L. 290.  >
À Charles Spon,
le 18 juin 1652

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du vendredi 7e de juin, [1] contenant quatre grandes pages de galimatias à mon ordinaire, [2] et de plus, une autre de près de deux pages des plus fraîches nouvelles qui fussent de deçà, avec un jeton [3][4] enfermé dedans et une autre lettre pour M. Ravaud, je vous dirai que le jour suivant, savoir le samedi 8e de juin, le Parlement étant assemblé pour délibérer sur le retour des députés et sur la réponse qu’on leur avait faite, le secrétaire du duc d’Orléans [5] se présenta, qui demanda d’être ouï. Son maître leur mandait qu’il les priait de remettre l’assemblée à lundi prochain, qu’il ne pouvait de présent aller au Parlement à cause de la nouvelle qui lui venait d’arriver que le siège d’Étampes [6] était levé, et qu’il fallait pour cela donner divers ordres, ce qui le retenait au logis. En même temps, s’y présenta aussi un envoyé de la reine de Suède, [7] qui leur apportait une lettre de sa maîtresse, intitulée Parlamento Parisiensi. Le dedans commençait par Illustrissimi[2] elle les exhortait de travailler à la paix et de contribuer tout ce qu’ils pourraient, comme ils ont toujours fait, pour la conservation du roi [8] et du royaume, etc. Il fut dit que lundi prochain, 10e de juin, on délibérerait de toutes les deux affaires. [3]

Le siège d’Étampes levé donne bien du tintouin à la reine [9] et à son marmouset, [10][11] qui ne savent où aller. [4] M. d’Épernon [12] a failli d’être tué à Dijon [13] par la populace sur l’opinion que l’on avait qu’il y appelait le roi, lequel apportera une entière désolation à toute la province s’il y va avec le Mazarin et des troupes. Ceux de Sens [14] ont mandé à la reine qu’ils ne peuvent recevoir dans leur ville que le roi et sa Maison ; que si le Mazarin et les troupes en approchent, qu’ils fermeront leurs portes. Vous voyez comment ce faquin sicilien traîne son malheur partout. Les chevau-légers de la garde et les gendarmes ont refusé d’obéir quand la reine leur a commandé d’aller au siège d’Étampes, disant qu’ils étaient pour garder la personne du roi, et n’ont point obéi et n’ont pu y être contraints.

Ce lundi 10e de juin. Nous avons trois armées ici alentour de nous : des princes, du Mazarin et du duc de Lorraine. [15] Mais tout cela n’est rien au prix de la dévotion que l’on a de deçà pour sainte Geneviève, [16] de laquelle on doit demain porter la châsse par les rues en procession [17] depuis son église [18] jusqu’à Notre-Dame. [19] Si la paix se fait ensuite, la bonne sainte ne manquera pas d’en avoir l’honneur ; mais la pussions-nous tenir à cela près, tant j’ai peur qu’elle ne vienne point. [5] Il y a aujourd’hui huit jours que l’accord fut fait de renvoyer le marmouset et que dès le lendemain, il partirait ; mais tout cela fut rompu par les trois plus méchants hommes de l’Europe, savoir MM. de Bouillon, [20] de Senneterre [21] et le premier président[22] qui ont obsédé la reine, [6] et sans lesquels elle ne voit ni n’entend rien. Le bonhomme M. Barralis, [23] un de nos anciens, m’a dit aujourd’hui que dans 15 jours, nous aurons la paix et que le Mazarin sortira du royaume, que d’honnêtes gens se sont mêlés de l’accord ; je pense qu’il entend M. de Châteauneuf, [24] duquel il est médecin.

Ce mardi 11e de juin. La procession s’est faite ce matin fort solennellement avec grande dévotion de toute la ville et une affluence incroyable de peuple. Je ne vis jamais tant de monde dans les rues et aux fenêtres, sans les prêtres et moines, outre Messieurs du Parlement, de la Chambre des comptes, la Cour des aides[25] l’Hôtel de Ville et tous leurs archers, qui tous procédaient fort dévotement ; mais ils étaient fort incommodés du peuple qui occupait les rues, je n’en vis jamais tant. Je ne sais s’il s’y est fait quelque miracle, [26] mais je tiens pour un très grand miracle s’il n’y en a eu plusieurs d’assommés et de massacrés. Tous nos Parisiens, qui sont gens multæ magnæque fidei[7] sont fort contents d’une si belle et si grande cérémonie ; et moi qui ne suis point Parisien, j’en suis pareillement fort content, mais plût à Dieu et à sa sainte Mère, par l’intercession de sainte Geneviève, que nous eussions la paix. Un Romain voyant un jour tout le peuple de Rome assemblé pour voir un triomphe, appela Rome επιτομην της οικουμενης. [8][27] Si vous aviez vu tout cela ce matin, vous n’auriez pas seulement dit de même, mais vous auriez aussi appelé notre ville de Paris επιτομην της δεισιδαιμονιας. [9] Néanmoins, puisque tout le monde en est bien content, aussi suis-je, quand même la paix ne viendrait point ; à laquelle il n’y a point grande apparence puisque la reine ne veut point chasser le Mazarin. Au diable soit le Mazarin !

Ce 16e de juin. Les députés sont derechef allés à Melun, [28] où ils sont depuis quelques jours sans qu’on leur donne audience. Ils ont charge de protester au roi qu’il n’est besoin pour les princes ni pour eux d’aucune autre conférence, de laquelle avait été faite mention, que premièrement le Mazarin ne soit hors du royaume ; ils sont là en attendant audience. Le lendemain de la procession très solennelle de sainte Geneviève, le recteur [29][30] en fit une aussi et nous mena tous, avec l’Université entière, au même monastère de Sainte-Geneviève. [10][31] On parle encore ici d’en faire d’autres et de faire descendre les châsses des églises, comme de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, [32] etc. ; [11] et néanmoins, nonobstant tout cela, rien ne vient, Mazarin ne s’en va point. Inter illas moras Saguntus capitur : [12][33] voilà la Catalogne [34] qui n’en peut plus, Gravelines [35] perdue, Dunkerque [36] qui va être reprise, Casal [37] aussi ; voilà comment la reine fait les affaires du roi d’Espagne, [38] son frère.

Nous avons perdu ici un de nos compagnons âgé de 35 ans, il se nommait M. Bréguet. [39] Il avait quitté Paris pour s’en aller à Bordeaux être le médecin et précepteur du duc d’Enghien, [40] fils du prince de Condé, [41] depuis neuf mois. Il s’en revenait ici faire un voyage sous prétexte de la mort de sa belle-mère, mais pourtant en intention de n’y pas retourner. Il est demeuré malade au deçà d’Orléans et y est mort assez mal assisté. Il laisse huit enfants vivants. S’il n’eût bougé de Paris, il y serait encore. L’envie de faire fortune l’a ruiné : la cour est une belle putain bien fardée, mais qui ruine et qui gâte la plupart de ceux qui s’y attachent. [13]

Je ne sais pas comment vont les affaires de Bourdelot [42] à la cour de Suède, mais je sais de bonne part que l’on cherche ici un médecin pour la reine. [14] M. de Saumaise [43] m’a fait l’honneur de m’en écrire lui-même depuis deux jours et de m’offrir plus qu’on ne donne à Bourdelot. [44] Je m’en suis excusé sur plusieurs raisons, dont la première est que je ne puis me résoudre à quitter Paris ; la seconde est que je ne veux point aller en Suède qui est un pays trop froid pour moi qui suis délicat et froidureux. [15] Notum tibi illud Euripidis apud Ciceronem : ψυχ<ρ>ος δε λεπτω χρωτι πολεμιωτατον. [16][45][46] Pour vivre plus à son aise, il faut être moins ambitieux et se passer à peu. [17] Je ne sais point ce que pourra devenir Bourdelot, mais il est ici fort décrié comme un grand fourbe et qui artem quam profitetur non intelligit[18] Il a été en Italie, cœlum hausit Aventinum[19][47] où il a pris du fin, [20] qui pourra le faire subsister en ce pays de delà où les hommes ne sont pas si fins qu’à Rome.

Les deux princes sont ici en mauvaise posture, ils ne sont point les plus forts, le duc de Lorraine ne veut point leur bailler ses troupes et le prince de Condé ne veut point lui donner la ville de Clermont [48] qui était dans le marché. [21] Les troupes du maréchal de Turenne [49] qui étaient devant Étampes sont venues devers Corbeil, [50] où elles ont passé la Seine, et sont aujourd’hui dans la Brie devers Lagny ; [51] et celles des princes qui étaient dans Étampes ont fortifié cette place. On soupçonne quelque chose de la cour et quelque ruse du cabinet de Mazarin : il y a quelqu’un qui trompe son compagnon, qui n’est pourtant que le jeu ordinaire des princes et des courtisans.

Enfin, c’est chose certaine et découverte que le duc de Lorraine n’est venu que pour nous tromper : il a quitté les princes à leur grand regret et a traité avec la reine, de laquelle il a pris de bonnes pierreries. L’accord de ce traître duc avec la reine a été signé samedi au soir 15e de juin. On le renvoie en son pays avec passeports du roi et promet d’être hors du royaume dans 14 jours. Il s’est excusé vers les princes de ce qu’ils ne sont point assez forts pour attaquer l’armée du roi et qu’il a fait ce qu’il désirait en faisant lever le siège d’Étampes. Il s’en retourne donc fort chargé de butin, ayant tout volé ici alentour. [22] S’il eût tenu pour les princes, la guerre aurait pu finir bientôt, ce qui aurait été contre l’intention du roi d’Espagne qui veut laisser nos affaires en équilibre afin que nous < nous > entremangions de deçà tandis qu’il reprendra Dunkerque. Nos princes sont bien confus de cette surprise et étonnés de cette trahison. [23] Mme la duchesse d’Orléans, [52] sa sœur, qui est grosse, en est au lit. [24] Trois cents chevaux des princes courant la campagne ont pris quelques prisonniers du côté du roi, et entre autres le comte de Broglio, [53] qui est un Italien des premiers chefs du parti mazarin. [25] On dit ici qu’il y a grand désordre à Bordeaux [54] et que quatre conseillers y ont été tués. [26] Il y a ici un si grand nombre de pauvres [55] des villages circonvoisins que l’on fait des assemblées pour donner ordre à leur nourriture. [27]

On ne laisse point de dire toujours que la paix viendra, mais je ne sais quand ce sera. Il y a bien des traîtres partout, ici comme ailleurs : un conseiller du Châtelet nommé de Laulne, [56] naturellement grand fourbe, maltôtier et pensionnaire du Mazarin, lui a donné avis qu’il ne devait point rentrer dans Paris, mais voltiger deçà et delà tout alentour et chicaner cette grande ville qui avait osé se rebeller contre lui, en ruinant sous ombre de guerre tous les environs à dix lieues à la ronde ; ce que je crois qu’il ne manquera pas de faire. Les princes attendent ici dans trois jours 3 500 hommes qui viennent de Liège. [57] Dès que cela sera joint à leur armée, ils seront de beaucoup les plus forts et attaqueront hardiment les mazarins. On s’attend aussi que les princes feront lever sourdement quelques troupes dans Paris. Les députés sont enfin arrivés cette nuit, ils rapportent que la reine veut que le Mazarin demeure ; que le roi le veut retenir en son Conseil comme un homme qui a bien servi, et fort utilement ; que les princes mettent les armes bas, qu’ils se retirent en leurs gouvernements ; que Bordeaux soit réduit au service du roi ; que le Mazarin soit justifié et absous, etc. Ils n’ont point fait encore leur rapport à la Cour, on attend que ce sera demain ou jeudi prochain. [28] La reine n’oserait faire la paix de peur d’être perdue, elle a besoin d’un peu de guerre et de quelques troubles, mais elle pourra s’en trouver mal à la fin. Je vous envoie celle-ci par la voie de M. Caze [58] qui est un fort honnête homme. Je vous baise les mains, à mademoiselle votre femme et à tous Messieurs nos bons amis, MM. Gras, Falconet, Garnier et autres quotquot sunt qui rebus nostris favent[29] Le duc de Lorraine est parti, il doit aujourd’hui coucher à La Ferté-sur-Jouarre. [30][59] Adieu mon cher ami, vive, vale et me amantem redama[31] je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 18e de juin 1652, à trois heures après midi.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fos 38‑39, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Jestaz no 73 (tome ii, pages 917‑925). Note de Charles Spon au revers : « 1652/ Paris, 18 juin/ Lyon, 24 dud./ Rispost. ad. 25 dud. »

1.

Cette introduction et quelques autres passages ont servi pour la lettre fabriquée, datée du 28 juin 1652, adressée à Charles Spon dans Bulderen (lxix, tome i, 197‑199), mais à André Falconet dans Reveillé-Parise (ccccvi, tome iii, 3‑5) (v. note [16], lettre 288).

2.

« Au Parlement de Paris […] Très illustres ». Cette lettre est transcrite et traduite dans les Mémoires concernant Christine de Suède, pour servir d’éclaircissement à l’histoire de son règne et principalement de sa vie privée, et aux événements de l’histoire de son temps, civile et littéraire… (Amsterdam et Leipzig, Pierre Mortier, 1751, in‑4o), tome i, pages 201‑202 :

Christina, Dei gratia, Suecorum, Gothorum, Vandalorumque Regina, Magna Princeps Finlandiæ, Dux Estoniæ, Pomeraniæ, Cassubiæ, etc. Princeps Rugiæ, necnon Domina Ingriæ et Vismariæ, Pacis Consilia et Gaudere.

Illustrissime Senatorum Cœtus, quum præsentem Regni Galliæ statum nobis ob oculos ponimus, non possumus quin exhorrescamus, eum in tanto discrimine versari intelligentes. Enim vero præterquam quod ibi intestinis motibus agitantur omnia, externum hostem in viscera accitum audimus, qui Regni fores omnium vicinarum gentium odio, prædæque aperiat. Hæc, aliaque eiusdem generis, momenti non minoris, affectum nostrum atque animum occupant et conturbant. Et quamquam haud libenter Nos in res ac Regimen aliorum Regnorum ingeramus, neque dubitemus quin ii, quos hisce malis implicari contingit, ea omnia sua sponte amplectantur quæ ad extinguendum funesti illius Belli Civilis incendium et fomitem, tranquillandamque Galliam facere possunt, otiosæ tamenin tanto communi periculo consistere nolumus : verum intuitu salutis publicæ et mutuæ illius Amicitiæ, fœderisque quod utraque hæc Regna coniungit, officii nostri esse duximus mediationem nostram ad tentandas inter partes dissidentes concordiæ vias benevolo affectu offerre : Atque ut inclytum Cœtum vestrum, authoritate et gratia in Patria Vestra plurimum posse novimus ; denique ita vos affectos esse, ut salus et tranquillitas eiusdem cordi sit ac consiliis vestris, ita pro singulari de vobis animi nostri æstimatione considimus, nihil per vos, quantum in vobis est, impedimenti fore, quominus intestinæ Pacis ineantur consilia, quæ Rei Columina publicæ confirment. Ergo quicquid pro Galliæ felicitate operæ nostræ affere poterimus, et offerimus et pollicemur ; si modo mediationis officia quæ ad conciliandas discordes partes obtulimus, grata esse atque accepta renuncietis ; quæ dum suo tempore expectamus, Deum precamur ut vos tueatur incolumes, Christianissimi Regis, patriæque Vestræ bono. Dabamus in Regia nostra Stockholmensi 4. Idus April. 1652.
Christina.

[Christine, par la grâce de Dieu, reine des Suédois, des Goths et des Vandales,nbsp;{a} grande princesse de Finlande, duchesse de Poméranie, Cassubie etc. princesse de Rugen, dame d’Ingrie, de Vismarie etc., {b} souhaite des conseils de paix et la joie qui les suit.

Très illustre Assemblée, quand nous considérons avec attention l’état présent du Royaume de France, certaine horreur nous surprend à l’aspect du danger évident auquel nous le voyons exposé ; non seulement à raison des mouvements intérieurs dont il est agité, mais principalement, en ce que l’Ennemi du dehors, appelé au-dedans de ses entrailles, semble en avoir ouvert la porte à la haine et à la proie de toutes les nations voisines. Toutes ces choses et leurs conséquences nous passent dans la pensée et attristent nos affections. Et combien que nous ne nous ingérions pas volontiers dans la conduite ni dans les affaires des autres couronnes, et que nous ne doutions pas que ceux qui sont intéressés dans ces calamités publiques n’embrassent et ne recherchent d’eux-mêmes toutes les voies par lesquelles on peut éteindre ce funeste incendie de guerre civile, jusque dans son foyer, et mettre la France en paix, nous ne voulons pas pourtant demeurer oisive dans un péril si évident, que nous estimons commun. C’est pourquoi, ayant égard au salut public et à cette amitié et alliance réciproque qui lie ces deux Royaumes, nous avons jugé faire devoir d’amie et d’alliée de faire offre de notre entremise pour tâcher de trouver les chemins d’un bon accord entre les partis animés. Et comme nous n’ignorons pas le crédit et l’autorité de votre illustre Corps dans le Royaume, et que toutes vos délibérations ne veillent que pour son salut et sa tranquillité, aussi, dans l’estime particulière que nous faisons de tant de sages têtes qui le composent, nous espérons que vous n’apporterez aucun empêchement à la paix civile, qui doit être la sûreté de tout l’État. Nous offrons donc et promettons d’apporter tout ce qui dépend de nous pour le bonheur de la France, si tant est que vous nous fassiez savoir que vous avez agréable l’entremise que nous avons présentée, dont vous nous ferez savoir des nouvelles. Cependant, nous prions Dieu qu’il vous conserve pour le bien de Sa Majesté très-chrétienne, et celui du pays. Donné en notre ville royale de Stockholm, le 10 avril 1652. Christine].


  1. V. notule {a}, note [29], lettre 401.

  2. La Poméranie est une région côtière de la Baltique chevauchant l’Allemagne et la Pologne ; la Cassubie est un duché de Poméranie orientale ; Rugen est Riga ; l’Ingrie est une région de Russie qui borde le golfe de Finlande ; Vismarie est Wismar, ville hanséatique de Poméranie occidentale.

Dans ses Mémoires (volume viii, pages 188‑189 et 192‑193), Omer ii Talon a juridiquement commenté et politiquement exploité cette missive de la reine Christine :

« Le 7 juin 1652 […], fut apportée à la Compagnie une lettre de la part de la reine de Suède, ladite lettre couchée en termes fort civils, par laquelle elle offrait son entremise et sa médiation pour apaiser les troubles de l’État ; laquelle lettre ayant été lue, M. le premier président ayant témoigné qu’il n’y avait rien à requérir, sinon que la lettre fût envoyée au roi. Je fus obligé de repartir que ce n’était pas notre sentiment parce que la lettre ne venait pas d’un prince qui fût en rupture avec le roi, ni de personnes qui fussent en sa disgrâce, qui était le cas auquel le Parlement ne voulait pas recevoir les lettres et les envoyait au roi toutes cachetées ; mais que la reine de Suède étant alliée et confédérée avec la Couronne, sa lettre avait pu être ouverte et l’ouverture en ayant été faite, n’y ayant dans icelle rien qui offense le service du roi, la réponse lui peut être faite ; ainsi que nous voyons dans nos registres qu’il a été fait quand les Saints Pères de Rome ont écrit au Parlement, les archiducs d’Autriche, et même de simples particuliers de singulière érudition, auxquels le Parlement a fait réponse, estimons pourtant que la civilité peut être faite au roi de lui porter la lettre mais que cela doit faire partie de la déclaration qui se fera lundi sur la réponse par le roi ; lesquelles conclusions furent agréables à la Compagnie, et chacun se leva pour délibérer […].

La reine de Suède a écrit à la Compagnie et nous considérons sa lettre comme un effet de sa générosité et des grandeurs de courage qui surpassent son sexe, mais non pas sa condition. Elle nous avertit des maux que nous sentons et nous excite par notre propre intérêt de songer à la tranquillité du royaume ; elle offre même son entremise et sa médiation, ce qui nous fait souvenir des propositions qui furent faites au roi Henri iv en l’an 1593 lorsque tous les bons Français, offensés de la ruine du royaume et que le prétexte de la religion favorisée par les Espagnols avançait leurs affaires, Religionis Pallio pænulam Hispanicam faciebant, {a} comme parle M. de Thou, obligèrent le sieur de Schomberg, qui était étranger de naissance mais français d’affection, et lequel a établi sa Maison, une Maison illustre et de personnes affectionnées à l’État ; lequel fit entendre au roi laquelle {b} il lui conseillait, d’autant plus volontiers qu’étant saxon et étranger, il en parlait sans intérêt particulier. Le roi écouta son discours et lui répondit qu’il souhaitait la paix, qu’il était prêt de la demander parce qu’en matière de guerre civile, la donner ou la désirer était la même chose ; mais il ne pouvait souffrir que ses sujets extorquassent de lui le changement de la religion par force, par autorité et par violence ; pour cela, qu’il sera bien aise qu’il se trouve un expédient pour y parvenir, pourvu que l’autorité et la dignité royale soient conservées ; qu’il cherche l’expédient de quelque entrevue et d’une conférence dans laquelle les choses s’accommodent par les voies d’honneur et de bienséance ; ce qui réussit en effet, parce que la conférence tenue à Suresnes {c} fut le commencement et le préparatif de la paix ; ce qui se peut appliquer aux affaires présentes. »


  1. « Sous le manteau de la religion, ils fabriquaient la chape espagnole ».

  2. Religion.

  3. Le 29 avril 1593.

3.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 92 ro, Paris, 11 juin 1652) :

« Le 8 du courant, le Parlement s’étant assemblé, S.A.R. {a} y envoya M. de Fromont pour dire à la Compagnie que la nouvelle qu’elle avait reçue de la levée du siège d’Étampes {ba} l’occupait cette matinée-là et l’empêchait de se trouver à l’assemblée, laquelle elle priait Messieurs de remettre au 10. Sur cela, l’on parla d’ouvrir la réponse du roi faite aux députés et d’y délibérer, mais les frondeurs furent si forts qu’ils l’empêchèrent, disant qu’il fallait attendre au 10 et qu’on ne devait rien faire sans S.A.R. Il y en eut quelques-uns, entre autres le président Le Coigneux, qui représentèrent que le duc de Lorraine était ennemi de l’État, que ceux qui l’avaient fait venir étaient criminels et que ses troupes étant aux portes de Paris, le mal pressait si fort qu’on ne pouvait plus tarder à délibérer ; à quoi M. Charpentier, conseiller des Requêtes, répondit qu’on ne s’empêchait pas de faire délibérer sur ce que les Allemands du maréchal de Turenne étaient à Palaiseau et que c’était à tort que les Lorrains passaient pour ennemis puisqu’ils n’étaient venus que comme amis pour fortifier le bon parti ; ce qui fut appuyé par plusieurs des insignes frondeurs et entre autres, par le président de Thou qui dit que c’était le cardinal Mazarin qui avait fait venir le duc de Lorraine et même, lui avait fait fournir l’étape dans tous les lieux où il a passé dans la Champagne, mais que S.A.R. avait eu la bonté de le gagner et de le faire venir contre ce cardinal. M. Dorat {c} y dit que les députés avaient conféré à la cour avec milord Montaigu (qui est accordé {d} avec le cardinal Mazarin) ; < ce > dont le président de Nesmond se piqua fort et s’en justifia, n’y ayant eu, de tous les députés, que le président de Maisons qui ait parlé avec ce milord ; après quoi, pour se venger de M. Dorat, il dit, entendant parler de lui, qu’il y avait des personnes dans la Compagnie qui n’étaient pas de condition à y être admis et qui n’y seraient pas si on les avait bien examinées à leur réception. Le gentilhomme de la reine de Suède y rendit la lettre par laquelle cette reine offre la médiation pour la paix particulière et générale, et on lui donna séance entre deux conseillers qui étaient sur le barreau. On lut la lettre, qui était en latin et après, le président Le Bailleul lui dit que la Compagnie remerciait la reine de Suède et lui ferait réponse, mais que ce serait en français, le Parlement ayant accoutumé de ne se servir point d’autre langue. L’on remit à hier pour délibérer, aussi bien que sur la réponse faite aux députés. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  2. Le 7 juin, v. note [50], lettre 288.

  3. Étienne Dorat, v. note [3], lettre 310.

  4. Allié.

4.

Tintouin : « battement d’oreille, bruit sourd qu’on s’imagine d’entendre. Ce mot vient de tintin, qui représente le son des cloches, qui a été formé de tintinnabulum, mot latin signifiant cloche. Se dit aussi figurément d’une inquiétude d’esprit. La nouvelle de cette banqueroute donne bien du tintouin à ceux qui y sont intéressés » (Furetière). Le marmouset de la reine était Mazarin, v. note [21], lettre 273.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 92 ro, de Paris, le 7 juin 1652) :

« Le maréchal de Turenne avait levé le siège d’Étampes, ayant commencé, dès 2 heures après midi, à faire défiler son armée avec ses plus grosses pièces de canon, se retirant par le même chemin qu’il avait tenu lorsqu’il y alla. Sa retraite dura jusques à minuit et il la fit si bien que le comte de Bossu, qui poursuivait son arrière-garde jusques à Étréchy, {a} ne put trouver aucun moyen de le charger. Il alla camper le soir à La Ferté-Alais, 10 lieues d’ici, pour pouvoir gagner la rivière d’Yonne sans qu’on l’en puisse empêcher, et envoya ses plus grosses pièces de canon à Melun, où elles sont arrivées. Il attend la jonction des troupes de Montrond, de celles du comte d’Harcourt et de celles du maréchal de Senneterre, lesquelles sont mandées. » {b}


  1. 12 kilomètres au sud d’Arpajon.

  2. On en restait donc à une quasi-égalité d’avantage entre les princes et la cour.

5.

Appartenant à l’abbaye Sainte-Geneviève-du-Mont (v. note [35], lettre 287), l’église Sainte-Geneviève était mitoyenne de Saint-Étienne-du-Mont (v. note [4], lettre 318). La châsse de la sainte y était conservée et vénérée. Cette église a été détruite au tout début du xixe s. Il n’en subsiste que le clocher, aujourd’hui appelé tour Clovis, dans le périmètre de l’actuel lycée Henri iv (ve arrondissement).

V. note [14], lettre 289, et la suite de la lettre, pour la procession accompagnant la châsse de sainte Geneviève, le 11 juin.

6.

Obséder : « verbe actif qui se dit originairement des démons qui, sans entrer dans le corps d’une personne, la tourmentent et l’assiègent au-dehors. Les théologiens mettent bien de la différence entre les gens possédés et ceux qui ne sont qu’obsédés. Signifie aussi se rendre maître de l’esprit ou de la maison d’une personne, empêcher les autres d’en approcher. Les grands seigneurs se laissent obséder par leurs favoris, on ne les approche que par leur moyen. Ce malade est tout à fait obsédé par ses parents, ils empêchent qu’il ne vienne aucun notaire pour recevoir son testament » (Furetière).

V. note [40], lettre 279, pour le marquis Henri i de La Ferté-Senneterre, père du maréchal de Senneterre.

7.

« d’immense et grande foi ».

8.

« l’abrégé de l’univers » ; dénomination due au rhéteur grec Polémon de Laodicée (iie s. apr. J.‑C.) qu’Athénée de Naucratis (Les Déipnosophistes, livre i, chapitre xvii ; v. note [57] du Procès opposant Jean Chartier à Guy Patin) a reprise en l’expliquant :

« Rome présente un peuple réuni de toutes les parties du globe. On pourrait même, selon lui, appeler cette ville l’abrégé de l’univers, {a} et sans risquer de se tromper. En effet, on y voit toutes les villes du monde y former des établissements, et un grand nombre s’y retrouvent d’une manière plus particulière, comme la riche Alexandrie, la belle Antioche, la brillante Nicomédie ; {b} mais surtout la plus éclatante des villes que Jupiter montre du haut des cieux, je veux dire Athènes. Un jour ne suffirait pas, que dis-je un jour ! tous les jours de l’année pris en somme ne seraient pas un temps assez long pour compter les villes qui se trouvent dans cette céleste Rome, tant le nombre en est grand. »


  1. επιτομην τες οικουμενης [épitomên tês oikouménês].

  2. En Bithynie, aujourd’hui Izmit en Turquie (rive orientale de la mer de Marmara).

9.

« l’abrégé de la superstition. »

Dans un tout autre esprit, Mme de Motteville (Mémoires, page 435) s’est aussi gaussée de la procession :

« Quand les châsses vinrent à passer, M. le Prince courut à toutes avec une humble et apparente dévotion, faisant baiser son chapelet ; mais quand celle de sainte Geneviève vint à passer, alors, comme un forcené, après s’être mis à genoux dans la rue, il courut se jeter entre les prêtres et baisant cent fois cette sainte châsse, il y fit baiser encore son chapelet et se retira avec l’applaudissement du peuple. Ils criaient tous après lui, disant “ Ah, le bon prince ! Eh, qu’il est dévot ! ” Le duc de Beaufort, que M. le Prince avait associé à cette feinte dévotion, en fit de même et tous deux reçurent de grandes bénédictions qui, n’étant pas accompagnées de celles du ciel, leur devaient être funestes sur la terre. Cette action parut étrange à tous ceux qui la virent. Il fut aisé d’en deviner le motif, qui n’était pas obligeant pour le roi, mais il ne lui fit pas grand mal. »

10.

Claude de La Place, régent de rhétorique au collège de Presles-Beauvais, était recteur de l’Université (v. note [3], lettre 595) depuis le 23 mars 1652 ; il resta en fonction jusqu’au 22 juin 1653 (Jestaz). V. note [49] des Affaires de l’Université en 1650‑1651, dans les Commentaires de la Faculté de médecine, pour un complément d’information sur le cursus académique de La Place.

V. les Affaires de l’Université en 1651‑1652, les 8, 11 et 12 juin 1652, pour une autre relation de Guy Patin sur la procession des Parisiens et sur celle de l’Université, qui eut lieu le lendemain, dans ses Commentaires de la Faculté de médecine.

11.

Haut lieu du rayonnement intellectuel et religieux, l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, sur la rive gauche de la Seine à Paris (vie arrondissement) avait été fondée au vie s. par Childebert, fils de Clovis. Elle était alors la maison mère des bénédictins réformés de Saint-Maur (mauristes). Il n’en reste aujourd’hui que l’église et le palais abbatiaux ; le reste du vaste domaine a été démantelé à la Révolution. V. note [2], lettre de Hugues ii de Salins datée du 3 mars 1657, pour Dom Jean Mabillon, son plus célèbre moine érudit au xviie s.

12.

« et parmi tous ces atermoiements, Sagonte est prise »

Cette fois (v. note [40], lettre 288) Guy Patin n’employait plus le subjonctif (capiatur), mais l’indicatif présent (capitur) car, après la levée du siège d’Étampes, le 7 juin, et la prise de Gravelines, le 18 mai (v. note [41], lettre 285), on s’inquiétait des menaces que les Espagnols faisaient peser en Catalogne sur Barcelone, en Flandre sur Dunkerque et en Piémont sur Casal.

13.

V. note [7], lettre 289, pour Claude Bréguet et son triste destin que Guy Patin a conté et commenté en termes très similaires dans sa précédente lettre à Claude ii Belin.

14.

Après avoir rétabli la santé de la reine Christine, l’abbé Bourdelot entreprenait de l’initier aux plaisirs de tous les sens, ce qui ne manquait pas de scandaliser la cour puritaine de Suède. On réclama vite le départ du nouveau favori, mais il ne fut congédié qu’en juin 1653. On peut ici se souvenir que Guy Patin, en 1650, avait été en concurrence avec son collègue Bourdelot pour succéder à Du Rietz dans la place de premier médecin de la reine (v. note [17], lettre 273).

15.

Froidureux : « frileux, qui craint le froid » (Furetière).

16.

« Vous connaissez cette parole d’Euripide qu’on trouve dans Cicéron : “ le froid est grand ennemi des peaux délicates ” » ; Lettres familières, (livre xvi, viii) :

Vix in ipsis tectis et oppidis frigus infirma valetudine vitatur, nedum in mari et via sit facile abesse ab injuria temporis. Ψυχρος δε λεπτω χρωτι πολεμετατον, inquit Euripides : cui tu quantum credas, nescio ; ego certe singulos eius versus singula testimonia puto.

[Avec une santé faible, à peine peut-on se garantir du froid sous un bon toit, au cœur des villes ; mais en voyage et sur mer, voyez s’il est facile de se préserver de ses atteintes ! « Le froid est grand ennemi des peaux délicates », dit Euripide ; j’ignore le crédit que tu lui prêtes, mais je tiens chacun de ses vers pour un précepte].

Euripide (Salamine vers 480 av. J.‑C.-en Macédoine 406), auteur tragique grec, aurait écrit 90 pièces, dont il nous reste 19 complètes. Je n’y ai pas trouvé le passage que citait Cicéron.

17.

« Passer signifie aussi en morale s’abstenir, se contenter : un homme sobre se passe de peu [à peu pour Guy Patin] » (Furetière).

18.

« et un homme qui n’entend rien à l’art qu’il professe » ; adage du droit romain tiré des Institutes de Justinien : {a}

Imperitia culpæ adnumeratur, et culpæ reus est, qui artem quam profiteretur ignorat.

[L’inexpérience est à tenir pour une faute, et doit être tenu pour coupable celui qui n’entend pas l’art qu’il professe].


  1. V. note [22], lettre 224.

19.

« il s’est rempli le regard du ciel de l’Aventin » (Juvénal, Satire iii, vers 84‑85 ; v. note [13], lettre 317) : ajout de Guy Patin dans la marge avec marque d’insertion dans la phrase.

20.

Ainsi substantivé, l’adjectif fin sert à désigner le métal fin, or ou argent. Dans la suite de la phrase, Guy Patin distinguait Rome (les États pontificaux) du reste de l’Italie.

21.

Les deux princes frondeurs étaient ici Condé et Gaston d’Orléans.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 94 ro, Paris, 14 juin 1652) :

« Le duc de Lorraine étant ici le 9 du courant, et ayant dit hautement qu’il avait la paix entre les mains, dont il témoignait vouloir être le maître, il y eut conférence particulière le lendemain sur ce sujet entre S.A.R. {a} et lui, et M. de Châteauneuf, dans le palais d’Orléans où ce duc assura que si l’on voulait rendre Arras aux Espagnols, Casal au duc de Mantoue, et à lui ses États, il n’y aurait point de difficulté pour le reste. M. de Châteauneuf se passionna fort à contester là-dessus, mais il n’y eut aucune résolution prise. Ce duc s’en retourna peu satisfait le soir du 10 à son camp qui est toujours auprès de Choisy, {b} trois lieues d’ici, où S.A.R. l’alla trouver le 12 avec M. le Prince ; et après avoir longtemps conféré ensemble sur ses intérêts, celui-ci {c} s’étant beaucoup relâché des siens, touchant la restitution des places de Stenay, Clermont {d} et Jametz, ils signèrent un nouveau traité ; ensuite, dînèrent ensemble chez le comte de Ligneville où ils firent grande débauche. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  2. Choisy-le-Roi, Val-de-Marne.

  3. Condé.

  4. Clermont-en-Argonne.

22.

Le duc de Lorraine s’était campé au-dessus de Villeneuve-Saint-Georges.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 96 ro et vo, Paris, 18 juin 1652) :

« Le duc de Lorraine s’étant campé au dessus de Villeneuve-Saint-Georges et y ayant fait faire quelques redoutes, demi-lunes et retranchements, le maréchal de Turenne passa la Seine leénbsp;13 sur le pont de Corbeil ; et s’étant avancé, le 16 au matin, vers ce duc, comme s’il eut voulu l’attaquer, M. de Beaufort, qui était auprès de lui depuis le soir du jour précédent, l’avertit que les ennemis venaient par un défilé, dans lequel il était fort aisé de les défaire ; mais il n’en voulut pas tenir compte, quoique M. de Beaufort s’opiniâtrât beaucoup à l’obliger et lui offrît même de mettre le feu au canon. En même temps, le roi d’Angleterre y étant arrivé avec le duc d’York, milords Montaigu et Germain {a} présentèrent à M. de Lorraine un traité qu’ils avaient fait pour la cour avec lui ; lequel avait été commencé par M. de Beaujeu {b} qui y était aussi. Il signa ce traité et les otages en furent donnés de part et d’autre pour trois jours […]. L’on ne sait pas encore bien les conditions de ce traité, mais l’on assure que l’on lui rend présentement Marsal, et que pour ce qui est de Nancy, il s’est contenté de la parole que le roi lui donne par ce traité de la lui rendre en l’état qu’elle est à présent, après la paix faite avec les Espagnols. Outre cela, on lui donne pour 500 000 livres de pierreries et 100 000 écus d’argent comptant, qu’on a fait avancer aux sieurs Languet, Jacquières, et Desbordes sur le bail des cinq grosses fermes qu’on leur a donné depuis six jours pour neuf années au prix de 1 900 000 livres par an jusqu’à la paix avec Messieurs les princes, six mois après laquelle ils en donneront 2 300 000 livres, et après la paix générale, 2 500 000 livres jusqu’à la fin de leur bail. Le duc de Lorraine décampa ensuite et se mit en marche pour s’en retourner, étant obligé de passer la Marne à Trilport {c} dans trois jours, après lesquels les otages seront rendus, et d’être, dans 12 jours après hors du royaume. M. de Beaufort lui fit des reproches étranges de ce qu’il abandonnait S.A.R. {d} et le poussa presque à bout ; aussi lui refusa-t-il {e} après un sauf-conduit pour s’en revenir ici, où il courut beaucoup de risque, ayant été longtemps poursuivi. Ce duc {f} rendit néanmoins les troupes de M. le Prince qui étaient jointes aux siennes, sans leur faire tort. Elles furent d’abord se poster à Charenton. Il rendit aussi le pont de bateaux qui fut ramené ici aussitôt après qu’il eut décampé. Le maréchal de Turenne, qui l’avait auparavant vu et embrassé, mit son armée dans le même poste qu’il avait quitté, et elle y est encore. Cette nouvelle mit ici tous les esprits dans une grande consternation ; et Mme d’Orléans {g} en est encore si affligée qu’elle ne s’en peut consoler. Cependant, S.A.R. ayant envoyé ordre à Étampes pour en faire partir son armée et la faire venir en deçà, […] elle ne voulut point obéir […]. Néanmoins, la cavalerie ne laissa pas de venir en toute diligence jusqu’à Chilly {h} où M. le Prince la rencontra le 16, avec plus de mille volontaires qui étaient partis le matin avec lui. L’infanterie partit d’Étampes le soir du même jour, avec le canon, le bagage et du pain pour huit jours ; et ayant marché toute la nuit, arriva hier ici sur le point du jour aux portes du faubourg Saint-Jacques où elle donna l’alarme. S.A.R. la fut voir trois heures après et la fit camper entre le Pont Antonin {i} et Le Bourg-la-Reine, trois lieues d’ici, où elle l’est encore allée voir ce matin. On croit que c’est pour l’aller faire camper à Saint-Cloud et occuper les postes de la Seine du côté d’en bas. Elle est encore de force égale à celle de la cour, y comprenant les 2 000 de M. le Prince qui étaient joints avec l’armée lorraine. »


  1. V. note [9], lettre 292.

  2. V. note [4], lettre 363.

  3. Seine-et-Marne.

  4. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  5. Aussi le duc de Lorraine refusa-t-il au duc de Beaufort.

  6. De Lorraine.

  7. Sœur du duc de Lorraine.

  8. Chilly-Mazarin (v. note [4], lettre 345).

  9. Aujourd’hui Antony.

23.

Dans ses Mémoires (pages 277‑279), La Rochefoucauld a résumé la pitoyable intervention du duc de Lorraine dans la guerre civile, qui consternait Guy Patin et tous les antimazarins de la capitale :

« Paris attendait M. de Lorraine comme le salut du parti [condéen]. Il arriva enfin, ensuite de plusieurs remises {a} et après avoir donné beaucoup de soupçon de son accommodement avec le roi ; sa présence dissipa pour un temps cette opinion et on le reçut avec une extrême joie. Ses troupes campèrent près de Paris et on en souffrit les désordres sans s’en plaindre. Il y eut d’abord quelque froideur entre M. le Prince et lui pour le rang ; mais voyant que M. le Prince tenait ferme, il relâcha de ses prétentions d’autant plus facilement qu’il n’avait fait ces difficultés que pour gagner le temps de faire un traité secret avec la cour pour la levée du siège d’Étampes sans hasarder un combat. Néanmoins, comme on n’est jamais si facile à être surpris que quand on songe trop à tromper les autres, M. de Lorraine, qui croyait trouver ses avantages et toutes ses sûretés dans les négociations continuelles qu’il ménageait avec la cour, avec beaucoup de mauvaise foi pour elle et pour le parti des princes, vit tout d’un coup l’armée du roi marcher à lui, et il fut surpris lorsque M. de Turenne lui manda qu’il le chargerait s’il ne décampait et ne se retirait en Flandre. Les troupes de M. de Lorraine n’étaient pas inférieures à celles du roi et un homme qui n’eût eu soin que de sa réputation eût pu raisonnablement hasarder un combat ; mais quelles que fussent les raisons de M. de Lorraine, elles lui firent préférer le parti de se retirer avec honte et de subir ainsi le joug que M. de Turenne lui voulut imposer. Il ne donna aucun avis de ce qui se passait à M. le duc d’Orléans ni à M. le Prince, et les premières nouvelles qu’ils en eurent leur apprirent confusément que leurs troupes étaient sorties d’Étampes, que l’armée du roi s’en était éloignée et que M. de Lorraine s’en retournait en Flandre, prétendant avoir pleinement satisfait aux ordres des Espagnols et à la parole qu’il avait donnée à M. le duc d’Orléans de faire lever le siège d’Étampes. Cette nouvelle surprit tout le monde et fit résoudre M. le Prince d’aller joindre ses troupes, craignant que celles du roi ne les chargeassent en chemin. Il sortit de Paris avec 12 ou 15 chevaux, s’exposant ainsi à être rencontré par les partis des ennemis. Il joignit son armée à Linas et l’amena loger vers Villejuif ; elle passa ensuite à Saint-Cloud où elle fit un long séjour pendant lequel, non seulement la moisson fut toute perdue, mais presque toutes les maisons de la campagne furent brûlées ou pillées, ce qui commença d’aigrir les Parisiens, et M. le Prince fut près d’en recevoir les funestes marques en la journée de Saint-Antoine. »


  1. Atermoiements.

24.

Mme de Motteville (Mémoires, page 436) :

« La rage du peuple et la colère des princes fut grande quand ils virent l’effet de cette négociation. Les bourgeois de Paris témoignaient de l’amour aux ennemis du roi et de la haine à ses amis ou à ceux qui cessaient d’être ses ennemis, tant cette ville était alors éloignée des sentiments que de bons sujets doivent avoir pour leur souverain. Lorsque le duc de Lorraine était arrivé dans cette ville mutine et qu’il avait entendu les cris de joie que le peuple jetait à son arrivée, il avait dit qu’il n’eût jamais cru pouvoir entrer dans Paris comme ennemi du roi et y être aussi bien reçu qu’il l’était. »

25.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 98 ro) :

« La cavalerie de S.A.R. {a} revenant d’Étampes le 16, le comte d’Alais en détacha 40 maîtres qu’il envoya vers la forêt de Fontainebleau où le comte Broglio, qui s’en allait de La Ferté-Alais à la cour, étant tombé dans leur embuscade, y fut fait prisonnier avec 16 cavaliers qui l’escortaient. On les conduisit ici dans l’hôtel de Vendôme, d’où l’on a depuis relâché ce comte sur sa parole, sans néanmoins lui permettre de sortir de Paris, où il est encore. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

Francesco-Maria Broglio (Brolio dans le manuscrit ; Chieri en Piémont, 1er novembre 1611-siège de Valenza 2 juillet 1656), gentilhomme piémontais naturalisé français en 1643 sous le nom de François-Marie de Broglie, avait fidèlement servi la cause du roi. En septembre 1650, il avait été promu lieutenant général des armées du roi en Flandre.

26.

Je n’ai pas trouvé confirmation de ces quatre conseillers de Bordeaux tués, mais la situation y demeurait extrêmement tendue entre le parlement, la ville, l’Ormée (v. note [1], lettre 244) et les princes frondeurs (Journal de la Fronde, volume ii, fos 94 vo et 98 ro, juin 1652) :

« Les avis de Bordeaux, du 6 portent que l’assemblée de l’Ormée ayant demandé l’éloignement de 18 conseillers et d’un président du parlement, qu’on avait obligé d’en faire sortir 13 et le président Pichon, les quatre autres étant demeurés, à la prière de M. le prince de Conti ; que M. de Marchin ayant tiré tout ce qu’il avait pu des garnisons des places que M. le Prince tient en ce pays-là, en a fait un petit corps d’armée qui tient la campagne ; que le comte d’Harcourt était encore vers Le Sauvetat, {a} sans rien entreprendre ; et que le colonnel Balthazar avait achevé de défaire ce qui restait des troupes de M. de Sauvebœuf, et lui avait pris jusqu’à son dernier cheval et tout son équipage. […]

Les avis de Bordeaux {b} portent que Messieurs du parlement s’étant unis avec les bons bourgeois pour empêcher les assemblées de l’Ormée, s’y étaient enfin rendus les maîtres et que, par l’entremise de M. le prince de Conti, tous leurs différends avaient été ensuite accommodés ; que ces assemblées étant dissipées, l’on avait mandé tous les conseillers qui avaient été exilés, lesquels étaient retournés à Bordeaux, à la réserve de six qui n’avaient pas voulu y revenir encore ; et que le comte d’Harcourt ne s’occupait qu’à faire payer les contributions dans la Haute-Guyenne pendant que M. de Marchin, ayant joint ses troupes avec celles du colonel Balthazar, était entré en Périgord d’où il menaçait de faire des courses dans l’Angoumois ; ce qui avait obligé le marquis de Montausier, qui en est gouverneur, de s’y en aller avec quelque cavalerie qu’il a et 300 gentilshommes de la province. »


  1. La Sauvetat-sur-Lède ou La Sauvetat-sur-Dropt, Lot-et-Garonne.

  2. Du 18 juin.

27.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 98 vo, 21 juin 1652) :

« Ce matin, le Parlement ayant continué son assemblée, M. le Prince et M. de Beaufort s’y sont trouvés sans S.A.R., {a} qui est encore indisposée ; à cause de quoi, l’on n’y a pas continué la déliberation. On y a parlé des moyens de faire subsister le grand nombre des pauvres qui se sont réfugiés dans Paris ; et après des propositions qui se sont faites de les loger dans le palais du cardinal Mazarin et ordonner que les revenus de ses bénéfices fussent appliqués à leur nourriture, ce moyen ayant été jugé inutile, tous les conseillers se sont cotisés à 100 livres chacun et les présidents 200 livres, ce qui pourra monter à près de 25 000 livres ; mais cela ne durera guère pour tant de monde. » {b}


  1. Son Altesse Royale, le duc d’Orléans.

  2. V. note [6], lettre 291, pour la suite houleuse de cette séance du Parlement.

28.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 96 vo, 18 juin 1652) :

« Les députés du Parlement sont revenus de la cour cette nuit, ayant été escortés par 40 gardes du corps du roi avec un trompette et plus de cent autres personnes. Il y avait quelques gens de la cour qui venaient en leur compagnie sans passeport, lesquels furent arrêtés hier au soir bien tard en passant à Charenton. La réponse qu’on a faite à Messieurs les députés est que le roi veut que le Parlement et Messieurs les princes consentent que le cardinal Mazarin aille traiter la paix avec les Espagnols, ou que Messieurs les princes mettent les armes bas présentement ; après quoi le roi éloignera le cardinal Mazarin. »

29.

« dont nos affaires ont la faveur, tous autant qu’ils sont. »

30.

Au lieu de La Ferté-sous-Jouarre, ville de la Brie (Seine-et-Marne, 20 kilomètres à l’est de Meaux), au confluent de la Marne et du Petit Morin, à quelques kilomètres au nord de Jouarre où s’élevait alors une grande abbaye ; peut-être primitivement appelée Condé ou Condet, La Ferté-sous-Jouarre est notamment la ville natale d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre et père de Henri iv, et de Henri ier de Bourbon, deuxième prince de Condé (v. note [18] du Borboniana 4 manuscrit), neveu d’Antoine de Bourbon et grand-père du Grand Condé.

31.

« vive, vale, portez-vous bien et rendez amour pour amour à celui qui vous aime ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 18 juin 1652

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(Consulté le 26/04/2024)

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