L. 396.  >
À Hugues II de Salins,
le 27 mars 1655

Monsieur, [a][1]

Je viens de recevoir la vôtre que j’ai lue avec grande joie car j’y apprends et votre bonne disposition, et que vous me continuez votre affection, quod utinam perennet[1]

Ma grande harangue fut récitée en belle et grande compagnie. [2][3] J’espère de la faire imprimer quelque jour, mais le temps n’en est point encore venu : dies mali sunt et durissima tempora[2][4][5] Vous savez l’aphorisme d’Hippocrate, [6] et de quelle importance il est, πεπονα φαρμακενειν, [3] il faut qu’un médecin s’en souvienne tous les jours comme d’un oracle, aussi est-il. Je vous envoie la deuxième thèse [7] de mon fils [8] que M. Allain, [9] qui en a été le président, a faite. Il n’y a rien là du nôtre. [4] Il est vrai que la première combat celle du grand Simon Piètre, [10] et ne laissent point d’être toutes deux vraies : la nôtre, philosophice inquirit in summum principium, idque remotissimum a sensibus, quod est forma ; [5] celle de M. Piètre, redacta ad artem [6] et qui est bien plus matérielle, s’attache et s’arrête à ce qu’elle voit, et agnoscit materiam informatam, principium actionis, quod satis est medico ; nec recurrit ad formam illam primam, quæ est principium remotissimum. Medicus est sensualis artifex et materialis, magis adhæret iis quæ afficiunt proxime ; Philosophus e contra in omnes causas inquirit, imo et omnium primam investigat[7]

Il y a eu deux Simon Piètre : le père [11] qui vivait il y a cent ans, in cuius decanatu latum est decretum adversus stibium, anno 1566, et qui obiit anno 1584[8][12] qui a été grand personnage, le premier de son temps, et fort employé ; il avait été recteur de l’Université [13] et professeur de philosophie au Cardinal Lemoine. [14] Il a laissé plusieurs enfants : plusieurs filles, dont l’aînée, Anne Piètre, [15][16] fut la mère de M. Riolan [17] d’aujourd’hui ; et plusieurs fils, dont il y en a eu un conseiller au Châtelet, deux avocats, excellents hommes que j’ai connus, deux médecins, Simon et Nicolas, [18] qui ont été deux hommes incomparables. Simon, qui a été vraiment le grand Piètre, est mort âgé de 54 ans l’an 1618 : c’est celui dont a parlé M. Riolan dans la préface de son Encheiridium Anatomicum [19] et dans sa grande Anthropographie au traité de Circulatione sanguinis[20] page 593, [9] qui, entre autres enfants, a laissé un fils par ci-devant conseiller au Châtelet et aujourd’hui procureur du roi en l’Hôtel de Ville. Nicolas est mort l’an 1649, le 28e de février, et est père de Jean Piètre [21] d’aujourd’hui qui est encore fort savant, mais qui n’a pas les autres vertus de ses ancêtres ; si bien que Jean Piètre d’aujourd’hui est petit-fils du premier Simon et neveu du deuxième Simon, et fils de Nicolas. [22]

Je suis prêt de vous envoyer le Car. Guillemei Defensio altera [23] et de le délivrer à qui vous voudrez pour vous le faire tenir. [10] Libros adversus stibium Merleti et Perræi legisse non pœnitebit[11][24][25]

Le Botallus [26][27] est un fort bon livre. [12] Lisez-le attentivement, il contient de bons secrets du métier et est fort propre à notre pratique ordinaire que vous pourrez bien hardiment suivre. Chymici impostores non capiunt tales delicias, nec ab iis capiuntur ; ideo spernendi et relinquendi tanquam nebulones impuri, et fruges consumere nati[13][28]

Ma femme et tous mes enfants vous remercient de votre bon souvenir, et vous baisent les mains, et à mademoiselle votre femme, comme aussi moi-même, et à Messieurs vos père et frère à qui je suis très humble serviteur.

J’ai été tôt averti de la mort de M. Guide. [29] Il est mort le 5e de mars d’une fièvre quarte [30] quæ degeneravit in ascitem calidum et colliquentem[14][31] C’est un pauvre corps que la fièvre quarte a grésillé et rôti. [15]

L’Épitomé de Galien par Laguna [32] est un fort bon livre. Le grand Galien [33] tout entier est encore meilleur, servez-vous de l’un en attendant l’autre. [16][34][35]

Pour les lettres latines, bonnes et familières, et non élabourées, Cicéron [36] en est le premier maître quia debent epistolæ ad amicos scribi stylo facili et illaborato sermone[17][37] Voyez ce qu’en dit Lipse [38] in libro Epistolicarum quæstionum[18][39] Pline le Jeune [40] les a faites belles et didactiques, mais elles sont fort élabourées et trop pimpantes, ideoque sunt odiosæ illis qui Ciceronis nativum nitorem et simplicitatem non affectatam amplectuntur[19] Feu M. de Bourbon [41] les haïssait et disait que Pline avait fait en icelles pro matrona meretricem, non tam ornatam quam fucatam et calamistratam[20] Celles de Casaubon [42] sont familières et bonnes, principalement dum scribit ad Thuanum, Scaligerum, Heinsium, Grotium, et alios eruditos[21][43][44][45] Scaliger [46] et Érasme [47] méritent d’être suivis pour règle aujourd’hui : elles sont très bonnes, familières et non élabourées. Baudius [48] est bon. Lipse est excellent pour sa foi, sa modestie, sa probité, sa mémoire et pour les bons mots des anciens, mais son style ne vaut rien, ne l’imitez point et fuge tanquam scopulum ; [22][49] mais il était bien savant et honnête homme. Il eut une raison politique qui lui fit changer son style comme il voulut changer de religion : de catholique romain, il fut luthérien, [50] au moins en fit-il la mine ; puis calviniste, [51] mais déguisé ; enfin catholique romain et mourut l’an 1606 entre les bras de Lessius, [52] jésuite qui l’avait infatué[53][54]

Tantum religio potuit suadere malorum ! [23]

Lisez dans l’Épitomé de Galien fait par Laguna tout ce qui y est de Crisibus et en faites un extrait ; et puis après, n’apprenez rien de cette matière que ce qu’en a écrit Du Laurens [55] i et ii libro de Crisibus[24] Pour ce qu’en ont écrit les astrologues, [56] méprisez-en, cela ne vous doit point arrêter. Vous ne devez prendre de toute cette affaire que le matériel, quod respicit usum medicum et facit ad curationem morborum ; [25] laissez le reste aux astrologues. N’allez point plus loin sur cette matière avec le Claudinus, [26][57] qui est pourtant un bon auteur.

Votre livre de Marot [58] n’est point mauvais, gardez-le bien et le cachez de peur que les moines [59] ne vous le dérobent et ne le brûlent. [27] Mettez-le avec M. François R. < Rabelais >, [60] le Catholicon d’Espagne[61] la République de Bodin, [62] les Politiques de Lipse, [28] les Essais de Montaigne [63] et la Sagesse de Charron, [64] la Doctrine curieuse du P. Garasse, [65] les Recherches des recherches[66] etc. Voilà des livres qui sont capables de prendre le monde par le nez ; j’en excepte les deux derniers qui sont bons à autre chose ; ne les négligez point et en faites une petite bibliothèque, laquelle soit a remotis et extra insidias monachorum[29]

Pour l’écriture d’Érasme, gardez-la propter aucthoris dignitatem[30] Ô l’excellent homme que c’était ! Buvez un petit < peu > à sa mémoire de ce bon vin [67] de Beaune, cum novella uxore[31] et je vous ferai raison dans la première occasion ; [32] et lisez ses Colloques une fois l’an, que vous placerez dans la bibliothèque de ci-dessus cum eiusdem aucthoris Lingua, et Encomio moriæ, atque Institutione principis christiani[33]

Je vous prie de dire à mademoiselle votre maîtresse que je l’honore très fort et que je la supplie de me tenir en ses bonnes grâces. Pour ce qu’elle a baisé ma lettre, je l’en remercie très humblement, je vous prie en récompense de lui donner un baiser à cause de moi, à la charge qu’au bas de la première lettre que vous me ferez l’honneur de m’écrire, elle y mettra son nom et son surnom [68][69] de sa propre main, [34] et son âge pareillement, afin que là-dessus je fasse quelque magie aussi étrange que celle d’Apulée [70] qui me transportera tout en une nuit d’ici à Beaune. Vous savez bien que je suis sorcier [71] comme une vache et fort entendu dans ces transports magiques, mais c’est en songeant ; et ainsi, votre demoiselle sera bien étonnée de me voir mettre à table avec vous. Bon Dieu, que nous rirons si cela arrive ! En attendant, pourtant, ne laissez point de dîner et ne m’attendez point. Mais à propos, comment se porte cette jeune femme suissesse et son mari, M. Lescharnier, nonne sic nominatur ? [35]

Sed satis ineptiarum[36] je vous baise les mains, à MM. de Salins père et fils, et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce samedi 27e de mars 1655.

Il n’y a point encore de pape, on dit que ce sera Sacchetti, [72] Chigi ; [73] parum refert mihi perinde est[37] On dit que le roi [74] s’en va bientôt à Fontainebleau. [75] On ne dit rien du prince de Condé, [76] mais on croit que la France s’en va avoir guerre avec l’Angleterre, notre paix avec Cromwell [77] n’ayant pu être faite. Le P. Adam, [78] jésuite, a aujourd’hui prêché dans Saint-Germain-l’Auxerrois [79] en présence de la reine, [80] où il a déplu à tout le monde : il y a fait un panégyrique des vertus de la reine au lieu de parler du mystère de ce grand jour et d’expliquer l’Évangile ; mais il n’y a pas de quoi s’étonner, hoc est loyoloticum[38] Petrus Aurelius [81] leur a autrefois très bien reproché ce vice-là et plusieurs autres, et enfin a conclu : Omnium adulatores, omnium inimici[39] D’autres moines n’oseraient faire qu’en cachette ce que font publiquement ces maîtres passefins que Ios. Scaliger a gentiment nommés impudentissimum monachorum pecus[40]

L’on imprime à Genève l’Hippocrate de Foesius grec et latin in‑fo[41][82][83] Ils espèrent de le faire beau : ils ont de beaux caractères, ils peuvent y mettre de beau papier ; reste d’avoir soin pour la correction, ce qui leur est aisé. On y imprime aussi les œuvres de ce méchant fripon de Paracelse, [84] o tempora ! [42]

On a achevé d’imprimer tout fraîchement un volume in‑fo pour la deuxième fois, augmenté par-dessus la première de beaucoup de bonnes choses : c’est un excellent livre intitulé Matthiæ Martinii Lexicon etymologicum, philologicum, sacrum[43][85] à Francfort. Ce livre vaut quatre fois mieux que le Calepin de Passerat [86][87] qui nihil aliud pene habet quam verba, et ce Lexicon plures habet res quam verba[44][88] M. Ravaud [89] de Lyon m’a mandé qu’il m’en faisait venir un ; si vous désirez en recouvrer un, je pense que vous le pourrez obtenir par la même voie. On imprime aussi à Amsterdam [90] Io. Gerardi Vossii Thesaurus linguæ Latinæ [91] in‑fo ; ce sera un excellent ouvrage et magni viri magnum opus[45] On nous promet aussi du même pays un volume d’Épîtres latines du grand et incomparable M. de Saumaise [92] qui a été l’honneur et la gloire de votre province de Bourgogne. Je serais ravi de voir cela et autre chose qu’on nous promet.

On a tout fraîchement imprimé à Orléans [93] (on en trouve ici) un commentaire de Vallesius [94] sur les Épidémies d’Hippocrate. [46][95] C’est un excellent livre, une bonne pratique hippocratique toute pure et un livre digne d’être lu tous les jours ; c’est un petit in‑fo que l’on vend 4 livres en blanc ; il mérite d’avoir place dans votre étude après Fernel, [96] Duret [97] et Houllier ; [98] c’est le meilleur de tous les modernes, que vous serez bien aise de consulter dans votre nouvelle pratique ; c’est de tous les Espagnols celui qui a le mieux raisonné et le plus généreusement réussi dans la bonne pratique.


a.

Reveillé-Parise, no clix (tome i, pages 264‑269, qui fournit en encart une reproduction partielle du manuscrit) ; Chéreau no iv (15‑18, sans le long post‑scriptum).

Reveillé-Parise :

« J.‑B. de Salins le puîné, docteur en médecine à Beaune, mort le 18 février 1710. Je dois cette curieuse lettre, jusqu’à présent inédite, à l’obligeance de M. Boutron‑Charlard, mon collègue à l’Académie royale de médecine. »

Chéreau :

« Cette lettre, en original, fait partie des magnifiques collections de M. Boutron, {a} membre de l’Académie de médecine, qui a bien voulu nous permettre d’en prendre copie. Elle a été imprimée par Reveillé‑Parise (tome i, page 364), mais avec de telles altérations dans plusieurs passages qu’elle peut passer pour inédite. Ce qu’il y a de curieux, c’est que Reveillé‑Parise donne le fac‑simile d’une partie de cette lettre, et que son texte typographique ne correspond pas religieusement avec le fac‑simile. On ne peut pas être plus maladroit »


  1. Antoine-François Boutron (Paris 1796-ibid. 1879), dit Boutron-Charlard, pharmacien et chimiste, spécialiste de la qualité des eaux, a été un grand collectionneur d’autographes.

Le 17 décembre 2004, sur un bon avis de Laure Jestaz, j’ai eu la joie d’avoir un instant sous les yeux l’original de cette lettre « À Monsieur/ Monsieur de Salins, le puîné,/ Docteur en médecine,/ À Beaune » : elle était à vendre à la Librairie de l’abbaye, chez M. Jacques‑Henri Pinault, à Paris, 27 rue Bonaparte ; le prix, 6 500 €, aurait sans doute fort étonné Patin, et m’a dissuadé de l’acquérir. L’obligeance de l’aimable libraire m’a permis de vérifier mot à mot l’authenticité des transcriptions préexistantes. Qu’il en soit ici mille fois remercié. Aucune des deux éditions antérieures n’était « religieusement » exacte.

M. Guy Cobolet, directeur de la BIU Santé, a repéré la vente de cette lettre chez Christie’s à Londres le 16 juin 2015 au prix de 6 250 £ (environ 7 900 €).

1.

« ce que Dieu veuille perpétuer » ; quod anima plaudit « ce que mon âme applaudit » dans Reveillé-Parise, bien que le fac-similé partiel qu’il fournit du manuscrit porte distinctement quod utinam perennet !

2.

« nos jours sont mauvais et les temps très durs » : Quoniam dies mali sunt [Parce que nos jours sont mauvais] est une expression de saint Paul (Épître aux Éphésiens 5:16).

3.

« donner des médicaments doux ».

4.

Manière de dire que Guy Patin avait aidé Charles à écrire sa thèse, mais que Denis Allain, son président, n’y avait pas mis la main.

5.

« enquête philosophiquement sur le principe le plus élevé et ce qui est le plus éloigné des sens, c’est-à-dire la forme ».

Dans la composition de tous les corps naturels, la scolastique (v. note [3], lettre 433) distinguait la matière et la forme :

6.

« rédigée d’un œil médical ».

7.

« et reconnaît la matière façonnée comme le principe de l’action, ce qui est assez pour le médecin, et ne recourt pas à cette forme première qui est le principe le plus éloigné. Le médecin est un artisan sensoriel et matériel, il s’attache plus à ce qui l’affecte de très près. Le philosophe, au contraire, enquête sur toutes les causes et surtout il explore la première de toutes. »

Simon ii Piètre avait fait défendre en 1614 une thèse intitulée : An facultas a forma ? [La faculté (fonction) vient-elle de la forme ?] avec une réponse affirmative. S’inspirant de cela, Charles Patin, le 10 décembre 1654 (v. note [3], lettre 384), avait disputé sa première thèse (quodlibétaire) en apportant aussi une réponse affirmative à la question complémentaire : An actio a forma ? [L’action vient-elle de la forme ?].

Les explications que fournissait ici Guy Patin éclairent l’objet médico-philosophique de la discussion. La cardinale que Charles Patin (la deuxième de ses trois thèses de bachelier, v. note [1], lettre 393) venait de soutenir et que son père expédiait à de Salins, traitait d’une bizarre question d’« hygiène » : Estne nutricis subfuscæ lac salubrius ? [Le lait d’une nourrice un peu brune de peau est-il plus salubre ?].

8.

« durant le décanat duquel a été porté le décret contre l’antimoine, en 1566, et qui mourut en 1584 ». V. notes [8], lettre 122, pour ce décret, et [5], lettre 15, pour Simon i Piètre.

9.

« De la circulation du sang ».

La page 593 des Opera anatomica vetera… [Œuvres anatomiques anciennes…] de Jean ii Riolan (publiées en 1649, v. note [25], lettre 146) est l’antépénultième du long chapitre xx sur la saignée (Quod vera methodus medendi per venæ sectionem, ex circulatione sanguinis clarius innotescit, et obiter demonstratur, quantum Hippocrati et Galeno usitata fuerit ? [Comment la circulation du sang fait-elle clairement connaître et démontre-t-elle, chemin faisant, la véritable méthode de remédier par la phlébotomie, dans la mesure où Hippocrate et Galien y ont recouru ?], (pages 584-595) du Liber de Circulatione sanguinis [Livre sur la Circulation du sang]. On y lit ces phrases sur Simon ii Piètre (oncle maternel de Jean ii Riolan) :

Propterea præstantissimus Medicus Simon Pietreus, dicere solebat libros Hippocratis seminaria totius Medicinæ continere, præclara nostræ artis documenta apud ipsum reperiri, quæ non intelligit, nisi peritus Medicus, et in operibus artis exercictatus, et in eius lectione diu multumque versatus : se multiores accurate legisse Hippocratem per triginta annos, et ætatis suæ quinquagesimo quinto, quo denatus est, se nunc post multas cogitationes, et experimenta, Hippocratis arcana divina solis sapientibus cognita et comperta intelligere, et ex eius præceptis nunc posse recte Medicinam exercere. […] Empiricorum impudentiam cognosces, qui audent Hippocratem appellare Empiricum : fuit omnium qui Medicinam exercuerunt maxime experiens, et experimentorum spectator, iisque omnia comprobavit, quæ multis fretus rationalibus argumentis invenit, potissimumque rationi corporum incidendorum operam dedit, ut quæ mirum in modum ad artem conferat.

[C’est pourquoi Simon Piètre, médecin très éminent, avait coutume de dire que les livres d’Hippocrate contiennent les fondements de toute la médecine, qu’on y trouve les lumineux enseignements de notre métier ; qu’on ne peut les comprendre si on n’est pas un médecin expérimenté et bien exercé aux opérations de l’art, et si on ne s’est pas souvent et longtemps consacré à leur lecture ; que lui-même avait lu de nombreuses fois Hippocrate avec attention pendant trente années et que quand il est mort, dans sa 55e année d’âge, il comprenait alors, après quantité de réflexions et d’observations, les divins secrets d’Hipocrate, que seuls connaissent et découvrent les sages ; et que, grâce à ses préceptes, il pouvait alors exercer correctement la médecine. (…) Vous connaîtrez l’impudence des empiriques qui osent appeler Hippocrate un empirique : il fut le plus entreprenant de tous ceux qui ont exercé la médecine et l’observateur des expériences, et il leur a fait connaître pour vrai tout ce qu’il a trouvé, fort de multiples arguments rationnels ; et surtout, pour ses admirables contributions au progrès de l’art, il a prêté attention à la dissection des cadavres]. {a}


  1. La pratique de la dissection anatomique par Hippocrate reste débattue.

V. notes [5], lettre 15, et [25], lettre 150, pour l’éloge que Jean ii Riolan a donné de Simon ii Piètre dans la préface de son Encheiridium anatomicum et pathologicum [Manuel anatomique et pathologique, 1648].

10.

V. note [3], lettre 390, pour la « Seconde défense de Charles Guillemeau » (janvier 1655) contre Siméon Courtaud, doyen de Montpellier.

11.

« Il ne regrettera pas d’avoir lu les livres de [Jean] Merlet et de [Jacques] Perreau contre l’antimoine » : v. note [3], lettre 346.

12.

V. note [18], lettre 360, pour le livre de Botal sur le traitement par la saignée.

13.

« Les chimistes sont des imposteurs qui ne prennent pas tant de délicatesses et ne s’y laissent pas non plus prendre ; c’est pourquoi il faut mépriser et délaisser de tels fripons corrompus, nés pour épuiser les biens de la terre. »

Horace, Épîtres (livre i, lettre 2, vers 27) :

Nos numerus sumus et fruges consumere nati.

[Nous sommes nombreux, nés pour épuiser les biens de la terre].

14.

« qui a dégénéré en une ascite chaude et liquéfiante. »

L’ascite est un gonflement de l’abdomen, en forme d’outre (askos en grec), dû à une collection de liquide entre les feuillets du péritoine (membrane qui entoure les viscères) ; c’est l’un des signes majeurs de l’hydropisie (v. note [12], lettre 8) ; on l’observe aussi dans certains cas de cancer ou d’infection touchant l’abdomen.

V. note [82], lettre 150, pour le médecin de Chalon-sur-Saône dénommé Guide.

15.

V. note [38], lettre 395, pour le mot « grésillé ».

16.

V. note [6], lettre 9, pour l’Epitome Galeni operum… [Abrégé des œuvres de Galien…] d’Andrés de Laguna (Bâle, 1551). « Le grand Galien tout entier » était l’édition gréco-latine de René Chartier, encore incomplètement publiée (v. note [13], lettre 35).

17.

« parce que les lettres aux amis doivent être écrites dans un style simple et dans un langage sans façon. »

18.

« Dans le livre des Questions épistolaires » :

Iusti Lipsii Epistolicarum Quæstionum Libri v. In qui<bu>s ad varios scriptores, pleræque ad T. Livium, notæ.

[Cinq livres de Questions épistolaires de Juste Lipse. {a} S’y trouvent des notes sur divers écrivains, la plupart sur Tite-Live]. {b}


  1. V. note [8], lettre 36.

  2. Anvers, Christophe Plantin, 1577, in‑8o de 229 pages

J’y ai vainement cherché un jugement sur le style familier des lettres de Cicéron. Lipse l’a encensé ailleurs : dans son Epistolica Institutio [Institution épistolaire], publiée en 1609, {a} où il s’est beaucoup étendu sur l’art de rédiger des lettres. {b} Le chapitre ix (page 1068), intitulé De Simplicitate duplici, et ad hanc monita [De la double Simplicité, et des conseils pour y parvenir], est spécialement éloquent à cet égard :

Tertiam virtutem posui simplicitatem : intellectu duplici, quia in stilo eam exigo, et in Mente. De stilo certum, et veterum exemplo testatum est, simplicem eum esse debere, sine cura, sine cultu, simillimum cottidiano sermoni. Itaque Demetrius, ut Dialogum, Epistolam scribi vult : et ipse Cicero, [texti eam quotidianis verbis.] Seneca apposite : [Qualis sermo meus esset, si una sederemus aut ambularemus, illaboratus et facilis : tales volo esse epistolas meas.] Quod feminas ornare dicitur, non ornari : hoc epistolam. quam sequi decor debet, non ab ea aut in ea affectari. At de Mente ; ita iltellego, ut simplex quiddam et ingenuum in tota scriptione eluceat, et aperiat candorem quemdam liberæ mentis. Nulla enim ex re magis natura cuiusque et certa indoles elucet (Demetrio vere scriptum) quam ex epistola. Itaque optima ea tibi repræsentenda, et inprimis illi ad quem scribis amica. ut inquam lenium affectuum et benevolentiæ illud, ut sic dicam, saccharum, inspergatur, fiatque delectabilis, et ad legentis gustum. Quo in genere Cicero unicus, et unice imitandus. Præceptis enim aliis res non continetur.

[J’établis la simplicité comme troisième vertu, dans le double sens du mot, car je l’exige dans le style comme dans l’esprit. Quant au style, il est certain, et attesté par l’exemple des Anciens, qu’il doit être simple : sans apprêt ni affectation, tout à fait semblable à la conversation de tous les jours. C’est pourquoi Démétrios {c} veut qu’une lettre soit écrite comme un dialogue ; Cicéron dit de « la construire avec les mots de tous les jours » ; {d} à quoi Sénèque ajoute « Quand nous sommes assis ou nous promenons ensemble, mes propos sont simples et spontanés, et je veux que telles soient mes lettres ». {e} Ce qui embellit les femmes, dit-on, n’est pas qu’elles s’embellissent : cela vaut pour une lettre, dont le charme doit aller de soi, sans besoin de le rechercher par sa forme ou son contenu. Quant à l’esprit, j’entends que tout ce qui l’illumine soit en tout point simple et sincère, et révèle la candeur d’un cœur libre : rien ne montre mieux qu’une lettre la nature d’une personne et la solidité de son talent (c’est Démétrios qui l’écrit avec justesse). Tu dois donc t’y présenter sous ton meilleur angle, et surtout y montrer ton amitié pour celui à qui tu écris ; de sorte, dirais-je, que ce que ta lettre contient de doux sentiments et de bienveillance soit, pour ainsi dire, saupoudré d’un sucre, qui la rende délectable pour celui qui la lit et à son goût ; en quoi Cicéron est un modèle unique, et le seul à imiter. C’est en cela que réside toute l’affaire, et en rien d’autre]. {f}


  1. Ouvrage publié avec son Epistolarum selectarum Chilias [Millier de Lettres choisies] : v. notule {b}, note [12], lettre 271.

  2. Dans le chapitre vii (page 1066), Lipse a énuméré les cinq qualités d’une bonne écriture épistolaire : Brevitatem, Perspicuitatem, Simplicitatm, Venustatem, Decentiam [Brièveté, Clarté, Simplicité, Agrément, Bienséance].

  3. Démétrios de Phalère, v. note [14] du Faux Patiniana II‑7.

  4. Cicéron, Lettres à des familiers, livre ix, xxi : epistulas vero quotidianis verbis texere solemus.

  5. Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, lxxv.

  6. J’ai trouvé grand intérêt à transcrire et traduire ces préceptes lipsiens, car ils ont guidé la plume de Guy Patin dans l’immense majorité de ses lettres, tant françaises que latines.

    Cet extrait permet en outre de goûter au style latin, souvent décrié, de Lipse.


19.

« c’est pourquoi elles sont odieuses à ceux qui choient l’éclat inné et la simplicité sans recherche de Cicéron. »

Pimpant : « leste, brave, fanfaron en habits, en train » (Furetière).

20.

« au lieu d’une dame, une courtisane plutôt fardée et calamistrée [frisée au fer] qu’élégante. »

Nicolas Bourbon le Jeune (v. note [2], lettre 29) avait été un des maîtres de Guy Patin au collège. Ce propos ne figure pas dans le Borboniana qu’il a tiré de sa conversation, mais Bourbon a pu l’emprunter au théologien vénitien Lodovicus Carbo de Costacciaro (1430-1485), au livre i, page 12, de ses Divinus orator, vel de Rhetorica divina Libri septem… [Sept livres de l’Orateur sacré, ou de la Rhétorique sacrée…] (Venise, Societas Minima, 1595, in‑8o de 479 pages) :

Secunda positio, divinum scriptorem, oratoremve, nullo modo decet eloquentia quædam fucata, calamistrata, immodice ornata, et penitus forensis.

[En second lieu, il ne convient pas à un orateur ou à un écrivain sacré de recourir à une éloquence fardée, calamistrée, immodérément parée, et presque digne du barreau].

21.

« quand il a écrit à de Thou, Scaliger, Heinsius, Grotius, et autres érudits. »

V. note [5], lettre 18, pour l’influence d’Isaac Casaubon sur la plume de Guy Patin.

22.

« et fuyez-le comme un fléau ».

23.

« Tant la religion a pu inspirer de crimes ! » (Lucrèce, v. note [12], lettre 334).

24.

« en ses premier et deuxième livres des crises » : André i Du Laurens, De Crisibus libri tres [Trois livres sur les Crises] (Tours, 1593, pour la première édition), que Guy Patin avait lui-même édités et commentés en 1628 (v. note [3], lettre 13).

25.

« ce qui concerne l’usage médical et œuvre pour le traitement des maladies. »

26.

V. note [6], lettre 359, pour Giulio Cesare Claudini, médecin de Bologne.

27.

Peut-être Guy Patin songeait-il ici à ce quatrain (Épître aux dames de Paris) de Clément Marot (Cahors 1495-Turin 1544) :

« L’oisiveté des moines et cagots,
Je la dirais, mais je crains les fagots ; {a}
Et des abus dont l’Église est fourrée,
J’en parlerais, mais garde la bourrée » {b}


  1. Le bûcher : Marot a été emprisonné puis banni de France en raison de son inclination pour la Réforme.

  2. Bourrée : petit fagot fait de fort menu bois, mais aussi espèce de danse composée de trois pas joints ensemble, avec deux mouvements.

28.

Le Catholicon d’Espagne est l’autre nom de la Satire Ménippée (v. note [18], lettre 310). La République est le plus célèbre ouvrage de Jean Bodin (Paris, 1576, v. note [25], lettre 97), où il défend la monarchie comme régime le plus conforme à la république, mot qu’il utilise dans son vieux sens d’administration de la « chose publique ».

V. note [22], lettre 177, pour les Politiques de Juste Lipse.

29.

« loin et à l’abri des embûches des moines. »

V. note [9], lettre latine 421, pour la Sagesse de Pierre Charron (Bordeaux, 1601). Guy Patin terminait sa liste par deux ouvrages du jésuite François Garasse : {a}

30.

« à cause du mérite de l’auteur. »

31.

« avec votre toute jeune femme ».

32.

Faire raison : rendre la pareille.

33.

« Avec, du même auteur, la Langue et L’Éloge de la folie, et aussi l’Institution du prince chrétien ».

L’admiration de Guy Patin pour Érasme n’était pas feinte : on trouve bien des analogies dans leur philosophie sceptique, fort teintée de misanthropie.

34.

Guy Patin allait avoir l’heureuse surprise et la grande gaîté d’apprendre que la jeune épouse de Hugues ii de Salins se nommait Marguerite de Bonamour.

35.

« n’est-ce pas ainsi qu’il s’appelle ? »

Lescharnier est bien le nom qu’a écrit Guy Patin, et donc sans relation plausible avec les Leschassier, famille apparentée à son épouse, dont il a déjà été question dans les lettres en 1649 (v. notes [14], lettre 190).

36.

« Mais voilà assez d’inepties ».

37.

« Peu importe et ça m’est égal. » V. note [29], lettre 395, pour le cardinal Gian Francesco Sacchetti ; le cardinal Fabio Chigi allait être élu pape sous le nom d’Alexandre vii (v. note [3], lettre 399).

38.

« tel est le jésuite. » V. note [12], lettre 398, pour le sermon pascal du P. Jean Adam, qui fit scandale à la cour.

39.

« Flatteurs de tout le monde et ennemis de tout le monde. » Petrus Aurelius est le pseudonyme du janséniste Jean Duvergier de Hauranne (v. note [5], lettre 204).

40.

« le plus effronté troupeau de moines. »

41.

Annonce des :

Του μεγαλου Ιπποκρατους παντων των ιατρων κορυφαιου τα ευρισκομενα. Magni Hippocratis, medicorum omnium facile principis, opera omnia quæ extant : in viii sectiones ex Erotiani mente distributa. Nunc denuo Latina interpretatione et annotationibus illustrata, Anutio Foesio, Mediomatrico medico, authore…

[Toutes les œuvres qui existent du Grand Hippocrate, sans conteste le premier de tous les médecins, en huit sections réparties suivant l’esprit d’Erotianus. {a} De nouveau enrichies d’une traduction latine et d’annotations par Anuce Foës, {b} médecin de Metz…] {c}


  1. V. note [10], lettre 9.

  2. Mort en 1595, v. note [23], lettre 7.

  3. Genève, Samuel Chouët, 1657-1672, 2 tomes en 3 volumes in‑fo ; le tome 1 et le tome 2 sont en ligne sur Internet Archive.

    C’était la réédition fort attendue de celles, alors épuisées, de Francfort (v. note [6], lettre 68). Le privilège exclusif de René Chartier (v. note [14], lettre 35) avait interdit qu’elle s’imprimât en France.


42.

« Ô les temps ! », v. note [8], lettre 392, pour les Opera omnia de Paracelse en cours d’impression à Genève.

43.

« le Lexique étymologique, philologique sacré de Matthias Martini » (v. note [9], lettre 238).

44.

« qui ne contient presque rien d’autre que des mots, et ce Lexicon contient bien plus de choses que des mots. »

Le titre complet de ce que Guy Patin appelait « le Calepin de Passerat » est :

Ambrosius Calepinus Passeratii, sive linguarum novem, Romanæ, Græcæ, Hebraïcæ, Gallicæ, Italicæ, Germanicæ, Hispanicæ, Anglicæ, Belgicæ, dictionarium. Accuratissima editio.

[L’Ambroise Calepin {a} de Passerat, ou le dictionnaire des neuf langues, latin, grec, hébreu, français, italien, allemand, espagnol, anglais, flamand. Édition tout à fait exacte]. {b}


  1. V. note [17], lettre 193.

  2. Leyde, Abrahamus Commelinus, sans date, 2 volumes in‑4o.

    Jean Passerat (v. note [2], lettre 21), bien que les libraires eussent mis cette édition sous son nom, n’y eut aucune part : elle a été donnée par Abraham Commelin (libraire de Leyde, 1597-vers 1652) et Cornelius Schrevelius (v. note [18], lettre 345).


45.

« et le chef-d’œuvre d’un homme de grand mérite. »

V. notes [20], lettre 352, pour le « Trésor de la langue latine » de Gerardus Johannes Vossius (Amsterdam, 1662), et [12], lettre 392, pour le Cl. Salmasii Epistolarum liber primus [premier livre des Lettres de Claude Saumaise] (Leyde, 1656).

46.

V. note [17], lettre 280, pour ces commentaires de Francisco Valles (Orléans, 1654).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 27 mars 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0396

(Consulté le 27/04/2024)

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