L. 387.  >
À Charles Spon,
le 13 janvier 1655

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi 22e de décembre, jour du solstice, [2] qui fut le même jour que les Savoyards autrefois pensèrent surprendre Genève [3] l’an 1602. [1] Dans cette dernière étaient enfermées deux petites lettres pour deux de vos collègues à qui je devais réponse il y avait fort longtemps. Depuis ce temps-là, je vous dirai que cette mienne dernière, dont je viens de vous faire mention, vous doit avoir été rendue par l’ordre et la voie de M. Ferrus, [4] marchand de Lyon, lequel vous honore fort, et qui m’a promis de faire et de cultiver avec vous une connaissance très particulière. Nous avons ici bien fort et très particulièrement parlé de vous, et lui ai fait connaître notre mutuelle intelligence, l’amitié que vous avez pour moi et l’obligation que je vous ai. Il entra céans comme j’en faisais le paquet et voulut s’en charger avec joie ; autrement, je vous l’allais envoyer par la poste. Il m’a offert toute sorte de services de delà, de me faire venir des livres de Genève ou d’Allemagne et de m’envoyer de deçà dans ses balles tout ce qui m’appartiendra. [2] Je l’en ai très humblement remercié et lui ai dit que c’était à vous à qui j’avais l’obligation de toutes ces choses-là. Deo sit laus et gloria[3]

On dit que nous aurons grande peine le printemps prochain à nous parer et défendre d’une nouvelle guerre qui sera celle contre les Anglais, laquelle semble être de deçà inévitable à cause des pirateries que par ci-devant nous leur avons faites et qu’eux-mêmes nous ont faites depuis par représailles. [4][5] Les deux nations se plaignent fort l’une de l’autre. Je ne doute point que les Espagnols ne fassent tout ce qu’ils pourront pour irriter Cromwell [6] contre nous afin que nous ayons deux ennemis sur les bras au lieu d’un ; et y a grande apparence que cela arrivera si la prudence de Son Éminence [7] ne va au-devant pour empêcher ce nouvel orage.

Ce 24e de décembre. Enfin, j’ai dit aujourd’hui adieu à M. Gassendi, [8] lequel est autant bien qu’un homme de sa sorte peut être. Je l’ai vu dîner en ma présence avec appétit ; mais il mange très peu, je pense qu’il est le plus sobre homme qui soit en France. J’ai ordonné qu’il sera encore un mois entier pour les jours maigres à manger des bouillons à la viande et de la viande même, afin qu’il puisse tant plus tôt se fortifier. [5][9]

M. de Longueville [10] s’en est retourné à Rouen. Il était ici venu pour traiter du mariage de sa fille [11] avec M. de Nemours, [12] archevêque de Reims ; et re infecta reversus est[6] n’ayant trouvé aucun moyen d’assigner ou d’assurer le douaire de sa fille sur le prétendu bien de ce petit prince savoyard. On dit pourtant qu’il a laissé commission pour en chercher les assurances et que si on en trouve, qu’il y consentira. C’est pourquoi l’on croit que ce mariage se fera enfin et que l’archevêché de Reims deviendra vacant, et qu’il pourra venir à M. Molé, de présent garde des sceaux[13] à la place qu’il se démettra de ce précieux dépôt, duquel Son Éminence revêtira quelqu’un de ses amis ou des complices de sa fortune. [7]

Ce 26e de décembre. Cette semaine est ici mort et enterré un chirurgien de Saint-Côme nommé Thévenin, [14] l’oculiste, [15] qui était un grand charlatan, riche, qui n’avait point d’enfants, mais qui était un épouvantable affronteur de chrétiens, principalement de ceux qui veulent être trompés. [8] Il avait un babil enragé et une impudence effroyable à demander, à extorquer et à escroquer de l’argent de tous ceux à qui il promettait des merveilles de l’habileté de sa main, de ses opérations et de ses secrets ; fatuos tamen inveniebat[9] Il faisait profession d’être grand oculiste et voulait passer pour tel, et ne donnait sa petite bouteille d’eau et sa petite boîte de poudre à qui que ce fût, etiam tenuioris fortunæ hominibus[10] à moins d’une pistole, adeo facile est in arte nostra tam decipere quam decipi[11] je serai pourtant homme de bien tant que je pourrai.

Ce 28e de décembre. Enfin, le cardinal de Retz [16] est à Rome. [12] Nous avons ici un de nos surintendants en mauvaise posture, savoir M. de Servien, [17] à la veille d’être disgracié : M. Fouquet, [18] procureur général, son compagnon, l’emporte de faveur par-dessus lui ; bref, il est fort en branle ; c’est peut-être qu’on veut le dégraisser et qu’il se rachète. [13]

Ce 30e de décembre. J’ai aujourd’hui vu M. Gassendi au coin de son feu, lequel m’a dit qu’on lui avait envoyé de Lyon un petit poème manuscrit sur sa convalescence, d’un auteur anonyme qu’il pensait pourtant être un jésuite de Lyon, et que j’y étais nommé. Je vous supplie de m’en retenir six exemplaires tout au moins, si M. Barbier [19] les imprime. [14][20]

Le 1erjour de l’an 1655. Je vous souhaite longue et heureuse vie en toute santé et prospérité, et vous conjure de croire fermement que toute cette année, et les autres qui pourront venir après, si Dieu veut, je serai entièrement votre très humble et très obéissant serviteur. Je vous prie d’en assurer Mlle Spon, à laquelle je baise très humblement les mains. Je salue pareillement nos bons amis, MM. Gras, Garnier et Falconet, auxquels je souhaite toute sorte de contentement. Le livre de M. Perreau [21] et la thèse [22] que je leur destine de mon fils [23] seraient déjà partis, n’était qu’il y a quelque chose de fort friand sur la presse, qui s’achève et que j’y veux adjoindre ; postremum istud habebit rationem mantissæ et bellariorum[15]

Ce 2d de janvier 1655. J’ai aujourd’hui entretenu une heure entière le bonhomme M. Riolan, [24] près de son feu. Il est assez gai, mais il n’ose prendre l’air de peur du froid, et a de la peine à parler à cause de son poumon qui s’emplit trop aisément et le fait asthmatique. [25] Il a grand regret de ne pouvoir travailler en son étude à diverses pièces qu’il a dans l’esprit et qui sont bien avancées.

Ce jourd’hui, 4e de janvier, j’ai heureusement reçu la balle que M. Huguetan [26] m’a adressée. Je l’en remercie de tout mon cœur, et vous pareillement. Je lui en écrirai par ci-après tout exprès pour l’en remercier, comme aussi des livres qu’il y a mis pour moi. Je vous prie de lui dire et de lui faire mes recommandations, aussi bien qu’à M. Ravaud. [27] Pour l’argent que vous aviez donné pour moi à ce paquet, j’en attends à tous les ordinaires votre quittance car j’ai donné ordre il y a longtemps qu’il vous fût rendu par un marchand de Lyon nommé M. Hubet, [28] ce que je crois pourtant être fait.

Je viens d’apprendre une plaisanterie nouvelle, c’est que les antimoniaux, qui ne savent plus comment maintenir leur misérable secte que tant de morts ont rudement décriée, font courir le bruit que feu M. Le Tourneurs [29] n’est mort que faute d’avoir pris de l’antimoine ; [30] en quoi il paraît bien qu’ils sont aveuglés, vu que Guénault [31] était un de ceux qui le traitaient, qui en ce cas, lui en devait donner ; et même l’on m’a dit qu’il y a là-dessus des vers latins sous ce titre Manes Turneri[16] Ne vous étonnez-vous point de l’impudence de ces gens-là ; vraiment, c’est avoir perdu toute honte et être bien effronté.

J’ai trouvé dans ce dernier paquet quelques livres que vous y avez mis et entre autres, trois in‑8o du P. Théophile Raynaud. [32] Je vous prie de mettre sur mon compte l’argent que vous en avez déboursé pour moi, afin que je vous le rende. J’apprends aussi que l’on imprime de présent à Lyon, de ce même père, un traité nouveau de Eunuchis ; [17][33][34] mais je crois qu’il nous en viendra de deçà et que celui qui l’imprime en enverra à Paris. Obligez-moi pareillement de savoir de chez M. Borde [35] et de me le mander, s’il imprime tout de bon l’Hippocrate de Foesius [36] in‑fo[37] in‑fo et le Ciaconius, [38] en deux grands volumes in‑fode Vitis Pontificum Rom., etc[18] S’ils ne travaillent sur une copie fort revue, ils ne feront rien qui vaille, il y a bien des fautes, et des omissions pareillement, pour l’histoire des papes et des cardinaux ; mais hors de cela, le livre peut être d’un très bon débit à cause du fil de l’histoire et pour les éloges de tous les cardinaux qui ont jamais été, qui s’y lisent selon les temps, mais non pas sans beaucoup de mensonges et d’impostures, ut solent Romanenses[19]

Ce 8e de janvier. Pour la vôtre datée du 1er janvier, que je viens de recevoir, je vous en rends grâces de tout mon cœur et vous supplie de me garder part dans votre affection pour tout le reste de l’année. Je suis bien aise que le Botal [39][40] soit achevé, et encore plus de ce qu’il vous est dédié : faxit Deus ut ad nos cito perveniat[20] Je vous promets de faire tout mon possible pour en avancer le débit et j’espère que cela ira bien, quod eo libertius præstabo, quia amici mei nomen illi editioni præfixum legitur[21]

J’attendrai patiemment ce que vous me mandez de M. Barbier. Pour le manuscrit de M. Cousinot, [41] vous me confondez pour la peine qu’en avez prise, j’en suis tout honteux ; et aussi en suis-je bien marri, je croyais que cela fût beaucoup plus court ; mais il le faut vouloir ainsi puisque c’en est fait. Je vous en demeure très obligé pour la peine qu’en avez voulu prendre ; qod tamen si potuissem prævidere[22] j’eusse mieux fait de vous prier de m’envoyer votre cahier, lequel j’eusse fait transcrire de deçà et puis après, je vous l’eusse renvoyé. Mais puisqu’il n’y a plus de remède, Dieu soit loué de tout. Pour l’Alcoran des cordeliers [42][43] en latin, [23] je suis ravi que m’en ayez recouvré un, je ne l’ai vu qu’en français. Je vous prie de mettre sur mon compte ce qu’il vous a coûté et de me l’envoyer quand vous pourrez. Je ne vois ici personne satisfait du livre de M. Pecquet, [44] non plus que de ce qu’il dit qu’il a fait voir à tout Paris, car ceux-mêmes qui disent avoir assisté à ses dissections [45] et démonstrations avouent qu’ils n’y ont rien appris et qu’il n’y a rien prouvé de solide, comme il prétend avoir fait. [24][46]

Ce 9e de janvier. M. Gassendi est tout à fait guéri et Dieu merci, sans autre incommodité que celle du froid, quod convalescentibus est inimicissimum ; [25][47][48] mais cela est de la saison. Il espère d’aller à l’église demain dans le carrosse de M. de Montmor. [49] Il faut qu’il se choie fort particulièrement jusqu’au mois de mai, propter tenellulam et pene vitream valetudinem, mollitiemque corporis, quod est raræ texturæ[26] Dès que le temps sera doux, l’air des champs lui sera excellent, et le lait d’ânesse [50] pareillement, ad robur pulmoni conciliandum[27] Je suis ravi que mes soins lui aient réussi, c’est un excellent personnage, quem utinam Deus Optimus Maximus nobis adhuc servet in multos annos[28]

Pour M. Riolan, il est au coin de son feu, un peu mieux ; unde tamen nequit egredi, propter sceleratum frigus et seni et pulmoni adverissimum[29][51] Il ne peut aller en son étude qui ferait ses délices ni lire, pour la faiblesse de ses yeux. Multa tamen meditatus est quæ habet in animo[30] et même de répondre à M. Courtaud. [52] Néanmoins l’incertitude de sa santé me fait douter de tout ; à cause de quoi il souhaite fort de pouvoir être à Pâques. Il a vendu ses livres qu’il avait en grand nombre, à la réserve d’environ cent volumes qu’il a retenus, et tous ses mémoires et manuscrits, dont il a quantité ; encore n’est-ce que trop. Il avait peur de mourir que cela ne fût fait ; il a donné pareil ordre à d’autres affaires de sa maison, en dépit d’un méchant fils [53][54] qu’il a, qui s’est marié contre son gré, duquel il a fait casser le mariage, qui tamen hactenus noluit resipiscere[31] Ce fils fait des folies qui lui coûteront bien cher et nuit bien au public, car cette affaire a ruiné la santé du bonhomme qui nous eût encore donné de bonnes choses. La poursuite qu’il a faite pour avoir arrêt contre ce mariage clandestin de son fils, outre trois ans de temps qu’il a employés, lui coûte bien près de 2 000 écus d’argent déboursé ; les juges disent à cela Nemo gratis litigat[32] Dieu nous garde de telles denrées et de si mauvais enfants.

Le bonhomme Rigaud [55] qui est mort est-il père de celui [56] qui a notre manuscrit de M. Hofmann ? [33][57] Je n’ai jamais vu le fils de M. Lyonnet. [58] Ce Petrus Borellus, [59] auteur des Observations, est ici. C’est un petit garçon d’environ 38 ans qui voudrait bien avoir quelque bonne condition dans quelque maison riche en qualité de précepteur ou de bibliothécaire. Je lui ai dit que sa religion réformée lui nuirait fort, il m’a répondu à cela qu’il changerait comme l’on voudrait. Il est curieux et de bonne compagnie, mais il est bien glorieux. Il fait imprimer ici un dictionnaire de vieux mots français. Il parle de s’en retourner en sa ville natale, qui est Castres [60] en Albigeois, [34] pour voir s’il y gagnera plus qu’à Paris en s’y mêlant d’un métier qu’il n’entend point, et y vendant des drogues chimiques. [61] Je vois bien souvent des gens parler de notre métier qui ne savent ce qu’ils disent et qui n’y entendent rien. Celui-ci a la chimie dans la tête et en est infatué, et s’imagine que pour faire la médecine il n’y a qu’à babiller et parler, ab hoc et ab hac[35] de plusieurs drogues. Il est bien loin de son compte, aussi n’y est-il pas parvenu.

On dit que l’évêque de Lectoure [62][63] est mort, qui était frère de M. le comte de La Rochefoucauld, [64] à qui on a rendu les abbayes, qui valent 30 000 livres de rente, pour un sien fils ; l’évêché n’est point encore donné. [36] On dit que l’on a surpris des lettres, lesquelles ont été déchiffrées ; elles viennent du prince de Condé, [65] qui écrivait au prince de Conti [66] son frère, par lesquelles il le conjurait de ne pas coucher avec sa femme, [67] nièce [68] de Son Éminence, etc. [37][69] Quelques-uns disent que cette lettre est supposée.

J’ai aujourd’hui délivré au petit Borde, [38][70] demeurant chez M. Jost, [71] lequel fait balle pour Lyon, un petit paquet dans lequel vous trouverez cinq exemplaires du livre de M. Perreau, savoir un pour vous et les quatre autres pour MM. Gras, Falconet, Garnier et Guillemin, avec chacun une thèse de mon deuxième fils, [15] et un fort petit paquet pour M. Volckamer, [72] que vous lui enverrez à votre commodité. J’avais dessein d’y ajouter autre chose, mais il n’est pas achevé ; et tout cela va si lentement par le désordre de nos imprimeurs [73] que, de peur de perdre l’occasion de cette balle, je l’ai remis à un autre voyage, joint que je crois que de temps en temps il pourra venir autre chose. Le livre de M. Perreau est ici bien reçu et loué, même de ses ennemis. Si Eusèbe < Renaudot > [74] a assez de santé, l’on croit qu’il y répondra et que Guénault, son grand patron, le porte à cela afin de faire chanter des injures à tous ceux qui ne veulent pas être de ses amis et de son avis touchant l’antimoine, et qui ne veulent pas se résoudre à tuer et empoisonner effrontément et impudemment le monde comme il a fait par ci-devant. Il se plaint par la ville que ses compagnons le décrient à cause de l’antimoine, combien qu’il soit un de ceux qui en donnent le moins ; mais qu’il maintient qu’il est bon. Aussitôt le malade lui répliqua Et néanmoins, Monsieur, votre propre fille en mourut l’an passé, et votre gendre Guérin depuis un mois ; [39][75][76] à cette objection, Guénault changea fort de couleur et répondit seulement Les hommes ne sont pas immortels. Ne voilà pas une belle excuse pour un homme qui prétend être si habile ?

Il y a ici un nouveau bruit de la mort du pape [77] par un courrier qui arriva hier exprès. [40] Il y a longtemps que ce bonhomme fait parler de sa mort ; enfin il mourra et puis après, on parlera de l’élection de son successeur ; ainsi la place des curieux de Rome aura toujours quelque nouvel entretien. Je vous prie de saluer en mon nom Messieurs vos confrères pour cet an et de leur dire que je leur envoie le livre de M. Perreau ; plura et maiora missurus cum suppetent ; [41] que je les prie de recevoir ce petit présent en gré, en attendant mieux, comme je crois qu’il en viendra d’autres dans l’an car il y a encore dans le mauvais parti quelque effronté qui brouillera du papier et qui sera cause d’autres livres ; et ainsi sera vrai ce qu’a dit Salomon, [78] Scribendi plures libros nullus est finis[42][79] Nos libraires ne font ici rien de nouveau à cause de la guerre et pour la disette des imprimeurs, à cause de quoi ils ne veulent rien entreprendre. On parle d’une nouvelle Histoire de la ville de Paris[80] laquelle contiendra trois volumes in‑fo, qui sera une pièce curieuse. [43] M. Ogier [81] le prédicateur s’en va aussi faire imprimer un livre de feu son frère, [82] qui seront les ambassades de feu M. d’Avaux, [83] duquel il était secrétaire. Ce sera un tome en latin en trois parties à cause des trois voyages, Iter Danicum, Iter Polonicum, Iter Suecicum ; [44] cela sera en beaux termes et bien curieux car feu M. Ogier était très savant.

L’on dit ici que M. Fouquet, procureur général, a obtenu et gagné la place de premier surintendant des finances en vertu de la promesse qu’il a faite à Son Éminence de lui fournir dans Pâques 15 millions d’argent comptant ; et néanmoins que M. Servien ne laisse pas d’être en crédit. [45] Et voilà tout pour aujourd’hui, après vous avoir supplié de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 13e de janvier 1655.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fos 102‑103, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Jestaz no 144 (tome ii, pages 1329‑1336). Note de Charles Spon au revers de l’enveloppe : « [1655]/ Paris 13 janv./ Lyon 18 dud./ Risp. 29 ditto ».

1.

La véritable date astronomique du solstice d’hiver en 1655 fut le 21 décembre.

Guy Patin évoquait la Journée de l’Escalade, le 12 décembre (calendrier julien, 22 décembre pour le grégorien, v. note [12], lettre 440) 1602, où la ville de Genève s’émancipa définitivement du duc Charles-Emmanuel ier de Savoie (v. note [10], lettre 45). Quelque deux mille de ses mercenaires avaient escaladé un rempart de la ville, mais la population, réveillée par un coup d’arquebuse qu’avait tiré un garde de la ronde, riposta immédiatement dans une admirable unanimité ; en est resté le symbole de la mère Royaume versant depuis sa fenêtre une marmite de soupe bouillante sur un soldat. Pour commémorer l’événement, on déguste encore chaque année à Genève des marmites en chocolat remplies de légumes en pâte d’amande, qu’on fracasse sur la table familiale en criant « Ainsi périssent les ennemis de la République ! ».

2.

Ferrus proposait à Guy Patin de faire venir de Lyon (de delà) les colis qui lui étaient destinés et d’expédier depuis Paris (de deçà) tout ce qu’il voudrait (ce qui lui appartiendrait).

3.

« Gloire et louange à Dieu.»

4.

Guy Patin confondait ici pirateries et courses : muni de lettres de représailles (ou de marque, v. note [36], lettre 384), le corsaire attaquait les navires ennemis pour le compte de son gouvernement, tandis que le pirate écumait les mers pour son propre compte, au risque, s’il était pris, de finir roué ou pendu.

5.

Jours maigres : « les jours où l’Église défend de manger de la chair ; comme le carême [v. note [10] du Naudæana 3], les vendredis, samedis, etc. » (Furetière). Les médecins pouvaient exempter les malades de ce devoir de pénitence.

6.

« mais l’affaire n’étant pas prête, il s’en est retourné ». V. note [37], lettre 334, pour le mariage de Henri de Savoie, duc de Nemours et archevêque de Reims, avec Mlle de Longueville, Marie d’Orléans, qui allait être célébré le 22 mai 1657.

7.

En 1657, l’archevêché de Reims échut non pas à Mathieu i Molé (v. note [52], lettre 101), mais au cardinal Antoine, Antonio Barberini (v. note [4], lettre 130).

8.

En donnant la seconde quinzaine de décembre 1654 pour date de la mort de François Thévenin, Guy Patin semble avoir tranché les hésitations des biographes : Moréri, Éloy et L.‑J. Bégin (in Panckoucke) ont donné le 25 novembre 1656, tandis que l’Index funereus chirurgicorum Parisiensium (page 43) donne le 25 novembre 1658. Il arrivait certes à Patin d’annoncer prématurément les décès, mais il est difficile de réfuter son témoignage car il était direct : cela se passait dans sa ville et touchait un monde médical qui lui était extrêmement familier.

Quoi qu’il en soit, Thévenin, natif de Paris, chirurgien de Saint-Côme, opérateur ordinaire du roi, avait fondé son renom sur son habileté à intervenir sur les yeux (cataracte principalement) et à extraire les calculs de vessie (lithotomie). En mourant, il laissait à l’état de manuscrits un traité des opérations, un autre des tumeurs contre nature, et un dictionnaire étymologique des mots grecs servant à la médecine et à la chirurgie. Guillaume Parthon, son neveu et lui-même chirurgien oculiste du roi, édita et fit imprimer le tout en 1658 (v. note [3], lettre 719). Les œuvres ainsi réunies de François Thévenin (rééditées en 1669) furent dédiées à la « très illustre, très ancienne et très célèbre Faculté de médecine de Paris ». Bel exemple de soumission des chirurgiens de Saint-Côme aux médecins de la Faculté, l’épître dédicatoire de Parthon est assurément bien moins critique que Patin sur Thévenin :

« En effet, Messieurs, le témoignage que toute sa vie il a rendu et l’aveu sincère qu’il a fait que les meilleures connaissances qu’il eût acquises, il les tenait de vous, sont des preuves certaines qu’en le publiant, il n’aurait point cherché d’autre protection que la vôtre : non seulement afin de faire éclater l’estime particulière et cette vénération qu’il a toujours eues pour votre illustre Corps, mais encore pour vous laisser des marques de sa reconnaissance. Et véritablement, quelque avantage qu’il eût reçu de la nature, qui sans doute lui fut assez libérale, et quelque soin qu’il eût pris d’ailleurs pour se rendre considérable dans sa profession, on peut assurer que sans le bonheur qu’il a eu d’approcher de vous et de puiser si longtemps dans cette source pure de la médecine, dont vous êtes les maîtres et les seuls possesseurs, jamais il ne serait venu dans cette réputation dans laquelle il a vécu et qui a fait à tout Paris regretter sa perte. […] Toute la grâce que j’ai à vous demander pour moi, c’est que vous me considériez aussi respectueux à votre égard et aussi soumis que feu mon oncle l’a toujours été. »

9.

« il trouvait cependant des pigeons. »

10.

« même aux hommes les moins fortunés ».

11.

« tant il est facile à notre art de tromper autant que d’être trompé ! »

12.

Retz était arrivé à Rome la première semaine de décembre 1654. Chaleureusement accueilli par le pape Innocent x qui lui accorda le versement d’une pension de 3 000 livres, il reçut le chapeau dans un consistoire réunissant la quasi-totalité des cardinaux italiens. Les religieux français présents à Rome s’abstinrent cependant de visite, par souci de ne pas heurter le gouvernement de Mazarin. L’administrateur de l’église Saint-Louis-des-Français à Rome (v. notule {b}, note [62] du Borboniana 4 manuscrit) avait du reste reçu de Louis xiv une injonction de ne rendre aucun honneur à l’évadé (Mémoires, pages 1160‑1161) :

« Le lendemain au matin, comme j’étais encore au lit, l’abbé de la Rocheposay, que je ne connaissais point du tout, entra dans ma chambre et après qu’il m’eut fait son premier compliment sur quelque alliance qui est entre nous, il me dit qu’il se croyait obligé de m’avertir que M. le cardinal d’Este, protecteur de France, avait des ordres terribles du roi ; qu’il se tenait, à l’heure même qu’il me parlait, une congrégation des cardinaux français chez lui, qui allait décider du détail de la résolution que l’on y prendrait contre moi ; mais que la résolution y était déjà prise en gros, conformément aux ordres de Sa Majesté, de ne me point souffir à Rome et de m’en faire sortir à quelque prix que ce fût. […] Je ne laissai pas de faire donner avis au pape de ces menaces et il envoya aussitôt le comte Vidman, noble vénitien et colonel de sa garde, à l’abbé Charrier pour lui dire qu’il répondrait de ma personne en cas que, s’il voyait la moindre apparence de mouvement dans la faction de France, il ne disposât pas comme il lui plairait de ses Suisses, de ses Corses, de ses lanciers et de ses chevau-légers. J’eus l’honnêteté de faire donner avis de cet ordre à M. le cardinal d’Este, quoique indirectement, par monsignor Scotti, et M. le cardinal d’Este eut aussi la bonté de me laisser en repos. »

13.

« Dégraisser se dit figurément en morale. Dégraisser quelqu’un, c’est-à-dire lui ôter une partie de son bien. Le changement de ministère dégraisse bien des financiers. Ce fermier s’était bien engraissé dans son premier bail, mais le second l’a bien dégraissé » (Furetière).

14.

Soteria pro Petro Gassendo, huius ætatis philosophorum principe, recens e peripneumonia recreato.

[Sotérie {a} pour Pierre Gassendi, prince des philosophes de ce siècle, récemment guéri d’une pneumonie]. {b}


  1. « Nos poètes chrétiens appellent sotéries les pièces de vers latins qu’ils font pour remercier Dieu ou les saints de les avoir conservés en quelque occasion. Le P. Petau ayant été délivré par l’intercession de sainte Geneviève d’une grande maladie, fit à l’honneur de cette sainte la belle pièce de vers que nous avons sous le nom de Sotérie » (Trévoux).

  2. Lyon, Guillaume Barbier, 1654, in‑fo de 10 pages, sans nom d’auteur.

Les vers à la gloire de Guy Patin se trouvent aux pages 8‑9 :

Circunstant lecto interea, certantque medentum
Turba sagax, avidi tantæ incubuisse saluti,
Spemque metumque inter dubii : Cum clarus ab arte
Phœbæa, (sanctæ forte hic faciebat Hygeæ)
Extrema exclamat subito
Patinus ab aula,
Macti animis ! Et sunt (mihi credite) Numina cœlo ;
Audimur socii ; risit mihi dexter Apollo,
Et subiens auras hæc verba novissima dixit :
Invidiæ est dandus sanguis ; quod pectora vincat
Omnia solerti
Gassendus pectore, Livor
Vrit edax, pestis primum hæc vitalibus hæsit
Frigida, sed rabido post paulo accensa furore
Excitat in venis incendia ; sensit Alumni
Pene sibi incautæ repsisse oblivia Virtus,
Utque loco cedat Stygis implacabile monstrum,
Invidiæ est dandus sanguis, sic Numina poscunt.
Vix bene desierat
Patinus, Apollinis arma
Expediunt moniti, paterisque capacibus instant
Liventem penitus venis haurire cruorem.
Tum lapsæ redeunt vires, vigor ore revixit
Pristinus, adspirant iterum vitalibus auræ
Follibus. O superi ! quot pectora respirare
Unus dat vacuo liber spiramine pulmo
.

[Pendant ce temps, les médecins se pressent en foule autour du lit ; partagés entre l’espoir et la crainte, ils rivalisent, jaloux d’avoir à veiller sur la santé d’un si éminent personnage ; quand soudain Patin, illustre en l’art de Phébus (peut-être était-il grand prêtre la sainte Hygie), {a} s’écrie depuis le fond de la salle, « Haut les cœurs ! » Et voilà (croyez-moi) des injonctions qui viennent du ciel. « Mes frères, nous voici exaucés ! L’habile Apollon m’a souri. » Et suspendant tous les souffles, il a prononcé ces paroles tout à fait nouvelles : « il faut donner du sang à la jalousie ; sous prétexte que l’habile intelligence de Gassendi surpasse tous les autres esprits, une malignité vorace le consume. Cette peste froide s’est emparée de ses parties vitales, mais bientôt embrasée par une folle furie, elle allume des incendies dans les vaisseaux ; elle engloutit sans résistance la vertu imprévoyante, oublieuse de son disciple. Pour que le monstre implacable du Styx lâche pied, il faut donner du sang à la jalousie, ainsi l’exigent les dieux. » Patin l’avait à peine dit qu’il prépare ses armes d’Apollon avisé, pour vider promptement dans de profondes coupes tout le sang livide qui est à l’intérieur des veines. Alors les forces se relèvent de leur effondrement, la parole retrouve sa vigueur d’antan, le souffle vital revient aux poumons. Ô dieux, comme seul un poumon que sa bronche dégagée a libéré permet à la poitrine de respirer !] {b}


  1. Phébus est l’autre nom d’Apollon, dieu de la médecine (v. note [8], lettre 997) ; Hygie, fille d’Esculape, est la déesse de la santé.

  2. Je remercie Yves Capron pour son aide à traduire ces vers fort alambiqués.

L’auteur de cette pièce est le jésuite Jean Bertet (Tarascon 1622-Paris vers 1693). Une lettre de Balthazar de Monconys, {a} à Gassendi, datée de Lyon le 22 décembre 1654, parle de lui à mots couverts : {b}

« Je ne saurais vous remercier plus agréablement des vers que vous m’avez envoyés sur votre convalescence, de la façon de M. Du Périer, {c} qu’en vous faisant part de ceux que le Père B. a composés sur le même sujet, et que Barbier a imprimés. Il ne veut pas qu’on sache qu’il en est l’auteur, pour des raisons que vous pouvez conjecturer. {d} Il m’a dit qu’il vous écrirait, et m’a chargé cependant de vous assurer qu’il n’est personne qui ait été plus touché de votre mal et qui ait ressenti une joie plus sincère du rétablissement d’une santé dont dépend celle de la philosophie. Vous communiquerez s’il vous plaît ces vers à M. de Montmor, {e} à la censure duquel il les soumet aveuglément. Il vous aime avec passion et ne parle de vous qu’avec des transports qui témoignent l’estime qu’il fait de votre mérite. » {f}


  1. V. note [52], lettre 420.

  2. Journal des voyages… (Lyon, 1666, v. note [6], lettre 825), troisième partie page 33.

  3. V. note [12], lettre 386.

  4. V. note [17], lettre 399, pour les vers litigieux que Bertet préféra modifier.

  5. V. note [12], lettre 337.

  6. La version originale de la Soteria du P. Bertet est imprimée dans les pages suivantes.

Entré chez les jésuites en 1637, Bertet enseignait alors à Lyon. Devenu plus tard préfet des études d’Emmanuel-Théodore de Bouillon, futur cardinal de Bouillon, Bertet vint à Paris en 1671 dans la maison professe de sa Société. En 1681, son intérêt curieux pour les horoscopes de l’empoisonneuse La Voisin déplut profondément au roi et il eut ordre de sortir de la Compagnie. Il se retira au monastère bénédictin de Sauze d’Oulx en Piémont (Moréri 1749, supplément, tome premier, Corrections et additions, page 25). Son principal ouvrage littéraire a été la monumentale édition des Opera omnia [Œuvres complètes] du P. Théophile Raynaud en 19 volumes in‑fo (Lyon, 1665, v. note [6], lettre 736). Dans ses lettres ultérieures, Patin a plusieurs fois parlé du P. Bertet avec respect et affection. Il a même correspondu avec lui, mais il n’est rien resté de leurs échanges.

15.

« celui-là vous tiendra finalement lieu de surcroît et de friandises. »

V. notes [3], lettre 380, pour le Rabat-joie de l’Antimoine triomphant (Paris, 1654) de Jacques Perreau contre Eusèbe Renaudot, et [3], lettre 384, pour la première thèse quodlibétaire de Charles Patin (10 décembre 1654).

16.

« Mânes de Le Tourneurs » (vers dont je n’ai pas trouvé de trace imprimée) ; v. note [9], lettre 380, pour Léon Le Tourneurs, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris.

17.

Eunuchi nati, fati, mystici, ex sacra et humana litteratura illustrati. Zacharias Pasqualigus, puerorum emasculator ob musicam, quo loco habendus. Responsio ad quæsitum, per epistolam I Heriberti cameliensis. Ad illustrissimum et amplissimum D.D. Philibertum de La Mare, senatorem Divionensem.

[Les Eunuques de naissance, provoqués, ou sans cause connue, tels qu’illustrés par la littérature sacrée et profane. Ce qu’a dit sur ce sujet Zacharias Pasqualigus, castrateur d’enfants pour la musique. {a} Réponse à la question posée par une lettre de J. Heribertus {b} au très illustre et éminent M. Philibert de La Mare, {c} conseiller au parlement de Dijon]. {d}


  1. Ce livre attaque la Quæstio 100 (page 216‑218), An liceat Parentibus castrare filios ipsis consentientibus pro voce conservanda [S’il est permis aux parents de castrer leurs enfants, avec leur consentement, pour conserver leur voix] (avec réponse positive) de la :

    Zachariæ Pasqualigi Veronensis Cler. Regular. Theatani Sacræ Theologiæ Professoris, variarum Quæstionum moralium canonicarum Centuria i. In quibus ex Principiis theologicis et sacris atque civilivus legibus plura dubia, quæ ad Praxim utriusque fori pertinent tam quo ad Regulares quam quo ad Sæculares breviter, et dilucide explicantur. Cum Indicibus.

    [Centurie i des Questions morales canoniques de Zacharias Pasqualigus, clerc régulier théatin de Vérone, professeur de théologie sacrée : {i} où, suivant les principes théologiques et saints, et les lois civiles, sont brièvement et clairement expliqués plusieurs doutes, touchant la pratiques des tribunaux tant réguliers que séculiers. Avec des index]. {ii}

    1. Zaccarias Pasqualigus (Zaccaria Pasqualigo), mort en 1664 ; v. note [19], lettre 282 pour les théatins.

    2. Rome, héritier de Franciscus Cobolettus, 1647, in‑fo de 218 pages.

  2. Joannes Heribertus (Herbert) Cemeliensis (natif du Cimiez, colline de Nice) est l’un des pseudonymes du P. Théophile Raynaud (natif de Sospelle dans le comté de Nice, v. note [8], lettre 71).

  3. V. note [3], lettre 393.

  4. Dijon, Philibertus Chavance, 1655, in‑4o de 303 pages ; achevé d’imprimer daté du 8 juin

18.

V. notes [6], lettre 68, pour le projet avorté de rééditer à Lyon l’Hippocrate d’Anuce Foës, et [2], lettre 304, pour le livre d’Alfonso Chacon « sur les vies des pontifes romains, etc. », dont le projet d’édition lyonnaise échoua aussi.

19.

« comme ceux de Rome en ont l’habitude. »

20.

« Dieu fasse qu’il nous parvienne vite. »

L’Epistola nuncupatoria [Épître dédicatoire] du De Curatione per sanguinis missionem, liber… [Livre sur le Traitement par la saignée…] de Botal (Lyon, 1655, v. note [18], lettre 360), signée Michel Duhan, bibliopola Lugdunensis [libraire de Lyon] et datée du 1er janvier 1655, est adressée Clarissimo, spectatissimoque Viro, D. Carolo Sponio, doctori medico Monspeliensi, Lugdunensibus aggregato, necnon Chirurgiæ pro tempore Professori publico [à Me Charles Spon, très célèbre et estimé, docteur en médecine de Montpellier, agrégé aux médecins de Lyon, ainsi qu’à l’occasion professeur public de chirurgie]. Spon était l’éditeur scientifique de l’ouvrage et a tenu la plume du libraire, comme le montre cette entrée en matière que seul un médecin était capable d’écrire : {a}

Inter varias nostrorum temporum calamitates, Vir Clarissime, non postrema nobis videtur præstantiorum Disciplinarum labefactio, quam tot semidocti factis scriptisque studiose moliuntur. De cæteris autem uti modo sileam, quid non in fundo tentatum hactenus Iatrico ? Ecce, hic nova comminiscitur totius artificij prinicipia : Ille incomperta χυλοδοχεια proponit. Iecinoris hæmatosi funus indicit unus : Alter lienem nonnisi Chyloseos promotorem, ad cætera inutilem profitetur. Perpetem alii purpuræ animæ vertiginem, qua per cor, et cordis πεφυκοτα volvatur ac revovlvatur, assignant. Non desunt qui Pharmaca pene omnia, (quamvis eximia omniparentis Naturæ munera) floccifaciant. Quidam abdicato innoxiorum usu, peremptoria populo obtrudunt, ac magnifice commendant. Verum hæc omnia, utut palmaria Neoticorum ausa, minutula saltem merentur haberi, ac pene iocosa, præ nupera Polyphemuli cuiusdam Brabantini, penitus exoculati vecordia, qua Chirurgicorum præsidiorum Reginam Phlebotomem abrogare nititur. Quo voto si potiatur, quid satis solatii graviter dolitantibus, quidve spei accute laborantibus amplius supersit, negant se perspicere coulatissimi quique veteris Medicinæ cultores.

[Parmi les diverses calamités de notre temps, très distingué Monsieur, la moindre ne me paraît pas être l’écroulement des sciences les plus éminentes, que fomentent tant de demi-savants par leurs agissements et leurs écrits. Sans parler des autres disciplines, {b} à quel fondement de la médecine ne s’est-on pas encore attaqué aujourd’hui ? En voici un qui réinvente entièrement les principes de l’art ; {c} un autre qui présente d’obscurs conduits biliaires ; {d} celui-ci déclare les funérailles du foie dans la sanguification ; celui-là professe que la rate n’a d’autre utilité que de promouvoir la chylose ; {e} d’autres encore établissent un tournoiement perpétuel du sang qui le ferait naturellement sortir du cœur pour y revenir ensuite. {f} Il ne manque pas de gens qui méprisent presque tous les médicaments (bien qu’ils soient d’éminentes faveurs de la Nature, mère de tout ce qui existe). Ayant banni l’emploi des remèdes anodins, certains en imposent de meurtriers au peuple et les lui prescrivent à l’envi. {g} En vérité, quelque osées que soient les conquêtes des modernes, tout cela mérite d’être tenu pour broutilles, presque badines, en exceptant les récentes extravagances d’un certain petit Polyphème brabançon à l’œil crevé, {h} s’acharnant à abolir la phlébotomie, reine des secours chirurgicaux. En se soumettant à ce vœu, tous les adeptes les plus avisés de l’antique médecine refuseraient de voir qu’il ne leur reste alors plus rien pour soulager convenablement ceux que torturent les douleurs, ni pour donner espoir à ceux qui les endurent].


  1. Cette diatribe est remplie d’allusions transparentes aux laborieux progrès du savoir (éclaircies dans mes notules). Guy Patin n’y est pas nommé, mais en a sûrement approuvé les termes

  2. Astronomie, physique, mathématiques ou chimie.

  3. Paracelse fut l’initiateur de la Renaissance médicale (v. note [7], lettre 7).

  4. L’anatomie et le fonctionnement des voies biliaires n’ont guère été évoquées dans notre édition (v. note [16], lettre 391) : le Manuel anatomique et pathologique (traduction française de Lyon, 1672) de Jean ii Riolan en donne un aperçu, dans le chapitre xxvi, livre ii (pages 198‑200), De la petite Bourse, ou Vessie, qui contient le Fiel.

  5. Découvertes chaudement contestées de Jean Pecquet, Thomas Bartholin et quelques autres sur les voies du chyle, sa fabrication (chylose ou chylification) et son rôle dans l’élaboration du sang (sanguification), v. note [26], lettre 152 ; le propos abscons sur la rate suggère peu d’intérêt de l’auteur pour le sujet.

  6. Description par William Harvey de la circulation du sang (ici poétiquement appelé purpura anima [âme pourpre]), que ses nombreux opposants tenaient encore pour une théorie futile et aberrante (v. note [12], lettre 177).

  7. Querelle de l’antimoine (v. note [8], lettre 54).

  8. Jan Baptist Van Helmont (v. note [11], lettre 121), sagace bourreau de l’atrabile et de la théorie humorale (v. notule {a}, note [17], lettre latine 87), ici comparé au cyclope Polyphème aveuglé par Ulysse (v. note [51] du Borboniana 9 manuscrit).

21.

« à quoi je pourvoirai très librement parce qu’on lit le nom de mon ami en exergue de cette édition. »

22.

« si pourtant j’avais pu prévoir cela » ; Guy Patin priait Charles Spon de l’excuser pour la lourdeur de la tâche qu’il lui avait confiée en demandant une transcription du manuscrit de Jacques ii Cousinot sur les eaux minérales (v. note [21], lettre 384).

23.

L’édition latine alors la plus récente de l’anonyme Alcoran des cordeliers {a} était intitulée :

Alcoranus Franciscanorum id est, blasphemiarum et nugarum Lerna de stigmatisato Idolo, quod Franciscum vocant, ex libro Conformitatum. Versiculus Franciscanorum Franciscus est in cœlo. Responsio Quis dubitat de illo ? Antiphona Totus Mundus.

[Alcoran des cordeliers, c’est-à-dire Lerne {b} des blasphèmes et des sornettes sur l’idole stigmatisée qu’on appelle François, {c} tirées du livre des Conformités. Couplet des franciscains : – François est au ciel – Réponse, Qui doute de lui ? – Antienne, Le monde entier]. {d}


  1. Ouvrage d’Erasmus Alberus (Érasme Albert ou Albère) avec préface (signée) de Martin Luther, v. note [26], lettre 386.

  2. Lac hanté par l’Hydre, v. notule {a}, note [4] des triades du Borboniana manuscrit.

  3. Saint François d’Assise.

  4. Deventer, Johannes Columbius, 1651, in‑12 de 248 pages, avec la préface non signée de Luther Christiano Lectori Sautem [Salut au lecteur chrétien].

24.

V. note [4], lettre 360, pour les Experimenta nova anatomica… [Expériences anatomiques nouvelles…] (Paris, 1651 et 1654) de Jean Pecquet qui, par des dissections publiques, s’acharnait toujours à convaincre Paris de sa découverte : les vaisseaux lactés (chylifères intestinaux) ne se terminent pas dans les glandes du mésentère, dans le pancréas, dans la rate ou dans le foie, comme on le croyait généralement, mais aboutissent dans le renflement inférieur du canal thoracique qui transmet leur contenu dans la veine subclavière gauche. L’aveuglement railleur de Guy Patin n’était pas celui d’un quelconque médecin, mais bien, hélas, celui du titulaire de la chaire d’anatomie du Collège de France.

25.

« qui est le plus grand ennemi des convalescents » : v. note [16], lettre 290, pour un emprunt de Cicéron à Euripide qui se rapproche de cette sentence.

26.

« parce qu’il est de texture délicate, de grande sensibilité et de santé presque aussi fragile que le verre. »

27.

« pour procurer de la force au poumon. »

28.

« et puisse Dieu tout-puissant nous le conserver encore de longues années. »

29.

« il n’est pourtant pas encore capable de sortir, à cause du froid qui règne, scélérat et fort ennemi du vieillard et du poumon. » V. note [3], lettre 456, pour sceleratum frigus [le froid scélérat] dans Virgile.

30.

« Il médite cependant sur bien des choses qu’il a dans l’esprit ».

31.

« qui n’a pourtant toujours pas voulu se repentir. » V. le passage en date du 21 avril dans la lettre à Charles Spon du 25 avril 1653, pour le grave différend qui opposait Jean ii Riolan à son second fils, Herni, l’avocat.

32.

« Nul ne plaide gratuitement » (v. note [7], lettre 328).

33.

Les Chrestomathies de Caspar Hofmann (v. note [17], lettre 192), toujours en panne chez le libraire de Lyon, Pierre Rigaud, fils de feu Claude i.

34.

Castres (Tarn), en Albigeois (Haut-Languedoc), se situe à 72 kilomètres à l’est de Toulouse et 42 au sud-est d’Albi. C’était le siège d’un évêché (suffragant d’Albi) qui fut supprimé en 1790.

35.

« à tort et à travers ».

Pierre Borel (Castres vers 1620-ibid. 14 octobre 1671), docteur en médecine de Cahors en 1643, avait commencé l’année suivante à exercer dans sa ville natale. Venu à Paris en 1653, il fut fait médecin ordinaire du roi. Borel retourna à Castres en 1657. Il avait beaucoup de goût et d’enthousiasme, certes un peu teintés de naïveté, pour toutes les nouveautés scientifiques de son temps ; ce qui lui valait sans doute le fielleux mépris de Guy Patin.

Écrivain prolifique, Borel avait entre autres publié les Historiarum et observationum medico-physicarum centuria prima et secunda ; in qua non solum multa utilia, sed et rara, stupenda, ac inaudita continentur [Première et seconde centuries d’histoires et observations médico-physiques ; qui contiennent beaucoup de choses non seulement utiles, mais encore rares, étonnantes et inédites] (Castres, Arnaud Colomer, 1653, in‑8o). Deux autres centuries parurent ensuite, avec des suppléments (Paris, 1656 et 1661, v. note [7], lettre latine de Thomas Bartholin, datée du 25 septembre 1662).

On imprimait alors son Dictionnaire des termes du vieux français, ou Trésor de recherches et antiquités gauloises et françaises, réduites en ordre alphabétique, et enrichies de beaucoup d’origines, épitaphes, et autres choses rares et curieuses, comme aussi de beaucoup de mots de la langue thyoise ou theuthfranque (Paris, Augustin Courbé, 1655, in‑4o). C’est plus un dictionnaire pittoresque que savant, comme l’illustre la définition du mot huguenot (page 168) :

« Sobriquet donné à ceux de la religion réformée, dont on donne beaucoup d’étymologies, comme de Jean Hus, {a} ou Heusquenaux, mutins de Suisse, ou de Huc nos, parce qu’on dit que quelques Allemands protestants, étant députés, firent une harangue, commençant Huc nos venimus, {b} et qu’ils ne surent l’achever ; mais je crois que les dernières origines sont des impostures, et que la première est la bonne. On leur a donné aussi un autre sobriquet, savoir de parpaillol, c. papillon, {c} dont on a aussi cherché diverses origines. On tient qu’elle vient de ce qu’en la bataille de Saint-Denis, {d} il y eut un grand nombre de cavaliers protestants vêtus de hoquetons blancs, qui agissaient si bien qu’ils semblaient de loin des papillons volants ; et le roi {e} même, les regardant de loin, souhaita d’avoir dans ses armées semblables soldats. D’autres le font venir d’un combat donné à Clairac en Agenois. » {f}


  1. V. note [84] du Faux Patiniana II‑7, pour Jean Hus, dont les disciples portaient ordinairement le nom de hussites.

  2. « Nous venons ici ».

  3. « c’est-à-dire papillon. »

  4. Le 10 novembre 1567, v. note [12], lettre 655.

  5. Charles ix.

  6. Bastion calviniste, Clairac (Lot-et-Garonne) fut assiégée par Louis xiii en le 28 juillet 1621 et se rendit au roi le 8 août.

    Furetière dit de parpaillot : « nom injurieux qu’on a donné en quelques endroits de la France à ceux de la Religion prétendue reformée. On dit qu’au siege de Clairac ils firent une sortie couverts de chemises blanches en un temps où on voyait beaucoup de papillons, que les Gascons appellent parpaillols, comme les Italiens farfalla ; et que de là ce nom leur est demeuré. […] Borel dit que c’est à cause qu’ils couraient au danger sans crainte, et allaient chercher leur mort comme font les papillons qui se vont brûler à la chandelle. »


V. notes [6] de la lettre que Pierre Louvet a écrite à Guy Patin, datée du 22 janvier 1657, pour les Antiquités de Borel, publiées en 1649, et [11], lettre latine 120, pour deux autres de ses ouvrages.

36.

En mai 1646, Louis de La Rochefoucauld (Poitiers 1615-5 décembre 1654), dit l’abbé de Marcillac, frère cadet de François vi, avait été nommé évêque de Lectoure (Gers, entre Agen au nord et Auch au sud) ; il ne fut sacré qu’en décembre 1649 (Gallia Christiana). Cet évêché a été supprimé à la Révolution.

37.

Le prince de Conti avait épousé Anne-Marie Martinozzi le 22 février 1654.

38.

Sans doute Pierre Borde, fils du libraire lyonnais Philippe Borde (v. note [3], lettre 73), dont on trouve le nom associé à celui de Laurent Arnaud parmi les imprimeurs d’ouvrages publiés dans la seconde moitié du xviie s.

39.

V. notes [15], lettre 364, pour la mort de Jean (ou Antoine) Guérin, gendre de François Guénault, et [4], lettre 328 pour celle de Catherine, sa troisième fille, en 1653.

40.

Cette fois-ci, la nouvelle était exacte : Innocent x était mort le 7 janvier 1655.

41.

« que je leur en enverrai plusieurs autres, et plus grands, quand j’en disposerai ».

42.

« Écrire des livres est un travail sans fin » (L’Ecclésiaste, v. note [13], lettre 283).

43.

V. note [41], lettre 426, pour cet ouvrage de Henri Sauval qui ne fut imprimé qu’en 1724.

44.

« Voyage danois, Voyage polonais, Voyage suisse » : v. note [6], lettre 378, pour le livre de Charles Ogier, dont reparlait ici Guy Patin.

45.

Dans les derniers mois de l’année 1654, un partage plus précis des tâches et des responsabilités avait été décidé entre les deux surintendants. Un dernier personnage était venu former le triumvirat, le banquier Hervart qui recevait le monopole d’ordonnateur des assignations. Ce nouveau règlement avait été signé le 24 décembre. La confiance illimitée que Mazarin plaça désormais en Fouquet, et qu’il afficha ouvertement après cette signature, fit croire en la disgrâce de Servien, qui resta pourtant en place jusqu’à sa mort en 1659. À partir de 1655, Fouquet fournit à Mazarin tout l’argent dont il avait besoin ; il réussit à maintenir les finances jusqu’au milieu de l’année 1656 malgré le gouffre financier que creusait la guerre (Jestaz).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 13 janvier 1655

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(Consulté le 28/04/2024)

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