 1633, in‑4o : discours adressé à Magnifici nobilissimi Dn. Curatores, illustrium Ordinum proceres, Ephori et Mecænates nostri munificentissimi : reverendi Clariss. consultissimi et spectabilissimi viri ; tuque nobilis et litteratæ juventis corona florentissima [MM. les éminents et très nobles administrateurs et présidents des illustres Ordres, nos très munificents éphores (hauts magistrats) et mécènes, hommes vénérables, très brillants et respectables ; et toi, couronne très fleurissante de la noble et instruite jeunesse] ; Freitag y soumet 19 leges [règles] pour mieux contrôler l’activité et réprimer les abus des pharmaciens.

    Guy Patin a cherché ce livre avec acharnement sans jamais parvenir à l’obtenir (du moins jusqu’en 1665, v. note [1], lettre latine 349).


Médecin rétrograde et dogmatique strict, Freitag a aussi publié :

13.

V. note [12], lettre 392, pour le Claudii Salmasii epistolarum liber primus… [Premier livre des lettres de Claude i Saumaise…] (Leyde, 1656).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 39 ro.

Clarissimo viro D. Vander Linden, eximio Medicinæ Professori in Academia
Leidensi. 19. Nov. 1655.

Quantum in me erit, et per sæculi iniquitatem licebit, Cl. Hofmanni
operum quæ hîc curiosè asservo, editionem procurabo : et hoc ad mentem
tuam meámque : imò et ad publicam utilitatem. Duplicem fasciculum
tradidi D. Angot, Bibliopolæ nostrati, qui Tibi reddetur : unum Tibi reti-
nebis, et gratum si placet habebis : alterum, rogo Te mittes Ultrajectum
ad D. Christianum Utenbogardum, veterem amicum nostrum, Doct. Med.
eúmque virum optimum. Aliàs alia mittam, et forsan meliora : quod
faciam libentissimè, si occurrant. De pretio vecturæ, agas cum Elsevirio
qualecumque fuerit illud, Tibi facilè refundam. Hîc ubique pessimè audit
stibium, et ejus patroni, à quibus ut plurimùm deseritur : non sunt idonea
civium nostrorum corpora ad vomitum : blanda mollia sunt et imbecilla, quibus
utplurimùm repurgandis sufficiunt cassiæ medulla cum drachmis ali-
quot fol. Orient. syr. rosar. solut. vel de florib. mali persicæ, manna,
tamarinei, rheum : vix unquam nec nisi rarò ascendimus usque ad dia-
prunum solut. quod omnium scammoniatorum est mitissimum : tantum
abest ut indigeamus istis metallicis mochlicis, natura sua malignis, quibus
ferendis planè sunt impares nostri Parisini : quibus est familiaris
angustia pectoris, et pulmonum infirmitas. Medici quotquot hîc sunt
plerique omnes, et alibi, non tam laboramus penuriâ remediorum, quàm
legitimæ Methodi ad bene medendum cognitione, quæ est summum Artis
nostræ secretum, imò secretum secretorum secretissimum, eheu quàm paucis
nostrum ! Hîc duo vixerunt Medici, inextinguibili quadam auri colli-
gendi cupiditate laborantes, quorum unus dictus Valterius, Aulicus
medicaster, ignarus nebulo Monspeliensis, et in corde suo Iudæus, qui
à tribus annis penetravit ad plures, optimo multorum fato : alter adhuc
vivit ex ordine nostro, Guenaut dictus : agyrtæ illi duo ut rem
meliorem facerent, stibium excitarunt, et ex Orco revocarunt ; impio
isto et Machiavelistico nitentes axiomate, ægros esse decipiendos
quia volunt decipi, remediorum novitate, varietate et multiplicitate
.
De eventu, aiunt, nihil interest, modo gravis ære domum mihi dextra
redeat. etc. Sed cum viro bono tot pudet ineptiarum : ignosce zelo meo :
hîc et alibi venditur piper : Populus, lex, rex, grex, mundus omnis facit
histrionam. Circumforanei illi siticulosi, qui ut supra alios sapere videantur,
de stibio mira pollicentur, ipso stibio numquam utantur, nec pro se, nec
pro suis : quod si aliqui in usum istud revocârint, ab eo et ex eo perierunt :
ut ipse Valterius, anno 1652. Guenaltus quidem eo pro se utitur
dum infirmatur : sed illud ipsum exhibuit nepoti, Doctori Medico, propriæ
uxori, filiæ puerperæ 20. annorum, et alteri genero, qui omnes ab ipso
veneno miserè perierunt, eodem ipso die in quo fuit assumtum. Mille alia
exempla nobis suppetunt : nec desunt alia remedia tutiora, quinimò
omnis securitatis plenissima. De præparatione stibii ut velim stare judicio
Chymistarum, absit : odi illam gentem Chymisticam odio plusquam Vatiniano,

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 39 vo.

miserrimi sunt et mendacissimi nebulones, loculis ægrorum inhiantes
et miserè insidiantes. Et hæc de stibio illo mortifero.

Quid putas de Crollio ? fecitne Medicinam ? non puto : ubinam
obijt ? fuit Cyclops omnium odio dignus. Quid nosti de Andrea Libavio ?
Selecta tua utinam citò videmaus. Postquam desierit apud vos
pestilentia, fuerintque Selecta tua in lucem emissa, si volueris ad
Corn. Celsi editionem animum appellere, ad Te mittam duo Exemplaria
quæ habeo : quæ utinam tibi utilia esse possint. Tuo nomine salutavi
D. Ren. Moreau, qui vivit et valet : qui Tibi gratias agit. Hîc apud
nos mense superiori, nempe Oct. 24. die, fatalem horam expertus est
Petrus Gassendus, Epicuriæ Philosophiæ renovator, et artium Mathe-
maticarum regius professor, vir doctissimus ac optimus, lenta
febre confectus ex attrito pulmone, anno ætatis 65. Unum super-
est quod Te rogem, ac omissum dolerem. Effice si placet, ut habeam
Io. Freitagij Orationem de pharmacopolis habitam, quam numquam
vidi, nec offendi : Groningæ dicitur edita : nequidem Moræus ipse eam
vidit unquam. Cùm scribis, sciam ex Te si placet, an Tibi amicus
et familiaris fuerit D. Christianus Utenbogard, Medicus Ultrajectinus ? Quid hodie
denuo apud vos agitatur ? quid moliuntur vestri Typothetæ ? an sub
prælo currunt aliquot opera Is. Ger. Io. Vossij ? an epistolæ Cl. nostri
et carissimi amici Salmasij, de quibus audivi parari editionem, quam
utinam videam intra annum. Vale, et me ama.

Tuus ex animo Guido Patinus, Doctor Med. Paris.
et Professor regius.

Parisijs, die Veneris, 19. Nov. 1655.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 19 novembre 1655

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(Consulté le 26/04/2024)

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