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Le fusil photographique (2)
Quoique imitant le revolver de Janssen, la version de l'instrument construite par Marey était plus rapide et plus flexible. Dans le revolver de Janssen, une impression était faite lorsque la lumière était admise à travers la fente d'un disque fendu en rotation continue vers la fente unique qui se trouvait derrière. Ingénieusement, Marey inversa les deux obturateurs et fixa la plaque à l'arrière du second. L'obturateur et la plaque bougeaient et s'arrêtaient ensemble, et les trois éléments rotatifs étaient réduits à deux. Marey résolut également le problème du stockage des plaques et de leur accessibilité. Il réalisa un chargeur de plaques – il l'appelait sa « boîte à escamoter »** – qui contenait 25 plaques et les fournissait, une par une, sans qu'elles soient jamais exposées à la lumière. Il y avait cependant de profondes différences entre la façon dont l'appareil photographique capturait le mouvement et celle des instruments graphiques dont Marey espérait qu'il les supplanterait. Les inscripteurs graphiques ne faisaient pas d'images du mouvement qu'ils traçaient, mais fournissaient plutôt à Marey une expression visuelle fluide du temps et du mouvement. Les lignes qui ondulaient sans interruption le long de feuilles de papier noircis à la fumée étaient une sorte d'écriture dont le langage, comme le disait Marey, était celui de la vie elle-même. De cette écriture il pouvait tirer des interprétations et des mesures ; il pouvait calculer la force du mouvement et le travail dépensé pour l'exécuter ; il déchiffrait chaque vague, ligne ou boucle comme un « archéologue qui déchiffre[...] des inscriptions écrites dans une langue inconnue ; qui essaye[...] tour à tour plusieurs sens à chaque signe [...] »» *
L'appareil photographique dépeignait le mouvement d'une façon très différente. Il donnait effectivement une image des changements qui survenaient dans de minuscules segments de temps, reproduisant la forme extérieure du mouvement accompagnée d'une profusion de détails imagés. Sa reproduction était intermittente, cependant, et il représentait des moments séquentiels dans le temps sans les moments intermédiaires. Le rendu du mouvement dans le temps comme un flux continu était perdu. La méthode graphique avait rendu le mouvement comme une continuité, mobile avec le mouvement, faisant écho à chacun de ces déplacements, mais elle le faisait au prix des détails concrets. L'appareil photographique fournissait des images contenant autant de détails concrets qu'on pouvait le désirer, mais il le faisait au prix de la continuité et de la clarté de l'expression.

* Marey. - Le fusil photographique. In : La nature : revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie, 1882,22 avril, p. 326-330.
** Marey. « Histoire naturelle des corps organisés. [Cours du Collège de France]. II. Rôle de l'analyse des sciences. Puissance qu'elle emprunte à l'emploi d'instruments perfectionnés » In :
Revue des cours scientifiques de la France et de l'étranger, 1867,IV, p. 296-301. P. 297.