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Le ganglion et le cancer. Le curage ganglionnaire a-t-il encore un intérêt ?
SÉMINAIRE ANNUEL DE CANCÉROLOGIE CHIRURGICALE ANC avec la participation de la SFCO (Société française de Chirurgie Oncologique)
9h30-17h00, Les Cordeliers Présidence : Dominique FRANCO Organisation : Philippe LASSER (Paris)
Modérateurs : Richard VILLET (Paris), Jean Marc CLASSE (Nantes, Président SFCO)
Résumé L’atteinte ganglionnaire est un facteur pronostique essentiel dans le cancer du sein. La biopsie du ganglion sentinelle (SNB) est devenue une technique incontournable de la chirurgie des cancers limités du sein, et peut même aujourd’hui être proposée dans des stades localement avancés en cas de bonne réponse après chimiothérapie néoadjuvante. Toutefois, il reste un pourcentage de faux négatifs de la SNB, estimé entre 8 et 13 % selon les équipes. L’imagerie en sénologie permet aujourd’hui de détecter des lésions millimétriques du sein, et devient de plus en plus performante et variée. Le but de l’imagerie est d’essayer de déterminer en pré-opératoire par des techniques d’imagerie une atteinte ganglionnaire axillaire éventuelle avec une valeur prédictive positive suffisamment élevée pour mieux trier les patientes, devant bénéficier d’une biopsie d’un ganglion sentinelle ou d’un curage axillaire. Comme la biopsie du ganglion sentinelle est une technique très sensible, l’imagerie pré opératoire se doit plutôt d’être très spécifique, parfois au détriment de la sensibilité. L’examen de première intention, et qui paraît le plus reproductible et pertinent, est l’échographie axillaire, avec évaluation doppler. Il est essentiel, dans un bilan d’extension de cancer du sein, de réaliser une échographie des aires ganglionnaires axillaires et sous claviculaires, pour limiter les risques de sous estimation. Les critères de suspicion d’atteinte ganglionnaire sont aujourd’hui bien connus, et sont plus des critères morphologiques que des critères de taille tumorale : forme ronde, épaississement du cortex ganglionnaire > 3 mm, asymétrie du cortex, disparition du hile graisseux central, aspect irrégulier ou spiculé des contours du ganglion. L’association de plusieurs de ces critères renforce d’autant le caractère suspect d’un ganglion. La sensibilité varie de 50 à 87 % selon les séries, et la spécificité de 56 à 97 %. L’association aux techniques de cytoponction à l’aiguille fine ou la biopsie échoguidée en cas d’image ganglionnaire suspecte, permet d’améliorer à la fois la sensibilité et la spécificité à des valeurs respectivement de 85 % et 100 % selon les études. Des nouvelles techniques comme l’élastographie pourraient permettre d’augmenter encore la spécificité, mais les résultats sont contradictoires. L’IRM peut également avoir sa place dans le bilan d’extension ganglionnaire. Un des avantages de l’IRM est de pouvoir analyser les creux axillaires de manière globale et symétrique. Les ganglions envahis sont plus souvent hyperintenses en T2, avec une forme ronde, des contours irréguliers, sans hile graisseux central. L’analyse de la vascularisation par des courbes dynamiques paraît peu utile, car des courbes de type 3 avec washout se voient à la fois dans les ganglions normaux et les ganglions métastatiques. Un piège classique d’un cancer du sein, est le ganglion intra-mammaire, apparaissant en franc hypersignal T2 avec une courbe en washout. Comme en échographie, le critère de taille ne permet pas de caractériser efficacement les ganglions bénins et malins. De nombreuses études, parfois contradictoires ont été publiées sur la pertinence de l’IRM pour l’évaluation ganglionnaire. Même si la spécificité peut être améliorée par l’IRM de diffusion et l’évaluation de l’ADC, ou la détection de signes spécifiques comme l’œdème péri ganglionnaire, ou le rehaussement annulaire, l’IRM n’est aujourd’hui pas suffisamment performante pour éviter la SNB. La TEP-TDM est peu sensible mais très spécifique ; la sensibilité varie notamment en fonction de la taille, de 25 à 84 %, selon les séries. L’intérêt de la TEP-TDM est de pouvoir fournir une vue anatomique globale incluant l’atteinte mammaire interne. En conclusion, aujourd’hui, l’imagerie est devenue plus performante ; c’est cependant l’échographie associée à la cytoponction à l’aiguille fine ou à la biopsie ganglionnaire qui reste l’examen le plus performant dans le bilan d’extension pré-opératoire, et qui doit être largement pratiquée par les radiologues.
Le ganglion sentinelle dans le cancer du sein : aspects chirurgicaux
Résumé L’atteinte ganglionnaire du cancer infiltrant du sein reste un facteur pronostic important. Le curage axillaire a longtemps été l’intervention standard permettant d’accéder à cette information. Berg en 1955 a décrit la progression de proche en proche de cet envahissement de l’aisselle à partir de la tumeur mammaire. L’envahissement ganglionnaire étant lié à la taille tumorale, la diminution de la taille tumorale au diagnostic, grâce notamment aux démarches de dépistage, a réduit le risque d’atteinte ganglionnaire axillaire. La proportion de curages axillaires négatifs augmentait alors que le curage restait une intervention morbide pour les patientes, source de complications aigues et surtout de séquelles à long termes, de la simple fatigabilité au redoutable lymphœdème. Au début des années 1990 la description de la technique de détection du ganglion axillaire sentinelle (GAS) lançait la démarche de désescalade chirurgicale du creux axillaire. L’hypothèse était qu’en cas de GAS détecté et indemne d’envahissement le curage axillaire complémentaire devenait inutile. Les recommandations techniques de la technique du GAS portent sur la chirurgie, avec notamment une détection combinée associant le bleu et le technétium, et sur anatomopathologie avec la notion de coupes sériées du GAS et l’utilisation de l’immunohistochimie amenant à définir une nouvelle classification de l’atteinte ganglionnaire en fonction de sa taille, macro métastase, micro métastase ou cellules isolées. Aujourd’hui la désescalade chirurgicale se poursuit avec un élargissement des indications du GAS, une diminution des indications de curage axillaire complémentaire en cas de GAS métastatique jusqu’à aller vers l’abstention de tout geste chirurgical axillaire dont l’évaluation est en cours.
le ganglion sentinelle dans le cancer du sein : le point de vue du pathologiste
Résumé La prise en charge du ganglion sentinelle en anatomie pathologique est assujettie, comme toute pratique médicale actuelle, à une optimisation du rapport coût/efficacité. Mais elle est aussi soumise à la signification pronostique des atteintes métastatiques et à l’évolution de la prise en charge des patientes atteintes d’un cancer du sein. L’analyse de ce ganglion ne fait l’objet d’aucun consensus que ce soit en per-opératoire ou lors de l’examen définitif. Elle se veut exhaustive afin de ne pas méconnaitre les atteintes minimes. Elle a abouti à une ultrastadification qui a modifié la classification AJCC avec la création de nouvelles catégories (micrométastases et cellules tumorales isolées). L’analyse de ce ganglion est jalonnée de difficultés d’interprétation pour le pathologiste en per-opératoire mais aussi en immunohistochimie. Dans ce domaine, la biologie moléculaire est susceptible d’apporter des solutions, mais avec un impact économique non négligeable. La prise en charge globale du ganglion sentinelle varie entre les équipes. L’hétérogénéité des pratiques est accentuée par la tendance actuelle à la désescalade dans la prise en charge clinique du creux axillaire, avec un effondrement des examens extemporanés et une adaptation de l’analyse définitive.
9H30-13H00
GANGLION SENTINELLE DANS LES CANCERS DIGESTIFS
Résumé L’étude des ganglions sentinelles permet en chirurgie digestive d’identifier un drainage lymphatique spécifique de la tumeur et ainsi d’orienter dans certains cas le curage pour préserver un axe vasculaire et épargner une partie du tube digestif restant ou de recentrer le curage. Cette technique de cartographie lymphatique s’applique à tous les cancers digestifs et devrait être maîtrisée des chirurgiens oncologues. De façon associée, la détection d’un groupe de ganglions, dit « ganglions sentinelles » peut être réalisé et ces ganglions analysés en peropératoire selon diverses technologies de biologie. Si le cas du patient a été discuté au préalable, en RCP, il est possible pour un cancer du côlon de mettre en place un boitier de perfusion sous-cutané lors de l’anesthésie générale de la colectomie. Cette information peropératoire va permettre de débuter plus tôt la chimiothérapie postopératoire, améliorant peut être le pronostic de ce patient. Enfin, une troisième application potentielle du ganglion sentinelle est le fait de conduire une analyse exhaustive des seuls ganglions sentinelles pour essayer de détecter un envahissement ganglionnaire qui en analyse simple des ganglions n’aurait pas été détecté. Cette démarche a été évaluée et testée, mais aujourd’hui peut ou pas utilisée du fait d’une balance coût / bénéfice peu concluante. Toutefois, cette analyse permet d’upgrader plus de 10% des tumeurs évaluées N0 en N+ et de discuter une chimiothérapie postopératoire.
9H30-13H00
GANGLION SENTINELLE DANS LES CANCERS ORL ET DE LA TYROÏDE
Le ganglion sentinelle dans les cancers des voies aéro-digestives supérieures et de la thyroïde
Résumé Les carcinomes épidermoïdes des voies aérodigestives supérieures de stade précoce (T1T2N0) comportent une survie de l’ordre de 80 à 90%, mais l’évidement ganglionnaire cervical prophylactique reste le standard thérapeutique, avec un risque de séquelles fonctionnelles et esthétiques importantes. La technique du ganglion sentinelle a été particulièrement étudiée dans les carcinomes épidermoïdes de la cavité orale, avec un taux élevé d’identification du ganglion sentinelle, une excellente valeur prédictive négative et une sensibilité dépassant 85%. En l’absence d’étude ayant un niveau de preuve élevé, cette technique est réservée pour l’instant aux centres ayant acquis une expertise. Cette technique reste expérimentale pour les autres localisations des VADS, avec peu de données publiées. D’autres traceurs, et en particulier le vert d’indocyanine, sont en cours d’évaluation, de même que des traceurs hybrides radio-fluorescents. En ce qui concerne les cancers de la thyroïde, il s’agit d’une technique difficile, compte-tenu de la petite taille des ganglions du compartiment central, et les données de la littérature sont discordantes. En effet, le taux de faux négatifs varie selon les études (rétrospectives) entre 0 et 39%. Il n’existe aucune donnée quant aux résultats oncologiques ou quant à une réduction de la morbidité par cette technique. En conclusion, la technique du ganglion sentinelle est prometteuse pour diminuer la morbidité des évidements ganglionnaires cervicaux pour les cancers de la cavité orale cT1T2N0. Sa place reste à déterminer pour les autres localisations des VADS et pour les cancers de la thyroïde.
9H30-13H00
CONFERENCE : VALEUR PRONOSTIC DES CELLULES CIRCULANTES
Résumé Face à un cancer opérable, la détection de biomarqueurs tumoraux circulants (CTC et ctDNA) peut permettre d’affiner le pronostic et d’étudier la réponse aux traitements systémiques néoadjuvants, mais pourrait aussi permettre de détecter la maladie résiduelle post-chirurgicale. Nous ferons le point de ces différentes applications potentielles avec trois études récemment conduites par le laboratoire des biomarqueurs tumoraux circulants de l’Institut Curie : (1) données CTC dans le cancer du sein néoadjuvant (méta-analyse mondiale « IMENEO ») (2) données ctDNA dans le cancer du sein triple négatif néoadjuvant (3) données CTC et ctDNA dans le cancer colorectal métastatique potentiellement résécable (étude ancillaire à PRODIGE 14).
13H00-14H00
DÉJEUNER
Déjeuner avec les experts
14H00-17H00
COMMUNICATIONS
Relations anatomopathologistes et chirurgiens: L’examen extemporané, les prélèvements ganglionnaires, les marges de sécurité. Commentateur : Frédérique PENAULT-LLORCA (Clermont-Ferrand)
Résumé Le dialogue entre le préleveur (chirurgien, endoscopiste, radiologue) et le pathologiste est essentiel pour garantir la meilleure prise en charge possible d’un prélèvement cellulaire ou tissulaire réalisé à des fins diagnostiques et pour permettre au pathologiste d’en extraire toutes les informations utiles. Un certain nombre de principes fondamentaux restent toujours d’actualité mais de nouveaux outils et de nouvelles procédures ouvrent de nouvelles pistes pour améliorer encore ce dialogue. En pré-opératoire, de nouveaux outils permettent de mieux cibler les prélèvements. C’est le cas notamment des techniques de microscopie in vivo ou de « biopsie virtuelle » qui entrent progressivement dans la pratique ; ces techniques permettent de mieux identifier et localiser les lésions à réséquer et d’affiner considérablement la définition de leurs limites afin de mieux préparer l’intervention. En per-opératoire, les indications de l’examen extemporané ont été précisées et consolidées dans de nombreuses spécialités chirurgicales. Un point essentiel est le renforcement du rôle du préleveur, et notamment du chirurgien, dans le conditionnement de la pièce opératoire avant l’envoi au laboratoire d’anatomie pathologique : orientation de la pièce, repérage des pédicules vasculaires et des curages ganglionnaires, encrage de certaines limites de résection. La réalisation de ces gestes avant que la rétraction des tissus ait modifié les repères anatomiques est essentielle pour permettre l’évaluation correcte de facteurs histopronostiques essentiels. Enfin, en post-opératoire, le pathologiste a aujourd’hui à sa disposition de nouveaux outils, non morphologiques, pour augmenter la sensibilité de la détection de cellules tumorales au niveau des marges de résection et dans les ganglions de drainage. Il reste à définir l’impact réel de ces techniques sur la prise en charge des patients.
Résumé Le curage ganglionnaire est un des « fondamentaux » de la chirurgie carcinologique. Beaucoup d’études ont essayé d’en apprécier l’importance diagnostique (stadification), éventuellement thérapeutique, et son impact sur la morbidité. En chirurgie digestive, l’interprétation des études s’intéressant au curage peut être difficile car : a) L’appréciation de la topographie des ganglions est difficile dans certaines régions (médiastin, région coelio mésentérique), où on ne sait clairement si le ganglion est à proximité ou à distance. La numérotation des ganglions ne règle qu’en partie ce problème. b) Dans les études multicentriques, la technique de curage ganglionnaire nécessite une formation spécifique pour être homogène. Ainsi l’essai sur le curage ganglionnaire dans le cancer de l’estomac de BONENKAMP et colL. a nécessité la formation préalable des centres participants par un chirurgien expert. c) La dissection du specimen et l’identification des ganglions nécessite également une standardisation de l’examen anatomo-pathologique. d) Le diagnostic de métastase ganglionnaire dépend de la technique utilisée. (examen microscopique classique après coloration, nombre de coupes, immunohistochimie, voire RT-PCR). e) Le pronostic de l’extension ganglionnaire peut être apprécié, au moins pour certains cancers, en fonction de sa topographie par rapport à la tumeur. ainsi, pour les tumeurs pancréatiques, une extension par contigüité à un pronostic sensiblement moins mauvais qu’une extension par essaimage discontinu par rapport à la tumeur principale. f) Après traitement néo adjuvant, surtout après radiothérapie, l’extension ganglionnaire, mais aussi le nombre de ganglions analysables sur la pièce opératoire sont diminués par ce traitement g) Enfin, les complications liées au curage sont reportées dans les études comparatives avec des définitions qui peuvent varier. Au total, il faut continuer les études sur le curage ganglionnaire en standardisant au maximum les techniques chirurgicales, d’examen anatomopathologique et l’appréciation des suites opératoires.
14H00-17H00
CONFÉRENCE
Conférence : La chirurgie oncologique (hier, aujourd’hui, demain)
Résumé De tous temps la représentation de la « tumeur » a suscité de la curiosité, de la peur, du fantasme et la question implicite au diagnostic est devenu : comment « l’éliminer » ? Rien n’est plus concret, plus radical que la résection chirurgicale, mais le chemin fut très long pour la reconnaître comme un traitement curateur, ou tout au moins prétendu tel jusqu’à la confirmation que donne l’examen anatomo-pathologique. Ce qui suit ne peut-être qu’un survol historique très incomplet, mais quelques faits marquants méritent d’être évoqués. Le premier traité de chirurgie nous vient de l’Egypte ancienne ; le Papyrus Ebers - Edwin Smith est l’un des premiers documents humains qui fait référence au cancer [1]. Les notions d’aseptie et d’anesthésie étaient déjà présentes dans les bas reliefs et les textes hiéroglyphes. En mésopotamie la première représentation du foie était d’une exactitude remarquable [2]. Les études anatomiques « fondamentales », dont celles de Léonard de Vinci (1452- 1519) et André Vésale (1514-1564) vont servir de base aux premières interventions chirurgicales [3-5]. En Europe, le marasme du moyen âge et les contraintes imposées par les croyances, l’église et l’inquisition, freinent l’élan des anciennes civilisations. Ambroise Paré publie ses œuvres complètes en 1575 ; elles occupent une place immense dans l’histoire de la chirurgie, et de la langue Française [6]. En Angleterre, les « chirurgiens-barbiers » disparaissent en 1745 avec la création du « Royal College of Surgeons ». En France, malgré les « Lettres Patentes » de Louis XIV (1699) qui mettent au clair les règlements concernant la Communauté des Chirurgiens de Saint Côme, suivies de celles éditées sous le règne de Louis XV (1754 et 1768), le XVIIIème siècle voit encore l’exercice d’une multitude de charlatans [7-10]. Je renvoie à la remarquable conférence du professeur Benoît Lengelé, publiée dans les mémoires de l’académie de Chirurgie en 2006 [8]. L’« Académie Royale de Chirurgie » créée en 1731 [10] sera dissoute à la révolution et il faudra attendre 1843 pour la voir renaître sous le nom de « Société Nationale de Chirurgie » (qui devient l’Académie de Chirurgie en 1935). Il y a fort longtemps, quelques chirurgiens eurent l’idée qu’il était possible d’enlever une tumeur lorsqu’elle était apparente, ou « mobile » : « ce qui est mobile est résécable » John Hunter (1728-1793) [11]. Les résections complexes furent imaginées et dessinées à l’encre de chine avant d’être réalisées [12]. Il est frappant de constater qu’au cours des XVII° et XVIII° siècles, les manuscripts Japonais décrivent les premières résections chirurgicales. De magnifiques parchemins sont visibles sur le site de la bibliothèque nationale du NIH [13]. Hanaoka Seishu (1760-1835) est le premier chirurgien à réaliser la résection de cancers sous anesthésie. L’antiseptie (Joseph Liste - 1827-1912) et l’anesthésie furent les deux percées technologiques qui permirent l’essor de la chirurgie. Lister publia les résultats de ses premiers essais en 1867 dans le "Lancet " sous le titre : "Le principe de l'asepsie dans la pratique de la chirurgie". En Europe, les premières résections carcinologiques sont attribuées à Christian Albert Théodore Billroth (oesophagectomie (1872), laryngectomie (1874), Gastrectomie (1894)). Ce chirurgien viennois, grand ami de Brahms et Czerny, chef invité à la direction de l’Orchestre de Zurich, est aussi celui qui en 1855 a décrit la filiation adénome – cancer colorectal et le premier à imaginer un cursus de formation pour les jeunes chirurgiens ; en 1876 il rapportait 33 résections rectales pour cancer [11]. Le cancer du sein fut le premier « modèle » de la chirurgie carcinologique « conservatrice » et « reconstructrice », et le premier modèle d’essai contrôlé concernant le traitement adjuvant [14]. Les résultats publiés par Bernard Fisher et Umberto Veronesi dans le New England Journal of Medecine, actualisés à 10 ans et 20 ans, ont marqué l’histoire de la chirurgie conservatrice du cancer du sein et celle des associations thérapeutiques [15, 16]. L’ »Evidence Based Medecine » (David Sackett -1934-2015) [17] a marqué la fin des dogmes anciens, répandus et acceptés de tous, appliqués par habitude et sans remise en question, fondés sur des « convictions » subjectives ; cependant l’impact clinique des essais randomisés constitue l’objectif principal : « What is clinically relevant is more important of just statistically significant in power analysis”. Le premier essai Français qui a changé les pratiques était consacré à la chirurgie du cancer gastrique : la gastrectomie subtotale distale était recommandée pour les cancers de l’antre et la gastrectomie totale était inutile, sauf en cas de linite gastrique [18]. Au fil du temps, l’acte opératoire est devenu une « variable », que le caractère multicentrique peut gommer. La majorité des essais concernent aujourd’hui les traitements combinés. La consultation du site « clinicaltrial.gov » montre cependant que les essais qui comportent un acte opératoire, restent les moins fréquents. La coelioscopie est venue bouleverser les pratiques (« the second French revolution »), de la grossesse extra-utérine (M.A Bruhat et H. Manhes – 1972) à la cholecystectomie (Philippe Mouret – 1987) [19] puis la résection des cancers (1ère colectomie et 1ère gastrectomie coelio-assistées pour cancer – 1991), avec une validation basée sur l’équivalence des résultats carcinologiques [20]. Un article remarquable publié en 2012 dans la revue PlosOne a montré l’évolution de l’opinion des chirurgiens colorectaux concernant la voie d’abord laparoscopique [21]. Le cancer du rectum a été, comme le cancer du sein avant lui, « un modèle d’évolution thérapeutique » de l’amputation abdomino-périnéale à la conservation sphinctérienne, la réduction de la marge sous tumorale (2 cm), la re-découverte du mesorectum et la préservation des nerfs, la laparoscopie (le robot…) et l’approche coelioscopique et transanale combinées [22, 23]. La technologie a offert une accélération prodigieuse au cours des 30 dernières années. La reconstruction tridimensionnelle des organes a fait progresser la « programmation » de l’acte opératoire. Les 3 techniques de base de l'anatomie à savoir la transparence, la rotation et la section transversale sont illustrées dans un écorché inspiré de l'homme de Vitruve de Leonard De Vinci, primé par la célébrissime revue Science en 2006 au cours du challenge de la visualisation scientifique (« professor Caryn Babaian uses art as a gateway to science ») [24, 25]. La visualisation 3D peut encore faire progresser la chirurgie mini-invasive. La robotique, malgré son coût, a inondé le « marché » chirurgical… Malgré le propos d’ Albert Einstein « J'appréhende le jour ou la technologie passera au delà de nos comportements humains. Le monde alors, ne générera plus que des idiots », nous devons soutenir l’évolution technologique en maitrisant ses conséquences. L’apprentissage par la simulation est devenu indispensable pour les jeunes chirurgiens [26, 27]. La Haute Autorité de Santé a d’ailleurs publié en 2012 une recommandation : « jamais la première fois sur le patient ». La chirurgie cancérologique se doit aujourd’hui et demain d’intégrer la recherche translationnelle qui permet l’identification de marqueurs moléculaires prédictifs du pronostic ou de l’efficacité des drogues [28], et l’oncogénétique qui a pour corolaire la chirurgie prophylactique [29]. Au delà du défit technologique, à l’ère de l’innovation digitale, de l’intelligence arificielle, de la transmission ultra-rapide, du « big data », c’est le vieillissement de la population qui représentera un challenge dans les années qui viennent. Après 5000 ans de variations insignifiantes, l’espérance de vie a doublé en 200 ans pour 2 raisons : l’hygiène et la nutrition, les progrès de la médecine. Pourtant la prochaine génération pourrait être la première dont l’espérance de vie ne dépassera pas celle de ses parents (tabac, régimes alimentaires (fast-food), surpoids et stress [30] pourraient y contribuer). Aujourd’hui, le rapport incidence / mortalité par cancer prouve que le chemin est encore long [31]… La chirurgie reste le premier traitement curateur des tumeurs solides. Elle bénéficie indiscutablement des progrès technologiques comme toutes les spécialités qui l’entourent. Elle restera sans doute encore longtemps « une nécessité » [32], mais dans l’environnement pluridisciplinaire qui est devenu essentiel, l’avancée des thérapeutiques neo-adjuvantes, chimiques, immunologiques, cellulaires et/ou génétiques modifiera probablement ses modalités. Le chemin parcouru en 50 ans est immense ; au regard de l’échelle du temps c’est une évolution fulgurante. Le but ultime des progrès accomplis, et à venir, est d’améliorer la qualité et l’efficience des soins au sein d’un système de santé où la gestion des lourdes contraintes imposées aux cliniciens et la maîtrise des coûts sont devenus des impératifs.
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