Autres écrits
Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑4 (1701)

Paris, 1701, pages 90‑118 (et dernière) [1]

Fin du Patiniana I

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1.

« d’abord ».

Cet article du Patiniana imprimé figure en partie à la page 73 du manuscrit de Vienne (v. note [12] de l’Introduction aux ana de Guy Patin). Guy Patin n’a jamais parlé de Michel Servet dans ses lettres : le mémoire qu’il a écrit pour son procès contre Jean Chartier en 1653 (v. sa note [49]) contient la seule mention autographe qu’il ait faite de ce curieux médecin, astrologue et théologien. Il y parlait, comme ici, de l’hérésie trinitaire, pour laquelle Servet fut supplicié par Jean Calvin, à Genève en 1553. N’ayant pas lu le livre, intitulé Christianismi Restitutio [Restitution du christianisme] (Vienne en Dauphiné, 1553), qui le fit monter sur le bûcher, Patin ne pouvait faire allusion à la surprenante description de la petite circulation du sang qu’on y trouve, et pour laquelle Servet s’est fait un nom dans l’histoire de la médecine. Ces quelques lignes, aujourd’hui célèbres, avaient aussi pu échapper à Gabriel Naudé.

2.

Claudii Ptolemæi Alexandrini Geographicæ Enarrationis Libri Octo. Ex Bilibaldi Pirckeymheri tralatione, sed ad Græca et prisca exemplaria à Michaele Villanovano secundo recogniti, et locis innumeris denuo castigati. Adiecta insuper ab eodem Scholia, quibus et difficilis ille Primus Liber nunc primum explicatur, et exoleta Urbium nomina ad nostri seculi morem exponuntur. Quinquaginta illæ quoque cum veterum tum recentium Tabulæ adnectuntur variisque incolentium ritus et mores explicantur. Accedit index locupletissimus hactenus non visus.

[Les huit livres de la Description géographique donnée par Claude Ptolémée d’Alexandrie. {a} D’après la traduction de Bilibaldus Pirckeymherus, {b} mais Michael Villanovanus {c} l’a collationnée une nouvelle fois avec d’anciens exemplaires grecs, et de nouveau corrigée en d’innombrables endroits. Il y a en outre ajouté des annotations éclairant pour la première fois ce premier livre fort ardu, et a adapté au vocabulaire de notre temps les noms de villes tombés en désuétude. Il y a aussi joint ces cinquante cartes des contrées tant anciennes que modernes, et expliqué les rites et les mœurs des habitants de divers endroits. Avec un très riche index, inédit jusqu’ici]. {d}


  1. V. note [22], lettre 151.

  2. Willibald Pirckheimer (humaniste allemand, 1470-1530).

  3. Autre nom de Michel Servet, v. supra note [1].

  4. Lyon, Hugo a Porta [Hugues de Laporte], 1541, in‑fo, 140 pages de texte et 197 pages de cartes ; première édition à Lyon, 1535.

3.

Ioan. Sleidani, De Statu Religionis et Reipublicæ, Carlo quinto, Cæsare, Commentarii [Commentaires de Johann Sleidan sur l’état de la religion et de la politique sous l’empereur Charles Quint], {a} année 1553, livre xxv, page 446 vo, Servetus Genevæ exustus [Servet brûlé à Genève] :

Sub finem Octobris, Genevæ sumptum est de Michaele Serveto Hispano supplicium. Is multis ab hinc annis varios ediderat libellos inter alia, de Triniata, prorsus alienos a sententia totius Ecclesiæ. Quumque hoc demum anno Genevam venisset, senatus de illo certior factus, comprehendi jubet, ac deinde Calvino, qui tam antea scriptis eum oppugnaverat, et cæteris Ecclesiæ ministris iniungit, ut sermonem cum eo coferant. Itaque multa fuit inter eos et acerba disceptatio ; quum ille sæpenumero mendacij Calvinum insimularet, admodum immodeste. Senatus vero, ne quid in causa tam gravi temere fieret, doctores de iis dogmatis consulit, Bernates, Tigurinos, Basilienses, Schafusianos. Hi respondent omnes ad summam Dei contumeliam illa pertinere. Quum autem non modo de sententia non decederet, sed conviciis et maledictis etiam sua propugnaret, damnatus est capitis. Ut ad locum supplicij venit, horante Gulielmo Farello, Christum, æternum Dei filium invocare noluit, et quum pœnitentiæ signum nullum daret, causam tamen ad populum minime defendit. Necis invidiam plerique constabant in Calvinum. Is autem edito libro, doctrinam eius et rem omnem actam commemorat, et in hæreticos gladio vindicandum esse docet. {b}

« Sur la fin d’octobre, on fit mourir à Genève Michel Servet, Espagnol. Depuis plusieurs années, il avait publié différents ouvrages, et entre autres sur la Trinité, tout à fait contraires au sentiment de l’Église. Enfin, étant revenu cette année à Genève, le Sénat, qui en fut informé, le fit arrêter et enjoignit ensuite à Clavin, qui avait déjà écrit contre lui auparavant, et aux autres ministres de leur Église de conférer avec lui. Il y eut donc entre eux de longues et de vives disputes, où Servet taxa souvent Calvin de mensonges, d’une manière tout à fait impudente. Cependant, le Sénat, pour ne rien faire avec témérité dans une cause aussi grave, consulta sur tous ces points les théologiens de Berne, de Zurich, de Bâle et de Schaffhouse. {c} Ceux-ci répondirent tous unanimement que les sentiments de Servet étaient fort injurieux à Dieu. {d} Mais comme, au lieu de condamner ses erreurs, il les soutenait en chargeant ses adversaires d’injures et de calomnies, il fut condamné à la mort. Lorsqu’il fut arrivé au lieu du supplice, il ne voulut point, nonobstant les exhortations de Guillaume Farel, {e} invoquer Jésus-Christ comme le fils éternel de Dieu, ni donner aucun signe de repentance ; mais dans le discours qu’il fit au peuple, il ne dit rien pour justifier la cause pour laquelle il souffrait. La plupart rejetèrent la haine de sa mort sur Calvin ; {f} mais celui-ci ayant exposé dans un ouvrage, qu’il publia, la doctrine de Servet et tout ce qui s’était passé entre eux, {g} il soutint qu’on devait employer le glaive contre les hérétiques. »


  1. Sans lieu, P. Jacobus Polanus et Antonius Rebulus, 1557, in‑8o de 917 pages ; v. note [2], lettre 474, pour Johann Philippson Sleidan.

  2. La traduction qui suit est celle de l’Histoire de la Réformation, ou Mémoires de Jean Sleidan sur l’état de la religion et de la République sous l’Empire de Charles Quint, traduits de nouveau en français par Pierre François Le Courrayer, docteur en théologie. Avec des notes (La Haye, Frédéric Staatman, 1767, in‑4o, tome troisième, page 263).

  3. V. note [3], lettre 616.

  4. Note de Le Courrayer :

    « Il est vrai que les théologiens de Suisse, qui furent consultés, condamnèrent de concert les erreurs de Servet ; mais on ne voit point qu’ils fussent pour le faire mourir, quoique Calvin ait voulu persuader le contraire, parce que lui-même s’était déclaré pour le supplice de cet homme, et avait tâché ensuite de justifier cette procédure. Mais il n’est pas dit un mot dans les lettres des théologiens suisses pour approuver qu’on fît mourir Servet, et tout ce qu’ils souhaitaient est < sic > qu’on prît les meilleurs moyens de l’engager à rétracter ses sentiments. »

  5. Guillaume Farel (près de Gap 1489-Neuchâtel 1565), théologien français qui fut l’un des promoteurs de la Réforme, avait quitté la France pour la Suisse. Chassé de Bâle en 1524, sur l’opposition d’Érasme, il s’installa à Genève et convainquit Calvin de le rejoindre (v. notule {b}, note [67] du Faux Patiniana II‑7) ; mais après une dispute doctrinale et morale, Calvin chassa Farel de la ville en 1536, lequel partit exercer son ministère à Montbéliard, Metz et Neuchâtel. Il semble donc improbable que Farel soit intervenu pour tenter d’amener Servet à résipiscence en 1553, à Genève.

  6. Note de Le Courrayer :

    « On avait en effet une très juste raison de le faire, puisque ce fut principalement à sa poursuite que Servet fut condamné, et que Calvin fit ensuite l’apologie de cette sentence, en soutenant qu’on devait employer le glaive contre les hérétiques. Cette doctrine peu chrétienne et peu conforme à la raison, et si fort censurée aujourd’hui par les protestants, n’a pas laissé de trouver des apologistes chez eux dans les commencements de la Réformation ; conduite d’autant plus étrange qu’en faisant mourir ceux qu’ils regardaient comme hérétiques, ils autorisaient les catholiques à les traiter ainsi eux-mêmes, puisqu’ils étaient tels à leurs yeux. »

  7. Déclaration pour maintenir la vraie foi que tiennent tous chrétiens de Trinité des personnes en un seul Dieu. Par Jean Clavin. Contre les erreurs détestables de Michel Servet, Espagnol. Où il est aussi montré qu’il est licite de punir les hérétiques ; et qu’à bon droit, ce méchant a été exécuté par justice en la ville de Genève. {i}

    Les arguments théologiques de Calvin contre Servet sont résumés à la fin du livre, avec cette conclusion, aussi catégorique que péremptoire :

    « Combien que je n’aie fait qu’un simple récit des erreurs de Servet, sans amener les raisons par lesquelles je les pouvais réprouver, et que d’un abîme infini j’ai tiré seulement quelque peu d’articles, toutefois il y a de l’absurdité si lourde, laquelle se montre de soi-même, que les lecteurs {ii} non seulement en devront être fâchés, mais aussi avoir en détestation un tel monstre. S’il y en a qui ne s’en trouvent point étonnés, malheur sur leur subtilité brutale. » {iii}

    1. Genève, Jean Crespin, 1554, in‑8o de 356 pages.

    2. Il était impossible aux lecteurs de s’en faire une libre idée : avec son auteur, Calvin avait livré aux flammes tous les exemplaires qu’on avait pu trouver du traité de Trinitate ; les multiples lacunes qu’on voit sur celui que conserve la Bnf en témoignent pathétiquement ; c’est aussi pourquoi Guy Patin n’avait jamais pu se procurer ce livre.

    3. Sans grande surprise, Calvin n’a nulle part évoqué la surprenante description de la petite circulation du sang par Servet.

4.

« Ce Servet était Espagnol natif d’Aragon. Diverses de ses œuvres ont été publiées en 1531 et 1532. Voyez Sponde à l’an 1531, no 6, et à l’an 1533, no 14. {a} Pour sa doctrine, etc., voyez l’Historia del Concilio Tridentino de Pietro Soave, à l’année 1554. » {b}


  1. J’ai pris ces deux citations dans la Continuation des Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius. Composées en latin par Mre Henri de Sponde, évêque de Pamiers, {i} jusques en l’année 1640. Divisées en trois tomes. Mises en français par Pierre Coppin, docteur en théologie de la Faculté de Paris, curé de Notre-Dame-du-Val-lez-Paris, et par lui continuées jusques à présent. Tome iii, depuis l’an 1517 jusque présent. {ii}

    • Année 1531, x, Les hérésies de Servet (page 93) :

      « Au même temps, Michel Servet, Espagnol d’Aragon, se fit reconnaître pour hérésiarque nouveau, touchant la très-Sainte Trinité. {iii} Il s’en alla en Afrique après avoir longtemps étudié en médecine, afin d’apprendre davantage l’Alcoran ; et depuis, abusant de la connaissance qu’il avait aux sciences et aux langues, il commença de soutenir les anabaptistes, {iv} enseignant publiquement que le baptême des petits enfants n’avait autre fondement que l’autorité particulière des papes, contre les commandements de l’Écriture Sainte ; et il rejetait entièrement toute sorte de magistrats. Quant à l’Eucharistie, il disait avec les sacramentaires que ce n’était qu’une seule marque ; et son impiété le portant entièrement contre la très-Sainte Trinité, il soutenait que ce n’était qu’une vraie fiction, et un monstre ou un Cerbère à trois têtes, {v} que le Père seul était Dieu, et non pas le Fils et le Saint-Esprit ; que Dieu contenait des parties en sa substance qui l’accompagnent partout où elle est, de sorte qu’il est pierre dans la pierre, tronc dans le tronc ; que le fils de Dieu n’était point la deuxième personne de la Divinité, mais l’Homme-Christ, et que cette personne avait été faite avec l’homme ; que le Saint-Esprit n’était point simplement Dieu, mais quelque chose de l’Essence de Dieu, et un petit vent seulement, qui n’avait commencé qu’à la création du monde ; que Dieu n’avait jamais été adoré durant la Loi, {vi} mais les Anges seulement, qui le représentaient ; qu’ils avaient été réellement dès le commencement et qu’ils avaient eu besoin de quelque renouvellement après que leur chef avait été fait Christ ; que l’esprit et l’âme de l’homme étaient la substance de Dieu, que ceux qui étaient régénérés recevaient une autre âme que celle qu’ils avaient auparavant, qui contenait la divinité ; que personne n’était damné pour le péché originel, d’autant que, le serpent s’étant seulement saisi du corps, l’âme était demeurée libre, laquelle ne peut pécher auparavant la vingtième année ; que les hommes pouvaient être justifiés et sauvés par son Évangile sans la connaissance de Christ, que les Turcs pouvaient obtenir les promesses de Christ par leurs prières qui sont bonnes. »

      1. V. note [21], lettre 408.

      2. Paris, Jacques D’Allin, 1654, in‑fo de 760 pages.

      3. De Trinitatis erroribus libri septem. Per Michaelem Serveto, alias Reves ab Aragonia Hispanum [Sept livres sur les erreurs de la Trinité. Par Michel Servet, alias Reves, Espagnol d’Aragon] (sans lieu ni nom, 1531, in‑8o de 238 pages).

      4. V. note [5], lettre 354.

      5. V. notule {c}, note [29] du Borboniana 6 manuscrit.

      6. La Loi de Moïse, ou Ancien Testament.

    • Année 1553, xiii, Quelques hérétiques brûlés en France, et xiv, On emprisonne Servet à Genève (pages 250‑251) :

      « Comme en France pareillement où, cependant, on punit cette année diversement, par le feu particulièrement, ceux qui, ayant été instruits aux dépens de ceux de Berne, à Lausanne où Bèze enseignait, {i} étaient venus à Lyon pour débiter leur fausse doctrine, sans que ceux de Berne pussent jamais obtenir leur pardon du roi. Sleidan rapporte calomnieusement à son ordinaire leur procès. {ii} On tient que le cardinal de Tournon {iii} y prit beaucoup de peine, haïssant les hérétiques comme perturbateurs de la religion et du repos public.

      De quoi les hérétiques se plaignant cette année, ils montrèrent, par effet et par écrit, qu’on pouvait et le devait faire, Calvin ayant fait lui-même emprisonner Michel Servet, d’Aragon en Espagne, qui était venu cette année à Genève après avoir fait plusieurs tours en Europe et en Afrique pour renouveler l’arianisme, {iv} disant que la Trinité était un monstre à trois têtes, et un certain cerbère des dieux imaginaires, trois esprits de démon ; {v} qu’il y avait de la divinité au<x> diable<s> et qu’elle leur était communiquée substantiellement, et au bois et aux pierres pareillement ; que le Christ était appelé Fils de Dieu d’autant que sa chair avait été conçue et formée, dans le ventre de la Vierge, de la même substance de Dieu. Il parlait du péché et de la justification comme les philosophes et les pharisiens. {vi} Il disait que le baptême était une abomination détestable et un mépris du Royaume du Christ, et qu’il ne le fallait recevoir qu’à l’âge de 30 ans. Enfin, après avoir aigrement disputé contre Calvin, le reprenant souvent de mensonge et ne voulant rien rabattre de son opiniâtreté, il fut condamné, après qu’on en eut communiqué aux sacramentaires de Berne, de Zurich et de Bâle, à être brûlé tout vif ; comme il fut le 27e d’octobre, sans faire paraître aucune marque de pénitence. Bèze dit en la Vie de Calvin qu’il fut puni comme un monstre de blasphème et d’impiété, et non pas comme auteur de quelque secte, afin d’exempter Calvin et les autres, et lui-même, {vii} du feu qu’ils avaient aussi bien mérité que Servet. Mais Calvin tient, sans faire aucune distinction, qu’il fut justement puni par le magistrat, qui peut traiter de cette façon les hérétiques, et son avis est clairement approuvé par Bulinger et Mélanchthon. {viii} Valentin Gentil et Georges Blandrat, disciples de ce Servet, publièrent ses impiétés dans la Pologne, la Hongrie et la Transylvanie. »

      1. V. note [28], lettre 176, pour Théodore de Bèze, l’adjoint zélé de Jean Calvin.

      2. V. supra note [3].

      3. François de Tournon (1489-1562), cardinal en 1530, archevêque d’Auch, puis de Lyon, diplomate et très influent conseiller du roi François ier, fut un fervent ennemi de la Réforme naissante.

      4. Hérésie chrétienne très proche du socinianisme (v. note [13], lettre 127).

      5. V. notule {c}, note [29] du Borboniana 6 manuscrit pour les multiples têtes de Cerbère.

      6. V. notes [19], lettre 970, pour la justification des péchés, et [14], lettre 83, pour les pharisiens.

      7. Bèze.

      8. V. notes [9], lettre 264, pour Jules-César Bulenger, et [12], lettre 72, pour Mélanchthon.

  2. Pietro Soave Polano est l’anagramme de Paolo Sarpi, {i} dont l’Historia a paru en français sous le titre d’Histoire du concile de Trente, traduite de l’italien de Pierre Soave Polan. par Jean Diodati, {ii} livre cinquième, page 451 :

    « En ces mêmes temps, plusieurs furent aussi brûlés en France pour cause de religion ; non sans dépit et indignation des gens de bien, qui savaient que les poursuites qu’on faisait contre ces pauvres gens n’étaient point causées de zèle de religion ou de piété, mais de l’insatiable cupidité d’Anne de Poitiers, {iii} duchesse de Valentinois, femme de joie du roi Henri deuxième, lequel lui avait donné pour une fois toutes les confiscations des biens faites en son royaume pour cause d’hérésie. Car {iv} Michel Servet, de Tarrascon {v} en Espagne, de médecin devenu théologien, ayant renouvelé l’ancienne opinion de Paul Samosaténien et de Marceau Ancyran, {vi} que le verbe divin n’est pas une subsistance, {vii} et que le Christ est purement et simplement homme, fut pour cette cause exécuté à mort en la ville de Genève, de l’avis et conseil des ministres de Zurich, de Berne et de Schaffhouse. Et Jean Calvin, lequel de ce fait était chargé par plusieurs, écrivit un livre, par lequel il soutenait que le magistrat peut punir les hérétiques à mort. Mais selon que le nom d’hérétique est plus ou restreint, ou élargi, ou même diversement pris, cette doctrine aussi peut être tirée à divers sens et peut, en un temps, nuire à tel, auquel, en un autre, elle aurait porté du bénéfice. »

    1. V. note [13], lettre 467.

    2. Genève, Étienne Gamonet, 1621, in‑4o de 971 pages ; v. note [56], lettre 223, pour Giovanni Diodati.

    3. Sic pour Diane de Poitiers (1499 ou 1500-1566), favorite du roi de France Henri ii.

    4. Dans le même temps.

    5. Sic pour Aragon.

    6. Paul de Samosate, évêque d’Antioche au iiie s., fondateur du paulanisme, fut condamné pour hérésie.

      Marcel, évêque d’Ancyre (Galatie) au ive s., fut condamné pour son adhésion au sabellianisme, qui niait la Trinité en disant que Dieu, le Christ et le Saint-Esprit sont trois entités distinctes.

    7. Une seule et même personne (ou hypostase).

5.

6.

V. note [10], lettre 73, pour Guillaume Du Val, natif de Pontoise (ville alors considérée comme normande, v. note [1], lettre 237). Guy Patin a rapporté son bon mot dans sa lettre à Charles Spon datée du 5 septembre 1659 (v. sa note [1]).

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

7.

Reprise d’un jeu de mots géographique de Jean-Pierre Camus, évêque de Belley (v. note [9], lettre 72), que Guy Patin a rapporté à André Falconet dans sa lettre du 15 août 1659 (v. sa note [8]).

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

8.

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 75). Il reprend mot pour mot, sous forme narrative, un article du Naudæana : v. note [6] de sa 4e partie, qui contient un commentaire détaillé sur la date du 10 mars 1642.

9.

Cet article complétant le précédent, je l’ai transféré ici (pages 92‑93) depuis les pages 100‑101 du Patiniana imprimé. Il figure dans le manuscrit de Vienne (page 80).

V. note [9], lettre 3, pour la biographie de Gabriel Naudé et ses liens d’amitié avec Guy Patin. En 1620, ils achevaient leurs études au collège (obtention de la maîtrise ès arts) et s’apprêtaient à prendre leur première inscription à la Faculté de médecine.

10.

Cet article complétant les deux précédents, je l’ai transféré ici (pages 92‑93) depuis les pages 111‑112 du Patiniana imprimé. Il ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

Guy Patin a pleuré la mort de Gabriel Naudé dans sa lettre du 26 août 1653 (8e paragraphe). V. notes :

11.

« au nom de la Religion » : ce terme incluait luthériens et calvinistes (huguenots proprement dits, v. note [1], lettre 63), car la suite de l’article mêle les deux confessions, ainsi que les anglicans et les puritains britanniques (v. infra note [12]).

12.

V. notes :

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 75). Comme le précédent, consacré à Michel Servet et à Jean Calvin (v. supra notes [1][5]), qui provient de la même source, il reflète plus probablement le scepticisme de Gabriel Naudé que celui de Guy Patin ; et ce même si ses inclinations pour le protestantisme ont pu transpirer dans certaines lettres adressées à son ami calviniste Charles Spon (v. note [15], lettre 97).

Comme bien de ses maîtres à penser (Hugo Grotius, Nicolas Bourbon le Jeune, etc.), aucune religion ne semblait satisfaire pleinement Patin : cela pourrait certes faire de lui un « libertin érudit », voire un athée prosélyte (que d’aucuns vont jusqu’à soupçonner d’avoir écrit le Theophrastus redivus, v. note [38], lettre 477), mais sans le moindre reniement de Dieu et avec une constante profession des préceptes évangéliques (qu’il estimait malmenés par toutes les confessions chrétiennes). Il faut savoir prudemment lire entre les lignes des ana de Patin pour essayer d’y deviner le peu qui peut lui être raisonnablement attribué.

13.

V. note [1], lettre 188, pour l’anatomiste vénitien Emilio Parisano, l’un de ceux que Jean ii Riolan avait étrillés dans la 3e édition de son Anthropogaphie (Paris, 1649, Opera anatomica vetera [Œuvres anatomiques anciennes], v. note [25], lettre 146).

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 19).

14.

Guy Patin a rejeté cette fable à la fin de sa lettre du 4 mars 1659 à André Falconet : v. sa note [12], où j’ai transcrit l’extrait du Mascurat (Paris, 1650, v. note [127], lettre 166) dans lequel Gabriel Naudé réfute les rêveries du grammairien et érudit italien Benvenuto dei Rambaldi da Imola (Benevenutus de Rambaldis Imolensis, Imola 1330-Ferrare 1390), commentateur de la Divine Comédie de Dante (v. note [10] du Patiniana I‑3). Le Romuleon (manuscrit traduit en français, 1485-1490) et les autres œuvres historiques de Benvenuto n’ont pas été imprimés.

Dans le manuscrit de Vienne (page 76), cet article est assorti d’un commentaire :

« Dans cette religion il y a 9 sectes principales qui sont autant d’hérésies. Les Turcs ont pareillement leurs athées qui dicuntur Aladini sive de secta Aladin. {a} Si vous voulez savoir des nouvelles de Mahomet, voyez Guillaume Postel in libro de orbis terræ concordia ; {b} Michel Baudier en son Histoire des Turcs ; {c} Historiam Sarracenicam ; {d} Baronium in Annalibus Eclesisaticis, {e} etc. »


  1. « qu’on appelle assassins (ismaéliens) ou sectaires d’Aladin [Ala-Eddyn ou Alamut] » : v. notule {f}, note [15] des Affaires de l’Université, 1651-1652 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris, pour le Vieux de la Montagne, auquel était affiliée cette secte de fanatiques.

  2. Guillaume Postel, Alcorani seu Legis Mahometi et Evangelistarum concordiæ liber [Livre de la concorde entre le Coran ou Loi de Mahomet et les Évangélistes] (Paris, 1543, v. notule {a}, note [47] du Naudæana 4).

  3. Histoire générale de la religion des Turcs. Avec la naissance, la vie et la mort de leur Prophète Mahomet, et les actions des quatre premiers califes qui l’ont suivi ; celle du prince Mahuvias, et les ravages des Sarrsins en Europe aux trois premiers siècles de leur Loi. Ensemble le tableau de toute la chrétienté à la venue de Mahomet. Par le sieur Michel Baudier {i}, de Langedoc. {ii}

    1. V. note [21] du Borboniana 8 manuscrit.

    2. Paris, Claude Cramoisy, 1625, in‑4o de 351 pages.

    La secte des assassins y est décrite dans le chapitre vii, Histoire véritable du paradis de Mahomet, dressé en terre par un prince de sa secte, pour servir aux desseins de ses passions, du livre vi, pages 343‑348.

  4. Historia Sarcenica, qua res gestæ Muslimorum, inde a Muhammede primo Imperii et Religionis Muslimicæ auctore, usque ad initium Imperii Atabacæi, per xlix Imperatorum successionem fidelissime explicantur. Insertis etiam passim Christianorum rebus in Orientis potissimum Ecclesiis eodem tempore gestis. Arabice olim exarata a Georgio Elmacino fil. Abuljaseri Elamidi f. Abulmacaremi f. Abultibi, et Latine reddita opera ac studio Thomæ Erpenii. Accedit et Roderici Ximenez, Archiepiscopi Toletani, Historia Arabum, longe accuratius, quam ante, et Manuscripto codice expressa.

    [Histoire sarrasine, où est très fidèlement expliqué ce qu’ont accompli les musulmans depuis Mahomet, fondateur de la domination et de la religion islamiques, jusqu’au début de la domination ottomane, par la succession de 49 califes abbassides. {i} En maints endroits est aussi insérée l’histoire des chrétiens, principalement des Églises d’Orient durant la même période. Elle a jadis été mise au jour par Georges Elmacin, {ii} fils d’Abi al-Yasir al-Amid, fils d’Abi al-Makarim, fils d’Abi Ut-Tayyib, et traduite en latin par les soins et les recherches de Thomas Erpenius. {iii} Avec en outre l’Histoire des Arabes de Rodrigo Jiménez de Rada, {iv} archevêque de Tolède, bien plus exacte qu’auparavant, tirée du manuscrit original]. {v}

    1. De Bagdad.

    2. Djirdjis al-Makin (1205-1273), historien égyptien copte.

    3. Thomas Van Erpe, mentionné dans la note [34], lettre 237 sur Samuel Brochart.

    4. 1170-1247.

    5. Leyde, Thomas Erpenius, 1625, in‑4o en deux parties de 300 et 39 pages, édition bilingue, arabe et latine.

  5. V. note [12], lettre 556.

15.

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 76), mais rappelle ce que Guy Patin a écrit dans sa lettre du 20 février 1665 à André Falconet, au sujet du théologien espagnol Amadæus Guimenius (v. ses notes [4] et [5]) :

« Un docteur de Sorbonne m’a dit qu’il faut que cet auteur soit un méchant homme, et même un athée ; et néanmoins Platon a dit que jamais un homme ne mourut athée, mais au moins il y a bien au monde des fourbes, des imposteurs, sans mettre en ligne de compte les charlatans de notre métier, qui ne valent pas mieux. »

Robert Fludd (Fluddus ou de Fluctibus ; Milgate House, Kent 1574-Londres 1637), docteur en médecine d’Oxford en 1605, était un adepte du paracelsisme et de l’occultisme mystique. Collègue de William Harvey {a} au sein du London College of Physicians, Fludd fut l’un des tout premiers à défendre publiquement la circulation du sang. Rangé parmi les néoplatoniciens chrétiens, {b} il a laissé plusieurs ouvrages ésotériques, dont une :

Apologia Compendiaria, Fraternitatem de Rosea Cruce suspicionis et infamiæ maculis aspersam, veritatis quasi Fluctibus abluens et abstergens : Auctore R. de Fluctibus, M.D. Lond.

[Brève Apologie qui, comme par des flots de vérité, lave et essuie la fraternité de Rose-Croix {c} des taches de soupçon et d’infamie dont on l’a aspergée. Par R. de Fluctibus, docteur en médecine à Londres]. {d}


  1. V. note [12], lettre 177.

  2. V. note [52], lettre 97.

  3. V. note [6], lettre 853.

  4. Leyde, Godefridus Basson, 1619, in‑8o de 23 pages.

Platon a entre autres débattu de l’athéisme dans le livre x de ses Lois (chapitres iiii, traduction d’Émile Chambry) :

« (L’Athénien) Celui qui croit, comme l’enseigne la loi, qu’il y a des dieux, ne commettra jamais volontairement aucun acte impie et ne lâchera jamais un mot contre la religion. Si on le fait, c’est pour une des trois causes que voici : la première, c’est que, comme je l’ai dit, on ne croit pas à l’existence des dieux ; la seconde, qu’on pense qu’ils ne s’occupent pas des affaires humaines ; et la troisième, qu’il est facile de les fléchir par des sacrifices et de les séduire par des prières.

(Clinias) Alors que faire et que dire à ces gens-là ?

(L’Athénien) Commençons, mon bon ami, par écouter ce que je devine qu’ils nous diront d’un ton à la fois insultant et moqueur.

(Clinias) Que nous diront-ils donc ?

(L’Athénien) Ils pourraient nous dire, pour se jouer de nous : “ Étrangers d’Athènes, de Lacédémone et de Cnossos, vous dites vrai. Il y en a parmi nous qui ne croient pas du tout à l’existence des dieux ; {a} d’autres se les figurent tels que vous dites. En conséquence, nous demandons qu’avant de nous menacer durement, vous essayiez d’abord, comme vous l’avez jugé bon à propos des lois, de nous persuader et de nous prouver par des raisons concluantes qu’il y a des dieux, et qu’ils sont d’une nature trop excellente pour se laisser enjôler et détourner de la justice par des présents. Comme nous entendons tenir ces propos et d’autres semblables à des gens qui passent pour être très capables – poètes, orateurs, devins, prêtres, sans parler d’une infinité d’autres personnes – la plupart d’entre nous ne se sentent pas portés à ne pas faire le mal, mais < le sont à > y remédier après qu’il est commis. Nous avons droit d’attendre des législateurs, qui prétendent préférer la douceur à la brutalité, qu’ils commencent à user avec nous de la persuasion, et qu’ils nous tiennent sur l’existence des dieux des discours sinon meilleurs, du moins plus vrais que les discours des autres. Peut-être nous laisserons-nous persuader. Essayez, si notre demande est raisonnable, de nous dire ce que nous demandons. ”

(Clinias) Ne te semble-t-il pas, étranger, facile de démontrer véritablement l’existence des dieux ?

(L’Athénien) Comment ?

(Clinias) D’abord la terre, le soleil, les astres et l’univers, le bel ordre des saisons, la répartition des années et des mois, et tous les Grecs et les barbares qui croient qu’il y a des dieux.

(L’Athénien) J’ai peur, mon bienheureux ami, que les méchants ne nous méprisent, car de dire que j’en rougis pour vous, c’est ce que je ne ferai jamais. Vous ne connaissez pas la cause de leur désaccord avec nous ; vous croyez que c’est uniquement parce qu’ils ne peuvent pas dominer les plaisirs et les passions qu’ils se jettent dans l’impiété.

(Clinias) À quelle autre cause faut-il donc l’attribuer ?

(L’Athénien) À une cause que vous ignorez et qui vous reste cachée, à vous qui vivez en dehors de la Grèce.

(Clinias) Que veux-tu dire par là ?

(L’Athénien) Je veux dire une affreuse ignorance qu’ils prennent pour la plus haute sagesse.

(Clinias) Comment dis-tu ?

(L’Athénien) Il y a chez nous des discours, soit en vers, soit en prose, consignés dans des écrits qui n’existent pas chez vous, à cause, je crois, de l’excellence de votre constitution. Les plus anciens disent au sujet des dieux que les premiers êtres furent le ciel et les autres corps, puis peu de temps après leur naissance, ils placent celle des dieux, et racontent les traitements qu’ils se firent les uns aux autres. Que, sous certains rapports, ils soient utiles ou non à ceux qui les entendent, il n’est pas facile, vu leur antiquité, d’y trouver à redire ; mais en ce qui regarde les soins et les égards dus aux parents, je ne saurais pour ma part les approuver ni avouer qu’ils sont utiles, ni même qu’ils soient vrais. Laissons donc ces anciens écrits ; qu’il n’en soit plus question, et qu’on en dise ce qu’il plaira aux dieux. Tenons-nous en aux écrits des modernes et des sages, et montrons par où ils sont une source de mal. Voici l’effet que produisent leurs discours. Lorsque, pour prouver qu’il y a des dieux, nous alléguons ce que tu disais, le Soleil, la Lune, les astres et la Terre comme autant de dieux et d’êtres divins, les disciples de ces sages répondent que tout cela n’est que de la terre et des pierres, incapables de s’intéresser en quelque façon que ce soit aux affaires humaines, et ils donnent à leurs arguments une forme brillante, propre à persuader. […]

Parlons donc ; mais comment garder son sang-froid, quand on se voit réduit à prouver que les dieux existent ? On ne peut s’empêcher de voir de mauvais œil et de haïr ceux qui ont été et sont encore aujourd’hui cause de la discussion où nous allons entrer ; qui n’ont pas foi aux contes que, dès leur plus jeune âge, alors qu’ils étaient encore à la mamelle, ils ont entendu de la bouche de leur nourrice et de leur mère, lesquelles enchantaient leurs oreilles sur un ton tantôt badin, tantôt sérieux ; qui ont entendu leurs parents prier dans les sacrifices et les cérémonies dont ils sont accompagnés, toujours si agréables à voir et à entendre pratiquer lorsqu’on est jeune ; qui ont vu leurs parents appliqués avec le plus grand zèle à offrir des sacrifices pour eux-mêmes et pour leurs enfants, et s’adressant aux dieux dans leurs prières et leurs supplications, dans la persuasion la plus assurée qu’ils existent ; qui savent et voient de leurs yeux que tous les Grecs et tous les barbares se prosternent et adorent les dieux, au lever et au coucher du Soleil et de la Lune, dans toutes les situations malheureuses ou heureuses de leur vie, parce que, loin de penser que les dieux n’existent pas, ils sont convaincus que leur existence est aussi réelle que possible et qu’il n’y a jamais lieu de soupçonner qu’il n’y a pas de dieux. Et maintenant, au mépris de toutes ces leçons, et sans aucune raison valable, comme le pensent tous ceux qui ont tant soit peu de sens, ils nous forcent à leur tenir le langage que nous leur tenons.
Comment pourrait-on reprendre doucement ces gens-là et leur apprendre en même temps qu’il y a des dieux ? Il faut l’essayer pourtant ; car il ne faut pas que, parmi nous, les uns déraisonnent, parce qu’ils sont affamés de plaisirs, et les autres, parce qu’ils sont indignés contre eux. Adressons-nous donc sans colère à ceux dont l’esprit est ainsi gâté, et refrénant notre indignation, parlons-leur avec douceur, comme si nous conversions avec l’un d’eux : “ Mon enfant, tu es jeune ; mais, en s’avançant, le temps changera bien des choses à tes sentiments actuels et t’en donnera de contraires. Attends jusqu’à ce moment pour juger des choses les plus importantes. Ce que tu tiens à présent pour une chose de nulle conséquence est une chose très importante : je veux dire l’opinion juste qu’on se fait des dieux, opinion d’où dépend la bonne ou la mauvaise conduite de la vie. Mais d’abord, je ne crains pas qu’on m’accuse de mentir si je te dis à ce sujet une chose digne de remarque : c’est que tu n’es pas le seul et que tes amis ne sont pas les premiers qui aient eu cette opinion au sujet des dieux, et qu’il y a toujours plus ou moins de personnes atteintes de cette maladie. Je puis t’assurer, pour avoir fréquenté beaucoup d’entre elles, qu’aucune de celles qui dans leur jeunesse ont embrassé cette opinion que les dieux n’existent pas n’a persisté dans ce sentiment jusqu’à la vieillesse, {a} que cependant certaines d’entre elles, mais en petit nombre, ont persévéré dans les deux autres opinions, à savoir que les dieux existent, mais qu’ils ne s’inquiètent pas des affaires humaines ; en outre, qu’ils s’en inquiètent, mais qu’il est facile de les fléchir par des sacrifices et des prières. Pour éclaircir tes doutes autant que possible, tu attendras, si tu m’en crois, en examinant s’il en est ainsi ou autrement, et tu consulteras là-dessus les autres et surtout le législateur. Durant cet intervalle, ne sois point assez téméraire pour offenser les dieux. C’est à celui qui te donne des lois d’essayer maintenant et plus tard de t’enseigner ce qu’il en est des dieux mêmes. ” » {b}


  1. Passage que j’ai mis en italique car il illustre les propos que le Patiniana prêtait ici à Guy Patin (ou à Gabriel Naudé).

  2. Dans cette longue citation, l’Athénien (qui parle pour Platon) condamne assurément, tout en les expliquant, le scepticisme athée et l’impiété qui caractérisaient les « libertins érudits » (v. note [9], lettre 60), dont le Naudæana et le Patiniana se sont complus à distiller les audaces.

16.

« que mon âme meure de la mort des philosophes » : v. note [51], lettre Naudæana 1 pour de propos d’Averroès, son athéisme et sa négation de l’immortalité de l’âme.

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 76).

17.

Banni de Cordoue pour irréligion, Averroès mourut à Marrakech en 1198. La fable (un peu modifiée) qui a couru sur les circonstances de son décès vient, selon Bayle, du livre ii, chapitre xxviii, page 151, De plusieurs hommes de lettres anciens et modernes, lesquels moururent misérablement, des Diverses Leçons d’Antoine du Verdier sieur de Vauprivas, {a} etc., suivant celles de Pierre Messie, contenant plusieurs histoires, discours et faits mémorables, recueillis des auteurs grecs, latins et italiens… : {b}

« Averroès fut rompu par une roue qu’on lui mit sur l’estomac. » {c}


  1. V. notule {a}, note [29] du Borboniana 4 manuscrit.

  2. Lyon, Barthélemy Honorat, 1577, in‑8o de 422 pages.

  3. Avec référence marginale à Volater. li. 21, ce qui correspond aux :

    Commentariorum urbanorum Raphaelis Volater. octo et triginta libri, accuratius quam antehac excusi, præmissis eorundem Indicibus secundum Tomos ut ab autore conscripti fuerunt : quibus accessit novus, res ac voces in Philologia explicatas demonstrans, quo superiores editiones carebant hactenus….

    [Trente-huit livres de Commentaires plaisants de Raphaël Volaterranus, {i} imprimés avec plus de soin qu’auparavant. Ils sont précédés de leurs indices selon les tomes, comme l’auteur les avait établis, auxquels on ajouté un nouveau, qui répertorie les matières et les mots, expliqués par leur philologie, mais qui manquait aux précédentes éditions…]. {ii}

    1. Raffaello Maffei, encyclopédiste toscan natif de Volterra (1450-1522).

    2. Bâle, Froben, 1559, in‑fo de 935 pages ; première édition en 1511.

    Je n’ai trouvé cette assertion ni dans le livre 21 ni ailleurs.


Albert le Grand (v. note [8], lettre 133) a été un des éminents commentateurs d’Aristote au Moyen-Âge, en faisant la critique de ce qu’Averroès avait écrit sur le sujet un siècle avant lui.

18.

V. note [12], lettre 164, pour Jérôme i Bignon, que Guy Patin a dit avoir été intime ami de Hugo Grotius (v. note [2], lettre 53).

Le souhait qu’avait exprimé Grotius de se convertir au judaïsme n’était pas totalement invraisemblable : v. note [20] du Grotiana 2.

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (pages 76‑77).

19.

« On pardonne à l’Antiquité d’avoir mêlé les dieux aux choses humaines, car cela donne plus de lustre à la naissance des villes. »

Cette finesse sceptique de Tite-Live (Ab Urbe Condita [Histoire de Rome], Préface, § 7) faisait ici l’admiration de Guy Patin, par comparaison avec les autres anciens historiens ou moralistes qu’il citait ; mais tout cela n’égalait pas sa vénération pour La Sagesse de Pierre Charron (qui s’était fait prêtre après avoir été avocat, v. note [7], lettre 73) : « Lisez la Sagesse de Charron tous les ans deux fois », écrivait-il à Hugues ii de Salins (fin de sa lettre du 6 mars 1655).

20.

« punition et récompense », Catéchisme du concile de Trente, iii, chapitre ii, § 29 :

Omnis enim lex ad præcepta servanda homines pœna et præmio inducit.

[Car toute loi incite les hommes à respecter ses préceptes, par punition et récompense].

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 77).

21.

Tommaso (Thomas) de Vio fut surnommé Cajetanus parce qu’il était natif de Gaète dans le Latium (1469-Rome 1534). Entré chez les dominicains (frères prêcheurs) en 1484, il abandonna son prénom de Jacopo pour celui de Tommaso. Docteur en théologie, il avait enseigné à Pavie et à Rome, et fit une brillante carrière ecclésiastique : maître général de son Ordre (1508-1518), il fut nommé cardinal en 1517 et doté d’éminentes charges pontificales. The cardinals of the Holy Roman Church ont inséré cette remarque (traduite de l’anglais) dans leur article sur Vio :

« Légat a latere {a} à la diète d’Augsbourg en 1518, {b} à la demande de l’Électeur de Saxe, {c} on lui confia la tâche d’examiner et d’évaluer les enseignements de Martin Luther. L’année précédente, le cardinal avait écrit, sans connaître les thèses de Luther, qu’il avait raison de dire que l’Église n’était pas encore parvenue à une position ferme sur la doctrine de la dispense ; {d} quant à la doctrine de la confession, {e} le cardinal Cajetan semblait aussi la tenir pour un sujet ouvert à controverse. Luther arriva avant lui à la diète d’Augsbourg ; l’entrée du cardinal, dans toute la splendeur de la pompe ecclésiastique, ne servit qu’à en faire, pour Luther, une caricature du curial romain profondément détesté par les Allemands. En outre, la philosophie thomiste représentée par le cardinal {f} avait traditionnellement été en compétition avec la philosophie augustinienne de l’Ordre religieux {g} auquel appartenait Luther. En 1519, le cardinal Cajetan contribua à rédiger la bulle d’excommunication contre Luther. » {h}


  1. Représentant direct du pouvoir pontifical.

  2. Diète réunie par l’empereur Maximilien ier pour désigner son successeur et statuer sur le cas de Luther qui avait refusé d’aller rendre compte de ses actes à Rome.

  3. Frédéric iii le Sage, favorable à Luther.

  4. Autorisation papale de ne pas respecter quelque prescription de l’Église.

  5. V. notule {c}, note [54] du Borboniana 5 manuscrit.

  6. Cajetan a rédigé d’abondants commentaires sur les écrits de saint Thomas d’Aquin (v. note [24], lettre 345), qui ont été ajoutés à plusieurs éditions ultérieures de sa Somme théologique.

  7. Luther était moine de l’Ordre mendiant des augustins.

  8. V. note [22], lettre 288 pour les propos fort médisants de Joseph Scaliger sur Cajetan.

22.

« il l’avait détruit par son venin, et lui, en a ensuite infecté quantité d’autres. »

L’audacieux Tractatus de Immortalitate animæ [Traité sur l’immortalité de l’âme] (1516) de Pomponace, qui lui avait valu l’animosité de l’Inquisition (v. note [67], lettre Naudæana 1), s’était en partie inspiré du commentaire de Cajetan sur le De Anima [De l’Âme] d’Aristote (paru en 1510), comme l’a confirmé Annalisa Cappiello dans son article intitulé Tommaso de Vio Gaetano, Pietro Pomponazzi e la polemica sull’immortalità dell’anima. Status quæstionis e nuove scoperte [Thomas de Vio Cajetan, Pomponace et la polémique sur l’immortalité de l’âme. État de la question et nouvelles preuves] (Noctua, Anno v, n. 1).

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 77).

23.

V. supra note [4] (citation b) pour l’Histoire du concile de Trente de Paolo Sarpi (première édition française en 1621). Il s’agissait probablement ici de la réédition de 1655 (Troyes, Nicolas Oudot, in‑fo).

Dans ses lettres, Guy Patin a plusieurs fois parlé avec dédain de la riposte romaine, rédigée en italien par le cardinal jésuite Francesco Maria Sforza Pallavicino et parue en 1656-1657 sous le titre d’Istoria del concilia di Tento (v. note [26], lettre 477). Dès celle qu’il a écrite à André Falconet le 7 février 1662, Patin a annoncé l’impression à Anvers (1670) de ce livre en latin et expliqué comment Sarpi, pour écrire le sien, avait eu accès aux archives de la Secreta de Venise (v. ses notes [4] et [5]).

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 78).

24.

« en son for intérieur, la primauté de la belle vie et de la bonne chère l’enchantait et réjouissait. »

Roger-bontemps (Furetière) :

« Ce proverbe vient d’un seigneur nommé Roger, de la maison des Bontemps, fort illustre dans le pays du Vivarais, dans laquelle le nom de Roger est toujours affecté et propre à l’aîné depuis plusieurs siècles. Et parce que le chef de cette maison fut un homme fort estimé pour sa valeur, sa belle humeur et sa bonne chère, on tint à gloire en ce temps-là de l’imiter en tout ; et plusieurs se firent par honneur appeler Roger Bontemps, ce qui par corruption a été étendu à tous les fainéants et aux débauchés. »

V. note [9], lettre 17, pour François Rabelais, idole littéraire de Guy Patin, qui le surnommait « M. François », dans un mélange de respect et d’affectueuse complicité.

25.

Dans le manuscrit de Vienne (page 80), les « mauvais mots » sont remplacés par les « mots de gueule », et « les autres lieux qu’il fréquentait », par « le bordel ».

Dans son Rabelais (Paris, Biographies nrf Gallimard, 2011, chapitre iii), Mireille Huchon établit que, dans les dix années précédant son inscription à l’Université de médecine de Montpellier (1530), Rabelais a été moine dans deux abbayes : chez les franciscains (en Touraine), puis chez les bénédictins de Maillezais (v. note [23] du Borboniana 2 manuscrit), près de Fontenay-le-Comte ; v. note [53] du Borboniana 10 manuscrit pour de plus amples détails sur la vie cléricale de Rabelais.

Poggio Bracciolini (Terranova, Toscane 1380-Florence 1459), dit en français le Pogge Florentin, est un humaniste qui a assuré de nombreuses charges au service de la papauté et de la République de Florence. Il a mis au jour et édité les manuscrits de plusieurs anciens auteurs latins (dont le plus remarquable a été le De Natura rerum [La Nature des choses] de Lucrèce, v. note [131], lettre 166) et publié des œuves morales plus légères. Elles ont été réunies au xvie s. dans le recueil intitulé Poggii Florentini Oratoris clarissimi ac sedis apo. secretarii Operum [L’Œuvre du Pogge Florentin, très célèbre orateur et secrétaire apostolique] (Strasbourg, Johannes Schot, 1513, in‑fo de 368 pages), dont le sommaire de couverture illustre la diversité, et fait du Pogge un précurseur italien d’Érasme.

V. note [19], lettre 488, pour Merlin Coccaye. Les Colloques familiers, les Adages et l’Éloge de la folie sont parmi les œuvres d’Érasme (v. note [3], lettre 44) qui ont pu inspirer Rabelais.

26.

« il dépend entièrement de sa bonne fortune. »

V. note [10], lettre 223, pour l’abbé Mondin, mort (de maladie) en 1650, homme de confiance de Mazarin, à qui il servait de « mercadent », vieil italianisme tiré de mercadente [marchand], c’est-à-dire d’intermédiaire dans l’achat et la vente d’objets de valeur (bijoux, œuvres d’art), dont le cardinal était fort friand.

Cet article du Patiniana figure dans le manuscrit de Vienne (page 81).

27.

« en cet an 1649. »

Cette indication est tout à fait erronée (et ne figure pas dans l’article homologue du manuscrit de Vienne, page 81) : Bernardino Telesio (Benardinus Telesius), natif de Cosence, Cosenza en Calabre, « dans le royaume de Naples », en 1509, y était mort en 1588. Philosophe et médecin, il enseigna l’aristotélisme à Rome et fut l’un des premiers à en ébranler les principes, avec ses :

De rerum Natura iuxta popria principia libri ix.

[Dix livres sur la Nature des choses selon leurs propres principes]. {a}

De même, en médecine, Telesio voulut secouer le joug de Galien. Ses conceptions naturalistes ont été réunies dans le :

Varii de natularibus rebus Libelli, ab Antonio Persio editi. Quorum alij nunquam antea excusi, alij meliores facti prodeunt. Sunt autem hi : De Cometis et Lacteo Circulo ; De His, quæ in Aere fiunt ; De Iride ; De Mari ; Quod Animal universum ; De Usu Respirationis ; De Coloribus ; De Saporibus ; De Somno. Unicuique libello appositus est capitum Index.

[Divers livrets sur les choses naturelles, édités par Antonio Persio, dont certains n’ont encore jamais été imprimés et les autres ont été améliorés. Ils traitent : Des Comètes et de la Voie lactée ; Des phénomènes qui surviennent dans l’Air ; {b} De l’Arc-en-ciel ; De la Mer ; Que l’Animal tout entier ; {c} De l’Utilité de la respiration ; Des Couleurs ; des Saveurs ; Du Sommeil. Un index des chapitres est ajouté à chacun des livrets]


  1. Naples, Horatius Salvianus, 1586, in‑fo de 400 pages ; première édition en 1545.

  2. De Pluvia, Grandine, Nive, Ventis, Tonitru, Fulgure, Terræmotibus [Pluie, Grêle, Neige, Vents, Tonnerre, Foudre, Tremblements de terre].

  3. ab unica animæ substantia gubernatur contra Galenum [est gouverné par la seule substance de son âme, contre Galien].

  4. Venise, Felix Valgrisius, 1590, in‑4o, pagination séparée de chacune des neuf parties.

28.

« Riolan est péripatéticien car il ne croit que ce qu’il voit. »

La préface Lectori [au lecteur] des Ioannis Riolani Opuscula philosophica [Opuscules philosophiques de Jean i Riolan] qui ont été réunis dans ses Opera omnia [Œuvres complètes] {a} ne contient pas ce propos, mais donne un intéressant aperçu sur la mentalité du clan Piètre-Riolan (page 201) :

Si requiras hic lectiora verba et e medio foro studiosius quæsita, memineris imprimis orationem rebus accommodandam, nec eundem esse dicendi atque docendi modum, quia res de quibus Philosophi disserunt dicere ornate velle, puerile est : plane et perspicue expedire posse, docti et intelligentis viri : non enim minus peccat qui desiderat in Philosopho loquutionem oratoriam, quam qui in oratore Philosophorum ακριβειαν, quia Philosophus est interpres veritatis, magister rerum non verborum : Candor autem veritatis postulat ut oratione tractetur simplici, sine fuco, sine ullo verborum apparatu : ne videatur doctori plus inesse loquentiæ quam sapientiæ. Quamobrem ut Asclepiodorus olim pingebat eleganter sine coloribus : ita nuda veritas exponi debet, nullo fuco exornata. Videndum tamen dum Academica verborum maiestas negligitur, aut affectata Stoïcorum loquutio devitatur, ne in Epicuri barbaram et aridam nimis orationem incidamus, qualem a trecentis annis affectarunt Latini Aristotelis interpretes : Sed medium dicendi ut docendi genus cum Peripateticis sequendum est : proprijs et significantibus verbis plane et perspicue veritas docenda. Vale e Lyceo Calvico : Anno Domini 1570.

[Si tu as ici besoin de mots fort châtiés, et qu’on a très soigneusement cherchés au beau milieu du prétoire, souviens-toi avant tout qu’un discours doit être assorti à son sujet, et qu’on n’enseigne pas comme on parle, car il est puéril de vouloir dire avec ornement les choses dont discutent les philosophes. Le propre d’un homme docte et intelligent est de pouvoir s’exprimer clairement et simplement : celui qui recherche l’éloquence oratoire en philosophie ne pèche pas moins que celui qui recherche la méticulosité dans le discours des philosophes, parce que le philosophe est le maître des choses et non des mots. La clarté de la vérité exige un discours simple, sans fard, sans nulle afféterie : que la qualité du maître ne paraisse donc pas plutôt fondée sur sa jactance que sur sa sagesse. De même qu’Asclepiodorus {b} peignait jadis splendidement sans se servir de couleurs, la vérité doit être exposée dans toute sa nudité, sans l’orner d’artifices. Tout en méprisant la majesté académique {c} des mots, ou en évitant le verbiage affecté des stoïques, il faut néanmoins veiller à ne pas tomber dans le discours barbare et par trop aride d’Épicure, celui que les commentateurs latins d’Aristote ont employé depuis trois cents ans ; mais, avec les péripatéticiens, il faut suivre une manière intermédiaire de dire et de professer. La vérité s’enseigne clairement et simplement à l’aide de mots choisis et chargés de sens. Salut. Du Collège de Calvi, {d} l’an 1570].


  1. Paris, 1610, , v. note [9], lettre 22.

  2. Peintre grec de l’Antiquité, dont Pline a vanté le talent, mais sans dire qu’il n’utilisait pas la couleur dans ses tableaux.

  3. Platonicienne.

  4. V. note [44] du Borboniana 3 manuscrit.

Cet article du Patiniana imprimé (qui ne figure pas dans le manuscrit de Vienne) est à tenir pour précieux s’il traduit la sincère conviction philosophique de Guy Patin : elle est plausible car elles est un écho fidèle des options qu’il a souvent défendues dans ses lettres et autres écrits, où il a affiché un grand mépris pour les phénomènes occultes et surnaturels (hormis ceux qui ressortissent au pur dogme catholique).

29.

« La religion ne tolère pas les parricides, l’Église ne connaît par le sang. »

V. notes [52], lettre 176, et [4], lettre 224, pour la Defensio regia pro Carolo i de Claude i Saumaise (Leyde, 1649), traduite en Apologie royale pour Charles ier (Paris, 1650), dont cet extrait montre la virulence des attaques contre les members of Parliament qui avaient condamné leur roi à être décapité (pages 135‑136) :

« Qui se peut légitimement appeler serviteur de Dieu, sinon celui qui fait sa volonté ? Et quelle est la volonté de Dieu, sinon que nous soyons sujets au roi ? Ceux qui, sous prétexte de liberté, ne leur veulent être sujets, se rendent par cette même action désobéissants à Dieu ; et comme rebelles à la volonté de Dieu, ni ils ne sont serviteurs du vrai Dieu, ni ils ne sont aussi vraiment libres, pource qu’ils empruntent le manteau d’une fausse liberté pour la faire servir de couverture à leur mauvaise vie. N’est-ce pas proprement ce que font aujourd’hui ces monstres dénaturés, qui font gémir la malheureuse Angleterre sous le poids d’une insupportable servitude ? Peut-on dire d’eux autre chose, sinon qu’ils ont couvert, sous le masque d’une liberté effrénée, de s’abandonner à des crimes monstrueux, et à exécuter des parricides auparavant inouïs et inconnus ? Quant à leurs personnes, en fut-il jamais de moins libres qu’eux, que nous voyons esclaves de tous les vices, et sous l’empire absolu de toutes les fureurs des plus farouches passions ? Et quant au peuple, eut-il jamais moins de liberté que depuis qu’il s’est laissé duper à cette fausse image qu’ils lui en ont présentée, et qui est un joug plus pesant et plus dur que tous ceux qu’il avait soufferts sous le plus impérieux de ses rois ? »

30.

« Le nez est l’ornement du visage » : v. note [1], lettre 392.

Ce propos visait Jacques iii Stuart (1451 ou 1452-1488), roi d’Écosse de 1460 à sa mort. Il périt au cours de la bataille de Sauchiebum qu’il perdit contre ses seigneurs rebelles. Dans son Rerum Scoticarum historia [Histoire des affaires écossaises] (Amsterdam, 1643, v. note [7], lettre 470, première édition en 1582), George Buchanan a prétendu qu’il avait été assassiné lors des combats (livre douzième, page 439) :

Initio cum satis acriter pugnaretur, procerumque prima acies loco cederet, Annandiani et eorum vicini, qui ad Occidentalem Scotiæ limitem accolunt, acriter gradum promoverunt : hi, cum longioribus uterentur hastis, quam qui ex adverso stabant, statim Regis mediam aciem fuderunt : ipse, equi casu debilitatus, in molas aquarias, non longe a loco ubi pugnatum erat, se recepit, eo (ut videbatur) consilio, ut naves, quæ non longe aberant, conscenderet. Ibi, cum paucis deprehensus, occiditur. Tres eum fugientem proxime secuti, Patricius Graius, familiæ suæ princeps, Sterlinus Kerius, et Sacrificulus, cognomento Borthicus : incertum, a quo eorum percussus. Eius cædis fama, licet incerta, per utrunque exercitum divulgata, fecit, ut, victoribus minus acriter instantibus, fugentium multo pauciores cæderentur : cum Rege enim, non cum civibus, proceres, bellum susceptum videri, volebant.

[Au début, on se battit assez farouchement. Tandis que les premiers rangs de l’armée des seigneurs commençaient à perdre du terrain, les habitants des environs d’Anandale, en Écosse occidentale, s’engagèrent avec acharnement. Étant munis de lances plus longues que celles de leurs adversaires, ils dispersèrent bientôt la ligne centrale de l’armée royale. Rendu vulnérable par la chute de son cheval, le roi se réfugia près de Milltown, {a} non loin du champ de bataille. Son intention était (semble-t-il) de regagner ses vaisseaux, ancrés dans les parages. C’est alors qu’il fut pris et tué par trois de ceux qui le poursuivaient de près dans sa fuite : {b} Patrick Gray, le chef de sa lignée, Sterline Ker et un prêtre dénommé Borthwick, sans savoir lequel des trois a donné le coup fatal au roi. La rumeur de sa mort, bien qu’incertaine, se répandit dans les deux armées. Les vaincus opposèrent moins de résistance à leurs adversaires et fort peu de fuyards furent massacrés, car c’était contre le roi, et non contre leurs concitoyens, que les seigneurs avaient engagé cette guerre]. {c}


  1. Les noms propres sont ceux de la traduction anglaise (Buchanan’s History of Scotland, Édimbourg, Hamilton, Balfour et Neill, 1752, in‑4o, volume ii, page 93).

    La bataille se déroulait près de Stirling. L’Anandale est la région qui environne cette ville à l’ouest. Milltown of Rothiemay est à 200 kilomètres au nord-est de Stirling, proche de la côte méridionale du Moray Firth.

  2. C’est le sens de l’expression « à la chasse » qui est dans le Patiniana : le gibier des rebelles était leur roi ; « à la chasse par » dans le sens de « pourchassé par ».

  3. Les portraits de Jacques iii ne lui montrent pas un nez camus (retroussé), et le texte de Buchanan n’évoque pas cette particularité de son visage. On y lit cette curieuse explication de la révolte des seigneurs contre leur roi, à propos d’un médecin astrologue flamand, dénommé Andrews, que les ambassadeurs qu’il avait envoyés à Charles le Téméraire, duc de Bourgogne (v. note [5], lettre 869), lui présentèrent en 1476 (ibid. pages 425‑426) :

    Ita illi, rebus, ob quas profecti erant, infectis, reversi, cum apud Regem Andreæ, de rebus futuris, præscientiam mire laudassent, animum eius, in eas artes proclivem ; impulerunt, ut magnis pollicitationibus hominem ad se arcesseret, ac, non ita diu postea advenientem, benevole exciperet, et opulento Sacerdotio aliisque muneribus donaret. Ab hoc autem cum Rex accepisset (uti fama est) sibi a suis exitium imminere, eaque dictio cum maleficarum mulierum (quibus immodice deditus erat) responsis consentiret, quæ prædixerant, fore, ut leo a catulis suis extingueretur, e principe ab initio tyrannum degeneravit : suspitionibus enim animo semel occupato, sanguine proximos, et fere optimum quenque e Nobilitate pro inimico habebat : Proceres autem cum, ob hanc ipsam cum hoc malefico genere hominum consuetudinem, Regi erant infensi, tum longe magis, ob aulicos quosdam, infimæ sortis homines, quibus, Nobilitate contempta, solis consultoribus utebatur.

    [Quand il revinrent, sans avoir accompli la mission qu’on leur avait confiée, ils vantèrent au roi, qui avait de l’inclination pour les arts divinatoires, l’intelligence d’Andrea et son talent à prédire l’avenir. Avec grandes promesses, ils poussèrent le roi à le recevoir, comme il fit peu après avec bienveillance, lui faisant même don d’une opulente cure et d’autres richesses. Andrea (disait-on) avait annoncé au roi qu’il était sous la menace imminente d’être assassiné par ses propres sujets, ce qui concordait avec les oracles de certaines devineresses (en qui il avait exagérément confiance), car elles lui avaient prédit que le lion serait occis par ses petits chiens. Dès lors, du bon prince qu’il avait été, il se transforma en tyran : l’esprit constamment hanté par le soupçon, il tint pour ennemis ses plus proches parents et presque toute l’excellente aristocratie qui l’entourait ; les seigneurs devinrent hostiles à ce souverain pour sa propension à fréquenter familièrement de maléfiques personnages, et d’en faire ses uniques conseillers, au mépris de la noblesse].

    Ce récit fait écho au péripatétisme de Guy Patin, fermement déclaré dans le précédent article du Patiniana (v. supra note [28]).


V. notes [32], lettre 554, et [39] du Naudæana 3, pour le funeste destin des parents de Jacques ier, roi d’Angleterre, dont Charles  ier était le fils et successeur : décapitée en 1587 sur ordre d’Élisabeth ire s., sa putative rivale pour la couronne d’Angleterre, Marie Stuart avait elle-même, en 1567, fait assassiner son mari, Lord Darnley, roi consort d’Écosse, par son amant, lord Bothwell, qu’elle épousa ensuite.

31.

« les Anglais sont, à mon sens, des loups parmi les hommes, et ils sont à mettre au rang des bêtes sauvages. »

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne. Dans ses lettres, Guy Patin s’est ainsi plusieurs fois récrié contre les Anglais : pour leur langue qu’il ne comprenait pas, pour leur religion, pour leurs guerres civiles couronnées par un régicide ; de l’autre côté de la Manche, ils représentaient, au début des années 1650, le pire de ce que la Fronde et ses princes pouvaient faire redouter à un « bon Français ».

32.

« Parfois aussi, il a déliré et s’est montré avoir moins de sagesse qu’un enfant. »

Sur les deux ouvrages de Jérôme Cardan que cite cet article (qui ne figure pas dans le manuscrit de Vienne), v. notes :

33.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne. V. note [47], lettre 229, pour Claude Favre, seigneur de Vaugelas, mort le 26 février 1650.

34.

« “ Juliana Morella, native de Barcelone, jeune fille qui était en sa 12e année d’âge, l’an 1606, connaissant à la fois le latin, le grec et l’hébreu, a proposé et défendu des thèses, tant de logique que de morale, dans la maison de son père, à Lyon. Nous les avons vues, dédiées à Marguerite d’Autriche, reine d’Espagne ” (tiré de la Bibliotheca d’Andreas Schott, page 343). »

35.

« Il y a bien des choses à lire sur lui dans les Annales minimorum. »

36.

Les anonymes Bons avis sur plusieurs mauvais avis {a} ont été publiés en 1650, dans le feu croisé des mazarinades. {b} Ils sont attribués à Mathieu de Mourgues, abbé de Saint-Germain, {c} fidèle serviteur des intérêts du roi et de son gouvernement, pour défendre la décision d’emprisonner les princes (Condé, Conti et Longueville) en janvier 1650. {d} Le début (pages 3‑4) en résume éloquemment l’ensemble et le style :

« Il est expédient {e} de faire connaître à ceux qui écrivent contre les intentions du roi que, s’il échappent à la justice de Sa Majesté, ils n’éviteront pas la censure de ses fidèles serviteurs. Les mieux instruits disent que la vanité a persuadé à ces feux follets qu’ils passeront pour des étoiles en faisant briller les étincelles de leurs esprits, encore qu’elles soient des allumettes de sédition. Les sages avouent que ces gens-là rangent mieux leurs paroles qu’ils ne règlent leurs pensées, lorsqu’ils s’imaginent que tout ce qui agréera aux curieux sera bien reçu par les sérieux. Ce qui est plus fâcheux est que les auteurs de ces ouvrages cherchent plutôt la réputation de polis écrivains que de bons citoyens : ils blâment avec hardiesse le gouvernement de l’État, qui a des secrets semblables aux mystères divins, auxquels nous devons la créance et la soumission, sans entreprendre de les pénétrer avec présomption pour les contrerôler {f} avec arrogance. Nous pouvons dire aussi à ces Messieurs que leurs plumes paraissent légères lorsqu’elles volent en fort peu de temps d’une extrémité à l’autre, et ne s’arrêtent point dans le milieu, où est la vertu. Il y a quinze mois qu’elles employaient leur encre pour noircir les actions et les desseins de Monsieur le Prince ; elles s’exercent maintenant non seulement à les blanchir, mais à les farder. Ainsi, celui que ces beaux discours on appelé souvent le mauvais génie de la France, lorsqu’il était à Saint-Germain, {g} est devenu dans le Bois de Vincennes l’ange tutélaire de ce grand royaume. {h} Puissante prison qui as pu faire ce changement ! Infortunée liberté qui arrêtais un grand honneur pour ce prince, et un noble avantage pour nous ! »


  1. Sans lieu, ni nom ni date, petit in‑4o de 28 pages.

  2. V. note [22], lettre 166.

  3. V. note [7], lettre 20.

  4. V. note [2], lettre 215.

  5. Urgent.

  6. Censurer.

  7. Pendant le siège de Paris (janvier-mars 1649).

  8. Les princes étaient emprisonnés dans le donjon du château de Vincennes (v. note [4], lettre 215).

La Réponse au libelle intitulé Bons avis, sur plusieurs mauvais avis, {a} attribuée à la moins bonne plume de Jean Le Laboureur, {b} commence ainsi (pages 3‑6) :

« Le cardinal Mazarin, après avoir commis la plus noire perfidie dont l’âme du monde la plus ingrate soit capable ; après avoir, par une injustice sans exemple, contre toutes les lois du royaume, fait emprisonner Monsieur le Prince, son bienfaiteur qui, l’année passée, par les ordres de la reine et les conseils de Monsieur le duc d’Orléans, employa sa valeur pour le sauver des mains de la justice ; {c} cet ingrat, dis-je, ne croirait pas avoir pleinement satisfait à sa lâcheté s’il ne déchirait la réputation et s’il ne tâchait d’obscurcir la gloire de Monsieur le Prince qui, par ses belles actions, {d} n’a pas donné moins d’éclat au sang royal qu’il en a reçu de lui par sa naissance. C’est peu au cardinal Mazarin d’avoir sacrifié à sa vengeance une victime ornée de tant de couronnes ; c’est peu d’avoir insolemment triomphé de la liberté du Conservateur de l’État pour achever le crime qu’il a si heureusement commencé ; il faut employer toutes sortes d’artifices afin de rendre les peuples irréconciliables avec Monsieur le Prince, et les faire complices de l’indignité la plus barbare, des desseins les plus énormes, et de la plus injuste violence qui leur puisse jamais être reprochée par la postérité.

[…] Voilà quelles sont les pensées, voilà quelles sont les actions du cardinal Mazarin ; voilà quelle est la tyrannie dont la France est menacée si elle ne se réunit promptement contre celui qui prépare des chaînes pour sa liberté ; et voilà en un mot quel est le dessein de son fidèle conseiller, l’auteur du libelle intitulé Bons avis sur plusieurs mauvais avis.

Ce malicieux écrivain, sachant bien que les hommes n’ont guère moins de haine pour ceux qu’ils ont injustement offensés que pour ceux dont ils ont reçu des injures, par une calomnie aussi impudente qu’artificieuse, rejette sur Monsieur le Prince toutes les méchancetés du Mazarin ; il exagère toutes les incommodités que la guerre de Paris {e} a fait souffrir aux peuples et, en même temps, sous leur nom, il se laisse emporter à une insolente licence de censurer toutes les actions de la plus glorieuse vie du monde, et de diminuer avec mépris l’éclat des plus beaux exploits dont l’histoire ait jamais parlé. »


  1. Sans lieu ni nom, 1650, petit in‑fo de 32 pages.

  2. V. note [7], lettre latine 218.

  3. Le 8 janvier 1649, le Parlement rebelle avait condamné Mazarin à la déchéance et à l’exil, pour crime de lèse-majesté (v. notes [26] et [28], lettre 164).

  4. Éclatantes victoires emportées contre les Espagnols par Louis ii de Bourbon-Condé (alors duc d’Enghien) à Rocroi (19 mai 1643, v. note [83], lettre 83), puis à Lens (20 août 1648, v. note [1], lettre 193).

  5. Le siège de Paris et la Fronde dite parlementaire.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

37.

Défrayer : « payer la dépense faite par quelqu’un, au lieu de lui » (Furetière), qui reste le sens propre de ce verbe aujourd’hui.

Ayant quitté Leyde pour la Suède au mois d’août 1650, Claude i de Saumaise en était reparti, dépité, en octobre 1651 (v. note [27], lettre 291). V. note [5], lettre 95, pour son épouse, née Anne Mercier.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

38.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne. V. note [1], lettre 116, pour Stephanus Rodericus (Estevan Roderigo de Castro), mort en 1637.

39.

Marcellus Palingenius, Zodiacus vitæ… [Le Zodiaque de la vie…] (Amsterdam, 1628, v. note [24], lettre 925), au signe du Verseau (Aquarius, page 282, lignes 10‑17), avec mise en exergue du vers cité par le Patiniana :

Quare non tutum est facile omnia credere cuivis,
ille licet magni sit nominis, innumerasque
scribendo implerit nigra loligine chartas.
Magni sæpe viri mendacia magna loquuntur,
et nemo est adeo prudens, quin sæpius erret.
Est igitur ratio in primis quærenda fidesque
maior in ambiguis rationi est semper habenda,
quam dictis hominum : namque hæc sunt falsa frequenter
.

[Voilà pourquoi il n’est pas prudent de croire tout ce que dit quelqu’un, même s’il porte un nom illustre et si son encre a noirci d’innombrables feuilles. Les grands hommes disent souvent de grands mensonges, et nul n’est assez sage pour ne se pas tromper souvent. La raison et la confiance sont donc avant tout à chercher dans l’incertain plutôt que dans les paroles des hommes, car elles sont souvent fausses].

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

40.

« Ce sont fables et sornettes bonnes à duper les princes ».

Seule cette première phrase de l’article se retrouve à peu près dans le manuscrit de Vienne (page 10). Le Patiniana imprimé y a déjà puisé ce propos contre les astrologues : v. note [22] du Patiniana I‑1 ; le latin en diffère légèrement ; en outre, la suite n’y est pas et fait allusion à des événements survenus en 1650 (v. infra note [41]).

41.

V. supra notule {h}, note [36], pour l’emprisonnement du prince de Condé avec son frère, le prince de Conti, et leur beau-frère, le duc de Longueville, le 18 janvier 1650.

42.

Les « versions » sont ici les traductions du texte original (hébreu ou grec) en latin (infiniment variables en matière biblique).

La seule Bible d’Angleterre dont Guy Patin a parlé dans sa correspondance est la Biblia Sacra polyglotta [Sainte Bible polyglotte] de Brian Walton. {a} Ce qu’il faut entendre par la « Bible de Thècle » est expliqué dans le premier volume de cette Bible anglaise, § 32, page 65 vo, du Prolégomène ix, De Versionibus Græcis, præcipue lxxii Seniorum [Des Versions grecques, principalement celle des 72 Anciens] : {b}

Descriptus est hic liber Alexandriæ per Theclam, fœminam nobilem, cujus nomen (jam obliteratum) ad finem libri olim inscriptum fuisse, testatur idem Cyrillus ; cujus verba ipsius manu initio libri exarata hæc sunt. Liber iste Scripturæ sacræ Veteris et Novi testamenti, prout ex traditione habemus, est scriptus manu Theclæ, nobilis fœminæ Ægyptiæ, ante mille et trecentos annos circiter, paulo post Concilium Nicanum. Nomen Theclæ in fine libri erat exaratum, sed extincto Christianismo in Ægypto a Mahumetanis, et libri una Christianorum in similem sunt redacti conditionem : extinctum ergo et Theclæ nomen et laceratum, sed memoria, et traditio recens observat. Hæc Cyrillus. Quænam hæc Thecla fuerit, nolo anxie inquirere.

[Le même Cyrillus {c} atteste que ce codex d’Alexandrie a été transcrit par Thècle, dame noble, dont le nom (aujourd’hui effacé) a jadis été écrit à la fin de l’ouvrage. Au début, il a ajouté ces mots de sa propre main : Selon la tradition, ce livre de la Sainte Écriture, Ancien et Nouveau Testaments, est écrit de la main de Thècle, noble dame d’Égypte, il y a environ mille trois cents ans, peu après le concile de Nicée. {d} Le nom de Thècle, à la fin du livre, a été effacé, mais cela a été fait quand les mahométans ont aboli le christianisme en Égypte, et les livres des chrétiens ont tous été détruits dans les mêmes conditions. Le nom de Thècle a ainsi été à la fois effacé et déchiré, mais le souvenir et la tradition le conservent de nos jours. Voilà les mots de Cyrillus. Qui donc fut cette Thècle ? Je ne veux pas me donner plus de peine à le savoir]. {e}


  1. Londres, 1657, 6 volumes in‑fo, v. note [33], lettre 525.

  2. Plus ordinairement appelée Septante, v. notule {b}, note [7], lettre 183.

  3. Cyrillus Leucaris (Cyrille Loukaris, 1572-1638) a été patriarche d’Alexandrie (1602-1621) puis de Constantinople (1620-1638). Dans son introduction, Walton explique que lorsque le patriarcat de Leucaris fut transféré d’Alexandrie à Constantinople, il emporta le Codex Alexandrinus [Manuscrit d’Alexandrie] (écrit en grand oncial grec), dont il est ici question. En 1627, étant donné ses inclinations protestantes, Leucaris l’envoya au roi Charles ier d’Angleterre, ut magnum Orientis Thesaurum [comme un grand trésor de l’Orient].

  4. Le premier concile de Nicée s’est déroulé dans l’actuelle ville d’Iznik en Turquie en l’an 325. Cette Thècle égyptienne est donc bien distincte de sainte Thècle, originaire d’Iconium (aujourd’hui Konya en Turquie) au ier s. de l’ère chrétienne, qui figure dans le récit apocryphe intitulé les Actes de Paul et Thècle, dont Les actes de Paul et ses lettres apocryphes, édités par Léon Vouaux (Paris, Letouzé et Ané, 1913, in‑8o) contiennent le texte bilingue grec et français (pages 147‑238).

  5. La « Bible de Thècle » n’a jamais été imprimée en tant que telle, mais la Biblia Sacra polyglotta de Walton a été la première en Europe à utiliser le Codex Alexandrinus pour établir son texte, ce qui explique et légitime la référence du Patiniana à Thècle. Le Codex est toujours propriété de la Couronne britannique, aujourd’hui conservé par la British Library.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

43.

V. notes [7], lettre 37, pour le R.P. Jacques Sirmond, mort le 7 octobre 1651, l’un des rares loyolites dont Guy Patin estimait les écrits, et [2], lettre 381 pour le Collège parisien jésuite de Clermont.

V. infra note [57] pour un vol impie dont le P. Sirmond a été accusé en 1650.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

44.

V. notes :

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

45.

V. notes [63] du Patiniana I‑2 pour l’avortement criminel de Mlle de Guerchy et pour le poème de L’Avorton de Jean Dehénaut, et [8], lettre 715, pour le poète libertin Claude-Emmanuel Luillier dit Chapelle.

En 1662, Molière (v. note [1], lettre 865) avait épousé Armande Béjart (morte en 1700), fille ou jeune sœur de Madeleine Béjart (Paris 1618-ibid. 1672), actrice et cofondatrice de l’« Illustre Théâtre », la première troupe de Molière en 1643. Ils eurent une relation amoureuse à éclipses et les plus méchants racontaient que le comédien avait épousé sa propre fille. Les historiens s’échinent encore démêler le vrai du faux dans sa vie affective.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

46.

« sans jamais l’horrifier, mais seulement pour l’empêcher » (v. infra note [47] pour le commentaire de cette phrase latine).

V. note [2], lettre 50, pour François Pithou. Ses bons mots, recueillis dans le Pithœana (Amsterdam, 1740, v. note [2], lettre 50), ont inspiré en grande partie, voire en totalité, cet article du Patiniana (qui ne figure pas dans le manuscrit de Vienne) et les quatre suivants.

V. note [1] du Patiniana I‑1 pour le démon familier de Jean Bodin. Gabriel Naudé a longuement disserté sur celui de Socrate (v. note [4], lettre 500) dans son Apologie pour tous les grands hommes qui ont été accusés de magie (Paris, 1625, v. note [5], lettre 608), pages 226‑229 de la réédition parue à Paris en 1669 :

« Pour moi, je crois que l’on pourrait dire assez véritablement que ce démon familier de Socrate, qui lui était in rebus incertis prospectator, dubiis præmonitor, periculosis viator, {a} n’était autre que la bonne règle de sa vie, la sage conduite de ses actions, l’expérience qu’il avait des choses et le résultat de toutes ses vertus, qui formèrent en lui cette prudence, laquelle peut être à bon droit le lustre et l’assaisonnement de toutes les actions, l’équerre et la règle de toutes les affaires, l’œil qui tout voit, tout conduit et ordonne et, pour dire en un mot, l’art de la vie, comme la médecine est l’art de la santé. De sorte qu’il y a bien plus d’apparence de croire que l’âme de ce philosophe, autant épurée de ses passions plus violentes qu’enrichie de toutes sortes de vertus, était le vrai démon de sa conduite ; que non pas de s’imaginer qu’il se soit embarrassé parmi les illusions et fantômes, leur ait ajouté quelque foi, ou suivi leur conseil ; étant une chose du tout absurde, et laquelle Plutarque même semble nous vouloir déraciner de la fantaisie, quand il dit, au livre qu’il a composé sur ce démon, {b} que Socrate ne méprisait point les choses célestes comme les Athéniens lui voulurent persuader en sa condamnation, mais qu’il est bien vrai que beaucoup d’apparitions, de fables et choses superstitieuses s’étant glissées dans la philosophie de Pythagore {c} et de ses disciples, qui la rendaient totalement ridicule et contemptible, il s’efforça de la manier avec prudence, de la nettoyer de tous ces contes et de n’en croire que ce qu’il jugeait raisonnable. À quoi, si l’on ajoute que toutes ses actions ont été bonnes et qu’il n’avait d’autre but que d’acheminer son prochain par les sentiers de la vertu, je crois qu’il n’y aura nulle apparence de conclure que ce génie ait été un mauvais démon ; ce qu’il faudrait néanmoins croire puisqu’il ne peut avoir été un bon ange, vu que, ou il l’avait eu volontairement ou par permission divine, ce qui est un secret qui n’a point encore été révélé jusqu’ici, ou par la force de ses conjurations, lesquelles ne pouvaient être que vaines en ce temps-là, auquel les anges commandaient plutôt aux hommes et ne se maniaient pas avec tant de facilité que depuis la passion de Jésus-Christ, qui nous a tirés de la servitude du péché pour nous rendre compagnons des anges ; témoin ce qu’ils ne voulurent être adorés par saint Jean l’Évangéliste, comme ils l’avaient autrefois été par Abraham. » {d}


  1. « conseiller dans les affaires incertaines, protecteur dans le doute, guide dans le danger ».

  2. Le Démon de Socrate est un chapitre des Œuvres morales de Plutarque.

  3. V. note [27], lettre 405, pour Pythagore, qui professait un siècle avant Socrate.

  4. Dans la croyance chrétienne, les anges étaient les intercesseurs des hommes auprès de Dieu. Après sa venue sur terre (et donc après Socrate), le Christ les a remplacés dans cette fonction, comme le proclame triomphalement le chapitre 8‑11 de l’Apocalypse de Jean : « L’empire du monde a passé à notre Seigneur, à son Christ, et il régnera aux siècles des siècles » (11:15).

    Réconcilier la pensée des philosophes antiques avec les Saintes Écritures était une vive préoccupation des penseurs chrétiens. Ils s’en soucient moins maintenant que la plupart ne le sont plus.

    V. note [44] du Faux Patiniana II‑6 pour un autre extrait de cette source.


47.

Pithœana (pages 500‑501) :

« Bodin était sorcier, comme m’a raconté M. le président Fauchet, {a} qu’un jour ils parlaient d’aller ensemble, un escabeau {b} se remua, et Bodin dit : “ C’est mon bon ange qui dit qu’il n’y fait pas bon pour moi. ”

Ce qui suit < au sujet > de Bodin est tiré d’une feuille volante attachée à la fin du manuscrit, et qui est écrite de la main de M. Antoine Allen, aïeul maternel de M. Desmarets. {c}

“ Monsieur de Thou parle du dit sieur Bodin […] ; {d} mais outre ce que ledit Sieur président de Thou en rapporte, j’ai appris de feu Monsieur François Pithou, sieur de Bierne, {e} et le bruit en était assez commun, qu’il inclinait au judaïsme ; mais bien plus, qu’il avait un démon ou esprit familier, semblable à celui de Socrate, dont Platon fait mention, et Apulée, de Deo Socratis, {f} qui le dissuadait de faire ce dont il le consultait, s’il ne lui était expédient, mais jamais ne lui donnait conseil d’entreprendre, nunquam ad hortandum, sed ad prohibendum. {g} De fait que, parlant à ses amis de ses affaires et lui conseillant d’entreprendre quelque chose, à l’instant ils entendaient quelqu’un des meubles de sa chambre, comme un escabeau ou autre semblable, faire bruit en branlant, et que lors il disait : ‘ Mon génie ne me le conseille pas. ’ Ce que j’ai voulu remarquer particulièrement pour moi, afin de soulager ma mémoire, non pour rien ôter à l’honneur d’un si brave homme, en l’âme duquel je ne puis me persuader tant de malice avoir pu demeurer avec tant de science. ” »


  1. Claude Fauchet (Paris 1530-ibid. 1602), premier président de la Cour des Monnaies et historiographe du roi sous Henri iv, est sutout connu pour ses ouvrages historiques, réunis dans ses Œuvres (Paris, Jean de Heucqueville, 1610, in‑4o) ; v. notule {a}, note [35], lettre 1019, pour une citation de ses Origines des chevaliers, armoiries et hérauts (Paris, 1600).

  2. Tabouret en bois, non rembourré.

  3. V. note [14], lettre 76, pour Samuel Desmarets.

  4. Dans Thou fr, les deux références citées ici correspondent :

    1. au livre xciv, année 1589 (volume 10, page 530),

    2. et au livre cxvii, année 1596 (volume 13, pages 54‑55).

  5. Imprimé Buzne dans le Pithœana : François Pithou, auteur de la présente note, était sieur de Bierne, comme il est écrit dans la bordure de son portrait.

  6. « Du dieu de Socrate » est l’un des écrits d’Apulée (v. note [33], lettre 99) qui a survécu au temps. V. supra note [46] pour Gabriel Naudé sur cette curiosité socratique.

  7. « sans jamais l’horrifier, mais seulement pour l’empêcher » : latin que citait plus haut le Patiniana (v. supra note [46]).

48.

Cette Sœur Augustine est intervenue dans un obscur épisode de la vie de Jacques i Cujas (mort en 1590, v. note [13], lettre 106). On la lit, sous forme d’une allusion laconique dans le Pithœana (page 502) :

« J’ai brûlé le procès contre Monsieur Cujas pour le fait de sœur Augustine. »

La Vie de Pierre Pithou ; avec quelques mémoires sur son père et ses frères de Pierre-Jean Grosley (1718-1785) {a} a donné quelques détails sur cette affaire, sans pour autant l’éclaircir (tome 2, pages 162‑163) :

« François Pithou partagea en 1590 la douleur de son frère {b} sur la mort de Cujas. Ce grand homme, que l’on peut appeler le Descartes de la jurisprudence, leur était également attaché ; le commerce et les liaisons qu’il entretenait avec eux leur étaient communs ; cependant, il ne se souvint que de François dans le testament qu’il fit quelques heures avant sa mort. Ce dernier dut sans doute cette distinction à un service important qu’il lui avait rendu, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même en ces termes : J’ai brûlé le procès de M. Cujas pour le fait de Sœur Augustine. Parmi une foule d’écrivains qui ont écrit la vie de Cujas, je n’en connais aucun qui ait parlé de ce fait, dont les circonstances détaillées ne peuvent rien diminuer de la gloire du grand Cujas. » {c}


  1. Paris, Guillaume Cavelier, 1756, 2 tomes in‑12.

  2. Pierre i Pithou (v. note [4], lettre 45).

  3. Avec ce commentaire du juriste Jacques Berriat-Saint-Prix dans son Histoire du Droit romain, suivie de l’histoire de Cujas (Paris, Fanjat et Langlois, 1821, in‑8o), page 552 :

    « Voilà tout ce que nous savons sur cette anecdote, et Grosley […] aurait mieux fait de garder le silence que de fournir des aliments à la malignité en n’en rapportant pas les circonstances, s’il les connaissait.

    Nous pouvons toutefois remarquer que dès que François Pithou, élève et ami de Cujas, a pu brûler le procès intenté contre son professeur, il fallait : 1. que l’affaire eût été terminée par une transaction car, autrement, Sœur Augustine ne se serait pas dessaisie de ses papiers ; 2. qu’elle ne fût pas très importante ; soit parce que Cujas, après avoir retiré les mêmes papiers, au lieu de les détruire ou, au moins, les conserver lui-même, les confiait à un homme moins âgé que lui de 20 ans ; soit parce que celui-ci parla de cette destruction de papiers, tandis qu’il aurait sans doute gardé le silence s’il avait pensé que la connaissance du différend pût nuire à la mémoire de son maître et ami. »


Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

49.

« Ne pouvant égaler un si grand père en intelligence, la fille a fait comme elle a pu avec son corps. »

Les Éloges d’Antoine Teissier (Leyde, 1715, v. note [12] du Faux Patiniana II‑2) contiennent cette addition sur Jacques i Cujas (tome quatrième, pages 74‑75) :

« Cujas épousa en 1557 Madeleine du Roure, fille de François, médecin d’Avignon, et en 1586, Gabrielle Hervé. Du premier mariage naquit Jacques < ii > Cujas, qui promettait beaucoup. En 1573, son père lui dédia ses quatre derniers traités sur l’Africain ; {a} mais Jacques < ii > Cujas mourut fort jeune et fort débauché. Du second mariage, Cujas eut une fille nommée Suzanne. On dit qu’il avait tiré l’horoscope de sa fille et qu’il souhaitait de pouvoir arrêter l’accouchement de sa femme parce que l’étoile n’était pas encore heureuse, ayant lu dans les astres que si sa femme mettait au monde un fils, il mourrait par les mains du bourreau, et que si elle accouchait d’une fille, cette fille serait prostituée. Mais M. Catherinot dit que c’est un conte qu’on a tiré de la Vie de Cardan, et qu’on a appliqué à Cujas. {b} Quoi qu’il en soit, Cujas ne vécut que quatre ans après la naissance de cette fille et ainsi, il n’eut pas le déplaisir de voir sa conduite déréglée. M. de Mérille fit cette épigramme sur l’impudicité de la fille de Cujas,

Viderat immensos Cujaci nata labores
Æternum patri commeruisse decus.
Ingenio haud poterat tam magnum æquare parentem
Filia, quod potuit corpore fecit opus
. {c}

On assure qu’un jour elle fut trouvée avec son second mari faisant tout nus une espèce d’orgie, et sacrifiant un coq devant leur foyer. »


  1. Iac. Cuiacii I.C. ad Africanum reliqui tractatus vi. vii. viii. viiii. : quibus difficillimæ juris quæstiones enodantur ; ejusdem Observationum libri tres, xii. xiii. xiv., quibus multa in jure corrupta et non intellecta restituuntur. His omnibus accesserunt Indices locupletissimi.

    [Reste des traités vie, viie, viiie et ixe de Jacques i Cujas, jurisconsulte, contre Africanu, {i} où sont résolues de très difficiles questions de droit ; avec ses trois livres d’Observations, xiie, xiiie et xive, où Cujas établit bien des points de droit qui ont été corrompus ou mal compris. De très riches index ont été ajoutés à tout cela]. {ii}

    1. Sextus Cæcilius Africanus, jurisconsulte romain du iie s., dont les ouvrages ne nous sont connus que par Aulu-Gelle.

    2. Lyon, imprimerie de la Salamandre, 1573, in‑fo de 237 pages.
  2. Il faut croire que Cujas, le plus éminent jurisconsulte français du xvie s., pratiquait aussi l’astrologie judiciaire (divinatrice).

    Nicolas Catherinot (1628-1688), conseiller au présidial de Bourges, a publié deux opuscules (sans lieu ni nom, in‑4o) sur Cujas : La vie de Mademoiselle Cujas (sans date) et Remarques sur le testament de Monsieur Cujas (2 janvier 1685).

  3. « La fille de Cujas avait vu que les immenses travaux de son père lui valaient une éternelle gloire. Ne pouvant égaler un si éminent géniteur en intelligence, elle a fait comme elle a pu avec son corps. »

    Le Faux Patiniana II‑1 (v. sa note [2]) a cité ce quatrain, attribué à Edmond Mérille (v. infra notule {c}, note [50]), ainsi que l’anecdote de l’horoscope.

  4. Sur la descendance de Cujas, l’éloge de Jacques-Auguste i de Thou, qui a inspiré Teissier, se contentait de dire (Histoire universelle, livre xcix, année 1560, Thou fr, volume 11, page 231) :

    « Cujas ne laissa qu’une fille qui était alors fort jeune, et il ordonna par son testament que ses livres, qu’il avait enrichis de notes écrites de sa propre main et qu’il avait revus sur les meilleurs manuscrits, seraient vendus après sa mort, afin qu’ils tombassent en différentes mains et se dispersassent par ce moyen. Son dessein en faisant cette disposition était d’empêcher que quelques curieux peu habiles ne formassent le projet, à l’occasion de ses remarques dont ils ne prendraient pas le vrai sens, de donner au public quelque ramas mal digéré ; ce qui aurait pu arriver si sa bibliothèque eût tombé entre les mains d’une seule personne : tant il est vrai que ce grand homme, né pour le bien de la société, portait ses soins pour la république des lettres même jusque dans le tombeau. »

50.

« Commenter les œuvres de Cujas » est passé en proverbe (Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des Proverbes et des locutions de la langue française… de Pierre-Marie Quitard, Paris, P. Bertrand, 1842, in‑8o, page 280) :

« Le célèbre juriste Cujas laissa en mourant une fille âgée de treize ans, {a} nommée Suzanne, laquelle fut bien loin d’être aussi chaste que sa patronne. {b} Le président de Thou, qui s’intéressait beaucoup à elle, se hâta de la marier, aussitôt qu’elle eut atteint sa quinzième année, pour prévenir les suites de son tempérament amoureux ; mais il ne put empêcher, dit Bayle, {c} qu’elle ne devançât le mariage ; et depuis ses noces, elle continua si ouvertement ses galanteries que son mari, qui était un honnête gentilhomme, en mourut de chagrin. Elle en épousa un autre, et alla de mal en pis. Les élèves en droit, qui étaient toujours bien reçus chez elle, désertaient l’école pour lui faire la cour. Ils appelaient cela commenter les œuvres de Cujas, et cette expression passa en proverbe pour désigner les privautés des écoliers avec la fille du maître. Le professeur de droit Edmond Mérille, dépité de voir Suzanne Cujas enlever tous les jours quelque étudiant à son cours, fit contre elle cette épigramme latine qui est assez bien tournée. » {d}


  1. V. note [62] du Borboniana 2 manuscrit pour la Vita de Jacques Cujas par Jean-Papire Masson (Paris, 1590), qui lui donne pour seconde femme Anna Hervea ex clara honestaque familia apud Biturigas [Anne Hervé (que Moréri a prénommée Gabrielle), issue d’une famille honnête et renommée de Bourges] (épousée en 1586). Suzanne était donc âgée de 3 ans à la mort de son père, en 1590.

  2. Vierge et instruite, Suzanne de Rome refusa d’abandonner la religion chrétienne pour épouser le fils de l’empereur Dioclétien (iiie s.). Elle fut décapitée pour son indéfectible foi.

  3. Je n’ai trouvé cette anecdote ni dans le Dictionnaire ni dans la Correspondance de Pierre Bayle. Peut-être Quitard l’a-t-il confondu avec Moréri :

    « Du second mariage, Cujas eut une fille nommée Suzanne. C’était une véritable prostituée ; elle faisait gloire de ses dérèglements et elle n’avait pas honte de dire qu’elle prétendait se rendre aussi fameuse par son impudicité que son père était illustre par son érudition. Elle fut mariée à 15 ans, {i} mais le mariage ne la corrigea point. M. de Mérille fit cette épigramme sur l’impudicité de la fille de Cujas… »

    1. D’autres sources disent que le président Jacques-Auguste i de Thou s’occupa personnellement de ce mariage. V. note [63] du Borboniana 2 manuscrit pour ce qu’il advint ensuite de Suzanne.
  4. V. supra note [49] pour cette épigramme latine qu’il me semble excessif de dire « assez bien tournée ».

    Edmond Mérille (1579-1647) était professeur de droit à Bourges, et trop jeune pour avoir été élève de Cujas ; mais ce sont, semble-t-il, ses étudiants qui ont été à l’origine du dicton.


51.

Cette phrase se trouve à l’identique dans le Pithœana (page 503).

Jacques i Cujas n’avait pas trouvé son bonheur, malgré leur titre, dans :

Arnobii Aphri, vetusti pariter ac laudatissimi scriptoris in omnes Psalmos commentarii, iuxta pij ac eruditi. D. Erasmi Roterodami in autorem præfatio ad Adrianum vi Pont. Max.

[Les pieux et tout aussi érudits Commentaires d’Arnobe l’Africain {a} sur tous les Psaumes, à la fois pieux et érudits. Préface de D. Érasme de Rotterdam {b} sur leur auteur, adressée à Adrien vi, {c} souverain pontife]. {d}


  1. V. note [2], lettre 126.

  2. Datée de Bâle le 1er août 1522.

  3. Pape de 1522 à 1523, v. note [26] du Borboniana 7 manuscrit.

  4. Cologne, sans nom, 1532, in‑8o de 6 feuilles, première édition en 1522.

52.

Aimar de Ranconnet (ou Rançonnet, Périgueux 1498-Paris 1559), fils d’un avocat au parlement de Bordeaux, devint lui-même conseiller en cette juridiction, puis monta à Paris, où il fut nommé président en la deuxième des Enquêtes. Il était réputé pour l’immense étendue de son savoir (Popoff, no 347).

Pithœana (page 491) :

« Les quatre plus grands hommes de notre siècle sont Cujas, Ranconnet, Scaliger,Turnèbe ; {a} le reste ne sont que vendeurs de coquilles. {b} […] Ranconnet était pauvre et servit quasi de correcteur à Robert i et à Charles Estienne. Le Dictionnaire de Charles Estienne est de lui. {c} Sa fille est morte sur un fumier, son fils exécuté, sa femme du tonnerre, {d} et lui en prison.

Ranconnet se fit mourir d’avoir trop mangé, puis mit un marbre sur son ventre. {e}

Quand je serai mort, on dira que j’ai été sorcier en ma Loi Salique. » {f}


  1. Celui des deux Scaliger que François Pithou admirait le plus était Jules-César, le père (v. note [5], lettre 9). V. note [20], lettre 392, pour Turnèbe (Adrien Tournebœuf)

  2. Coquille « se dit figurément de toute sorte de marchandise dont on trafique. Ce marchand vend bien ses coquilles. “ À qui vendez-vous vos coquilles ? À ceux qui reviennent de Saint-Michel ! ” : se dit aux vendeurs qui croient que les acheteurs ne connaissent pas le prix de ce qu’ils marchandent » (Furetière).

  3. V. notes [7], lettre 659 pour le Dictionarium latin de Robert i Estienne (Paris, 1536), et [2], lettre 755 pour son frère Charles, qui a participé à plusieurs de ses rééditions et publié son propre Dictionnaire français latin, autrement dit Les mots français avec les manières d’user d’iceux, tournés en latin (Paris, Robert Estienne, 1549, in‑4o).

    Le seul ouvrage imprimé portant la signature de Ranconnet, avec celle de Jean Nicot, est le Trésor de la Langue française (Paris, 1606, v. note [24], lettre 1019).

  4. « On dit qu’un homme mourra sur un fumier, quand on lui voit faire des dépenses excessives qui le ruinent » (Furetière). Pour la fille de Ranconnet, il s’agissait apparemment plutôt de débauches incestueuses que de dépenses, mais cela n’est pas avéré.

  5. V. note [62] du Borboniana 5 manuscrit pour un commentaire médical sur cette curieuse manière de se suicider.

  6. Euphémisme pour dire : « j’ai commis l’inceste » en séduisant (ensorcelant) ma fille (que la loi salique excluait de l’héritage de son père, v. note [15], lettre 739).

    Dans son éloge d’Aimar de Ranconnet, {i} Scévole i de Sainte-Marthe {ii} a ainsi évoqué son funeste destin, sans qualifier précisément le crime dont il fut accusé ni évoquer l’éventualité d’un suicide (pages 52‑53) :

    Is enim Burdigalæ Senatu posthabito in Parisiensem venit, ubi Consiliarii primum, deinde Præsidis æquissimi scientissimique partes implevit. Eo maiori nominis claritudine, quod in eo certatim elucerent hinc Senatoria purpura, illinc politiorum literarum splendor. Sed hæc omnia fati malignitas obscuravit. Nam inter reos delatus et malevolorum coniuratione in extremum capitis fortunarumque discrimen vocatus est : neque illi festina mors purgandi sui locum reliquit. Qua calamitate domus tanti viri percussa, non opum modo iacturam fecit, sed earum etiam rerum, quæ nullo precio parari possunt ac restitui. Nam quæcunque aut collegerat, aut in veterum auctorum difficiliores locos adnotaverat, magno re literariæ detrimento perierunt. Adnotaverat autem plurima, primusque novam et insolentem scrutendæ antiquitatis viam studiosis aperuerat. […] Periit senx meliore fortuna dignus ex impotenti dolore animi vincula et carcerem indignantis. Cui vita functo Renatus Faber avunculus meus ex Senatorum Ordine in Præsidii dignitatem successit, cum annus esset eius seculus quinquagesimus nonus.

    Traduction enjolivée, mais sémantiquement fidèle, de Guillaume Colletet, {iii} livre i, pages 120‑123 :

    « Il quitta le parlement de Bordeaux pour être conseiller au Parlement de Paris, où il fut ensuite honoré d’une charge de président, qu’il exerça avec autant de suffisance et de sincérité qu’on peut en espérer d’un juge aussi savant qu’équitable. Ce qu’il faisait avec d’autant plus de bruit et de réputation qu’il semblait que la pourpre éclatante de sénateur et la splendeur des belles-lettres tâchaient à l’envi de reluire en sa personne. Mais toutes ces brillantes marques d’honneur furent bientôt ternies par les disgrâces de la fortune, et par son malheur propre. Car il advint que de certaines gens, qui le haïssaient et à qui peut-être sa gloire donnait de l’ombrage, l’accusèrent d’un crime horrible et capital, et le faisant mettre prisonnier comme s’il eût été coupable, le mirent en danger de perdre honteusement et la vie et les biens. Mais certes, il fut en cela estimé d’autant plus malheureux que la mort qui le surprit inopinément ne lui donna pas le temps de se justifier de cette noire accusations. La perte de ce grand homme confondit et ruina de telle sorte toute sa famille qu’elle ne perdit pas seulement toutes ses richesses, mais qu’elle perdit encore des choses que tous les trésors du monde ne sauraient jamais payer ; puisqu’au grand dommage de la république des lettres, toutes les doctes remarques qu’il avait faites sur les passages les plus obscurs et les plus difficiles des anciens auteurs furent ensevelies dans le désastre général de sa maison. […] La douleur qu’il conçut de se voir dans les fers d’une honteuse prison toucha si vivement son esprit que, n’ayant pas assez de force pour digérer cet affront, il mourut de tristesse et d’ennui, étant déjà fort âgé, mais bien digne, après tout, d’une meilleure fortune. René Le Fébure, nom oncle, qui était conseiller à la Cour, succéda lors à sa charge de président, l’an 1559. »
    1. V. notes [52] et [53] du Patiniana I‑4.

    2. Gallorum doctrina illustrium Elogia… [Éloges des Français illustres pour leur savoir…], Poitiers, 1606, v. note [13], lettre 88.

    3. Paris, 1644, v. note [13], lettre 88.

Jacques-Auguste i de Thou a aussi rendu hommage à cet extraordinaire personnage (Thou fr, livre iii, année 1559, règne de François ii, volume 3, pages 417‑418) :

« Une littérature universelle, une connaissance exacte de l’Antiquité sacrée et profane, et de toutes les sciences, sans en excepter aucune, faisaient avec justice admirer Ranconnet. Il possédait au plus haut degré toutes ces sciences, dont une seule eût rendu le nom d’un autre illustre à la postérité. Il fut le premier qui puisa dans les sources du droit romain. Son goût par rapport aux belles-lettres se forma par la lecture des auteurs grecs et latins. Il savait à fond la philosophie et les mathématiques : rien n’échappait à la vivacité de son esprit et à la justesse de son jugement. Il fut d’abord conseiller au parlement de Bordeaux et eut ensuite une charge de second président aux Enquêtes {a} du Parlement de Paris, qu’il exerça avec une grande réputation ; jusqu’à ce que, nos démêlés sur la foi ayant excité des troubles, il fut enveloppé dans les malheurs où tant de grands hommes se trouvèrent engagés ; quoique le crime énorme, qu’on lui imputa faussement, n’eût aucun rapport à la religion. {b} Ayant été conduit à la Bastille (comme il l’avait prévu depuis longtemps, par la connaissance qu’il avait de l’astrologie judiciaire, qu’il avait étudiée avec Jérôme Cardan), il y finit ses jours à l’âge de plus de soixante ans, par un genre de mort extraordinaire. {c}

Au reste, le président Ranconnet n’a presque fait aucun ouvrage ; mais il a fourni aux autres des matériaux pour écrire ; ayant laissé un grand nombre de livres imprimés ou manuscrits, enrichi des savantes notes qu’il avait faites sur chaque ouvrage. {d} Plusieurs doctes de ce siècle-ci ont profité heureusement de ces remarques, et nous ont donné des écrits puisés dans ces notes, lesquelles leur ont fait beaucoup d’honneur et ont été très utiles au public. Quelquefois ils le citent par reconnaissance, mais souvent ils n’en disent rien. À voir Ranconnet, qui était dissipé par plusieurs affaires, on n’aurait pas cru qu’il se fût donné tout entier aux lettres. Voici comme il arrangeait ses études : après un léger souper, il se couchait pour peu de temps et se levait après le premier sommeil, à l’heure où nos moines (dont il louait fort les mœurs et la règle, surtout par rapport à sa santé) chantent matines ; {e} comme eux, il s’enveloppait la tête d’une espèce de capuchon, habillement qu’il trouvait fort commode pour garantir du froid les épaules et la tête ; alors, il passait quatre heures à étudier et à méditer sur ses lectures. Il disait qu’il était étonnant combien il faisait de progrès dans l’étude en un temps où l’esprit est épuré par un premier repos, où les idées sont nettes, à la faveur du silence de la nuit, et où de profondes réflexions ne sont point interrompues ; ce qui ne peut être durant la journée. Il ajoutait que cela contribuait aussi à la santé parce que lorsqu’on est levé, il est facile d’évacuer la pituite qui sort du cerveau après le premier sommeil, laquelle se condense si vous continuez à dormir, s’attache à l’estomac et engendre, dans la suite, des humeurs nuisibles qui attaquent surtout les gens de cabinet. Puis il se remettait au lit, et après un sommeil paisible de quelques heures, il achevait heureusement ce qu’il avait médité pendant la nuit. Ensuite, il remplissait les différents devoirs de sa charge et de la vie civile. Il écrivait parfaitement en grec et en latin, comme on le voit par les excellentes notes qu’il a faites sur une infinité de livres en tout genre, lesquels ont été dispersés après sa mort et sont aujourd’hui entre les mains des savants. On est charmé en les lisant de la beauté de son écriture, et des recherches rares et curieuses qu’on y trouve. »


  1. Erreur de traduction, pour « président en la deuxième des Enquêtes ».

  2. Thou écartait l’hérésie priscillianiste (v. infra note [53]) comme cause de la condamnation de Ranconnet.

  3. V. supra notule {e} pour ce que François Pithou a laissé entrevoir de la condamnation et de la mort infamantes qui frappèrent Ranconnet.

  4. On peut feuilleter sur Gallica un exemplaire latin de l’Histoire naturelle de Pline (Paris, Galliot Du Pré, 1532, in‑fo) entièrement couvert des annotations manuscrites de Ranconnet.

  5. « Office de l’Église qu’on dit de grand matin, quelquefois à minuit, et quelquefois la veille » (Furetière). La règle stricte les place entre minuit et le lever du jour.

Barnabé Brisson, « seigneur de La Boissière, né à Fontenay-le-Comte, en Poitou, fut d’abord avocat plaidant au Parlement de Paris, où il se distingua tant que le roi le pourvut, l’an 1570, de la charge d’avocat général au même Parlement, qu’il exerça jusqu’au < blanc > août 1580, qu’il fut reçu président à mortier. Il fut contraint par les ligueurs de prendre la charge de premier président d’Achille de Harlay, prisonnier à la Bastille [v. note [19], lettre 469]. Les plus furieux de la Ligue se saisirent de lui et l’enfermèrent en prison où < ils > l’étranglèrent cruellement, il mourut le 13 novembre 1591 » (Popoff, no 68). V. note [57] du Borboniana 10 manuscrit pour la manière dont la veuve du président Brisson vengea l’inique exécution de son mari.

Les raisons et le circonstances de sa sinistre fin se lisent en grand détail dans Thou fr, livre cii, année 1591, règne de Henri iv (volume 11, pages 440‑444) : il fut « pendu à une échelle attachée à une poutre » avec deux de ses collègues ; puis « les corps de ces trois magistrats ayant été tirés le lendemain de la prison, furent attachés à trois gibets devant l’Hôtel de Ville, dans la place de Grève, avec des écriteaux contenant des faussetés. Après avoir été exposés pendant deux jours à la fureur de la populace, enfin, quelques amis les enlevèrent durant la nuit et leur donnèrent la sépulture. »

« Ses Formules sont de Ranconnet » (Pithœana, page 492) : Brisson a laissé plusieurs ouvrages dont les De Formulis et sollemnibus populi Romani verbis libri viii [Huit livres des Formules et des expressions coutumières du peuple romain] (Paris, Sébastien Nivelle, 1583, in‑fo), précieux et copieux lexique pourvu de deux index. Mon œil s’est arrêté sur cette limpide explication du mot Vale qui se lit communément à la fin des lettres latines (page 846) :

Atque ut Epistolarum principiis salutem adcribere moris erat, ita et eas publico et communi verbo vale claudebant. Quod quia notius est quam ut exemplis firmari debeat, unum Ovidium testem citabo qui lib. v. Trist. Eleg. xiii.

Accipe, ait, quo semper finitur epistola, verbo,
Atque meis distent, ut tua fata, vale.

[Puisqu’il était habituel d’adresser ses salutations au début des lettres, on les terminait par vale, {a} mot commun de tous les jours. Cela est fort connu, mais si je dois le prouver, je citerai le témoignage d’Ovide, qui dit au livre v des Tristes, élégie xiii :

Reçois ce mot qui finit toujours les lettres, et puisse ta destinée être différente de la mienne, vale]. {b}


  1. Impératif présent singulier (car le latin ignore le vouvoiement), parfois employé au pluriel (Valete), pour s’adresser à plusieurs personnes, du verbe valere, « être fort, en bonne santé », qu’on peut traduire par « adieu » ou, plus fidèlement à mon avis, par « porte-toi bien » ; « santé » aurait été meilleur encore, s’il ne s’était vu tôt et exclusivement réservé à la « cérémonie de table, lorsqu’on s’adresse, avant que de boire, à quelqu’un, pour lui dire qu’on va boire à son honneur ou à son intention, ou < à celle > de quelque autre personne, présente ou absente, et lorsqu’on l’invite à en faire raison, c’est-à-dire à en faire autant » (Furetière).

  2. Deux derniers vers (33‑34) de l’élégie citée.

L’intérêt de Guy Patin pour Ranconnet venait peut-être de ce que lui en avait raconté Nicolas Bourbon : v. notes [61] et [62] du Borboniana 5 manuscrit.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

53.

Pithœana (page 493) :

« Ranconnet fut mis en prison à cause que le cardinal de Lorraine, {a} voulant reconnaître les opinions de la Cour {b} touchant les punitions des hérétiques, la fit assembler ; et là, Ranconnet porta Sulpice Sévère et leur lut le lieu là où il est parlé du fait de Trèves de Priscillian en la Vie de saint Martin. »


  1. Louis de Guise, cardinal de Lorraine (v. note [11], lettre latine 75) était le meneur religieux des ligueurs. Il fut assassiné en même temps que son frère, Henri ier le Balafré, à Blois en 1588.

  2. Ce qu’il restait du Parlement de Paris, alors en complète déconfiture.

Une note de Pierre Des Maizeaux, éditeur du Pithœana (pages 493‑494) précise les faits :

« Sulpice Sévère {a} nous apprend que saint Martin, {b} étant allé à Trèves, {c} s’opposa à la violence d’Ithacius et de quelques autres évêques qui persécutaient les hérétiques, {d} et qu’il supplia l’empereur Maxime {e} de ne pas répandre le sang des ces malheureux. Il ajoute que tant que saint Martin demeura à Trèves, on ne procéda point contre eux, et que lorsqu’il partit, il fit promettre à Maxime qu’il ne les ferait point mourir ; mais qu’après son départ, Magnus et Ruffin, {f} évêques, ayant perverti ce prince, il condamna à la mort Priscillien et ceux de son parti, lesquels furent exécutés. Sulpice Sévère remarque ensuite que la mort de Priscillien, bien loin d’éteindre l’hérésie, ne fit que lui donner de nouvelles forces ; et que ceux qui avaient regardé Priscillien comme un saint pendant sa vie l’honorèrent comme un martyr après sa mort. » {g}


  1. Sulpice Sévère (vers 360-vers 420) est un écrivain ecclésiastique latin, natif d’Aquitaine, qui a laissé plusieurs ouvrages dont une Vie de saint Martin. le passage cité par Des Maizeaux est extrait du livre ii de son Historia sacra, chapitres l-li, pages 289‑293 des Sulpicii Severi quæ exstant Opera omnia, in duos tomos distributa ; quorum prior continet antehac edita cum notis Joannis Vorstii, alter Epistolas antea cum reliquis operibus nondum editas ex recensione et cum notis Joannis Clerici [Toutes les Œuvres connues de Sulpice Sévère réparties en deux tomes : le premier contient ce que Johannes Vorst (théologien protestant allemand, 1623-1676) a précédemment publié et annoté ; le second, les lettres et autres écrits, jamais publiés jusqu’ici, édités et annotés par Jean Leclerc (théologien protestant genevois, 1657-1736)] (Leipzig, Thomas Fritsch, 1709, 1 volume in‑8o).

  2. Saint Martin (Savaria, Hongrie 316-Candes, Touraine 397) est le très fameux légionnaire romain qui coupa son manteau pour en donner la moitié à un mendiant, puis devint évêque de Tours. Ayant dû en bonne partie son renom à Sulpice Sévère, il est le saint que l’Église catholique fête le 11 novembre (Saint-Martin d’hiver).

  3. Augusta Treverorum, colonie romaine fondée au ier s. av. J.‑C. sur les rives de la Moselle.

  4. L’hérésie de priscillianistes (Thomas Corneille) : « ainsi appelés de Priscillianus, [Priscillian ou Priscillien, évêque d’Avila] ils semèrent d’abord leur hérésie en Espagne sous l’Empereur Gratien trois cent quarante-huit ans après Jésus-Christ, et qui la répandirent ensuite dans tout l’Occident. Ils confondaient les Personnes de la Trinité, avec les sabelliens, et enseignaient avec les origénistes que les âmes des hommes étaient créées en quelque endroit du Ciel avant les corps ; avec les manichéens, qu’elles faisaient partie de l’essence divine, et que le monde avait été créé d’un méchant Dieu ; avec les astrologiens, que toutes nos actions dépendaient des étoiles ; et avec les stoïciens, que nous étions nécessités à pécher. Ils rejetaient avec les gnostiques les anciens prophètes comme gens qui n’avaient pas pénétré dans la volonté de Dieu, et condamnaient aussi, avec eux, le mariage ; et avec les encratites, l’usage de la chair. Ils permettaient le mensonge, avec les andiens, et même le parjure dans les affaires de la religion. »

    À quoi le Dictionnaire de Trévoux ajoute que : « Priscillianus, homme laïque qui était leur chef, fut condamné avec quelques évêques de sa secte dans un concile de Saragosse [en 380] ; il fut encore condamné dans un autre concile tenu à Bordeaux ; mais ayant appelé à l’empereur Maxime, il fut écouté dans la ville de Trèves, et ayant été convaincu d’introduire des nouveautés dans la religion, il fut condamné à mort [en 385] avec plusieurs autres qui suivaient ses sentiments. »

    Ithacius (Ithace) était évêque d’Ossonoba en Lusitanie (ancien nom de Faro, au sud du Portugal).

  5. Empereur romain chrétien d’Occident, Flavius Magnus Maximus a régné de 384 à 388. Il avait installé sa capitale à Trèves (v. note [30] du Grotiana 2).

  6. Magnus et Rufinus sont deux évêques ennemis de Priscillien, que je n’ai pas mieux identifiés.

  7. Cette citation est suivie de sa source latine qu’elle a très fidèlement résumée.

Le président de Thou a écarté la responsabilité de cette audace religieuse de Ranconnet comme cause de son fatal emprisonnement (v. 2e notule {b}, note [52] supra) ; il faut donc s’en tenir à l’accusation (réputée injuste) de mœurs inavouables (incestueuses).

54.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne. Il reprend mot pour mot du Pithœana (pages 512‑513), mais elle est tronquée en deux endroits. Voici le texte exact de l’écriteau que les Alde (Aldo Manuzio et son fils Paolo, v. note [16], lettre latine 38) avaient placé à l’entrée de leur imprimerie vénitienne :

Quisquis es : rogat te Aldus etiam :
atque etiam ut, si quid est, quod a
se velis perpaucis agas : deinde
ac tutum abeas : nisi tanquam Her-
cules, defesso Atlante : veneris sup-
positurus humeros. Semper enim
erit quod et tu agas : et quotquot
huc attulerint pedes
. {a}

[Qui que tu sois, Alde te le demande instamment : si tu veux quelque chose de lui, sois très bref et ensuite, va-t’en prudemment ; à moins que, comme Hercule fit pour Atlas épuisé, {b} tu ne viennes me prêter tes bras, car il y aura toujours de quoi faire ici pour toi, et pour tous ceux qui y mettront les pieds]. {c}


  1. J’ai transcrit en romain les quatre mots tronqués par les Pithœana et par le Patiniana, et rétabli la ponctuation originale.

  2. Dans le 11e de ses Travaux, Hercule (v. note [3], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 21 octobre 1663) doit voler les pommes d’or du jardin des Hespérides : leur père (ou leur oncle, v. notule {a}, note [28], lettre 1019) Atlas, gardien du lieu, qui porte le ciel sur ses épaules (v. note [3], lettre de Neuhaus datée du 24 juin 1663), demande à Hercule de le soulager de sa charge pendant qu’il va cueillir les fruits pour lui ; de retour, Atlas refuse de reprendre son fardeau, mais une ruse d’Hercule lui permet de remettre le ciel sur le dos d’Atlas et de s’enfuir avec les pommes.

  3. Alde Manuce vantait ainsi sa réputation d’être inépuisable au travail et de manquer constamment de main-d’œuvre pour imprimer ses livres.

55.

Pithœana (page 509) :

« Le Commentaire sur les Épîtres ad Atticum de Manuce, {a} est de Janus Parrhasius. » {b}


  1. V. note [38] du Patiniana I‑1 pour les Commentarii in epistolas Ciceronii ad Atticum [Commentaires sur les lettres de Cicéron à Atticus] de Paul Manuce (1561).

  2. Bayle a consacré un article à l’humaniste italien Janus Parrhasius (Giovan Paolo Parisio ou Aulo Giano Parrasio, 1470-1522), qui a donné des éditions commentées de nombreux auteurs latins de l’Antiquité. On l’a accusé d’avoir aimé « impudiquement ses écoliers » et « d’avoir cité des auteurs qu’il n’avait point vus ». Bayle ne dit rien de son travail sur Cicéron et de ses relations avec les Alde.

56.

Dans sa section intitulée Quelques mots de M. Le Fèvre, {a} précepteur du roi Louis xiii, le Pithœana relate différemment (mais de manière plus confuse) la même anecdote (pages 519‑520) :

« Lui demandant si l’Eunapius Rhetor de l’Histoire des Huns était perdu, {b} et que le P. Sirmond m’avait dit qu’il avait un mémoire de Fulvius Ursinus des livres manuscrits des bibliothèques d’Italie, là où cet Eunape était, mais que Fulvius ne marquait que la première lettre de la Bibliothèque du Vatican, et l’avait demandé (étant en délibération de le faire imprimer) au cardinal Sirlet, {c} qui était bibliothécaire, lequel lui dit que le pape l’avait défendu, et que c’était un libro empio e scelerato. » {d}


  1. Le philologue français Nicolas Le Fèvre (1544-1612), sans lien avec son homonyme (v. note [17], lettre 311), était « distingué par son savoir et son mérite. Il eut des liaisons particulières avec Pierre [i] Pithou et demeura plusieurs années dans sa maison » (note de Pierre Des Maizeaux).

  2. Pour les Huns, par crainte d’être anachronique sur ce qu’on en disait alors, je m’en tiendrai à citer le Dictionnaire de Trévoux :

    « Les Huns, anciens peuples de la Sarmatie Européenne, {i} Hunnus, Hunus, habitaient auprès des Palus Meotides ; {ii} mais ensuite ils s’établirent dans la Pannonie. {iii} Attila {iv} en conduisit une partie en Allemagne, en Italie et en France, où ayant été défaits par Mérovée, roi de France, et par Aetius, général des Romains, {v} ils se retirèrent derechef dans la Pannonie, qui prit le nom de Hongrie : ou de ces Huns, ou, selon d’autres, des Hongres, nation scythe {vi} qui subjugua les Huns, et se confondit avec eux. “ Les Huns, peuples des Palus Meotides, désolèrent tout l’univers avec une armée immense, sous la conduite d’Attila, leur roi, le plus affreux de tous les hommes ” (Bossuet). “ Les Huns, qui habitaient près de l’océan Scythique, {vii} avaient fait éclater leur nom sous Attila ” (D’Ablancourt). “ Les Huns passèrent les Palus Meotides, s’étendirent jusques au Danube, et obligèrent les empereurs d’Orient à leur payer tribut. Sous Théodose le Jeune, {viii} ils pillèrent la Thrace et l’Illyrie, {ix} et ensuite l’Achaïe et le reste de la Grèce. En 451, leur roi Attila, ayant soumis plusieurs autres rois barbares et assemblé jusqu’à cinq cent mille hommes, passa de la Pannonie dans la Gaule, et la ravagea. »

    1. L’Ukraine, v. note [7], lettre latine 83.

    2. La mer d’Azov, v. note [20], lettre 197.

    3. Actuelle Hongrie.

    4. Roi des Huns de 434 à 453, v. note [89] du Faux Patiniana II‑7.

    5. Mérovée, fondateur de la dynastie franque des Mérovingiens, aurait régné de 448 à 457.

      Aetius, sénateur romain et général en chef des armées de l’Empire d’Occident (mort en 454) a défait Attila lors de la bataille des champs Catalauniques en 451.

    6. V. note [19], lettre 197, pour les Scythes.

    7. La mer Caspienne (v. note [24], lettre 197).

    8. Théodose ii, dit le Jeune, empereur romain d’Orient, a régné de 408 à 450 ; il est auteur du Code théodosien (v. note [10], lettre 736).

    9. V. note [23], lettre 197, pour la Thrace antique. Elle était bordée à l’ouest par l’Illyrie (actuelle Albanie).

    Fils d’Oribase (v. note [9], lettre latine 61), Eunape de Sardes, dit le Rhéteur, est un médecin, philosophe néoplatonicien (v. note [46] du Borboniana 7 manuscrit) et historien grec du iveve s., ennemi du christianisme, qui a laissé un ouvrage de Vitis Philosophorum et Sophistarum [des Vies de philosophes et de sophistes], dont la première édition grecque et latine date de 1568 (Anvers, Christophe Plantin, in‑8o). Il ne subsiste que des bribes de son Histoire des Césars. Son Histoire des Huns (qui émergèrent en Europe orientale du vivant d’Eunape) n’a pas été imprimée en tant que telle, mais il est question d’eux dans le premier des Fragmenta de legationibus [Fragments sur les ambassades], Ex Historia Eunapii Sardiani [Extrait de l’Histoire d’Eunapius de Sardes] (pages 15‑22), que contient le recueil du P. Philippe Labbe (v. note [11], lettre 133), intitulé De Byzantinæ Historiæ Scriptoribus… [Des Écrivains de l’histoire byzantine…] (Paris, Imprimerie royale, 1648, in‑4o).

  3. V. supra note [43] pour le P. Jacques Sirmond (1559-1651), qui a séjourné à Rome au début des années 1580, où il a pu s’entretenir avec l’antiquaire romain Fulvio Orsini (Fulvius Ursinus, 1529-1600, v. note [11], lettre 736) et avec le cardinal Guglielmo Sirleto (Guillaume Sirlet, promu en 1565), bibliothécaire de la Vaticane de 1572 à sa mort (en 1585, v. notes [42] et [43] du Naudæana 2).

    On ne sait pourquoi (autre information ou erreur de copie) la narration du Patiniana a substitué Marc-Antoine Muret (1526-1585, v. note [31], lettre 97) au P. Sirmond (dont il sera question dans l’article suivant, où il est accusé de vol).

  4. « un livre impie et scélérat. »

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

57.

Les deux derniers articles du Patiniana ne se lisent ni dans le manuscrit de Vienne ni dans le Pithœana.

58.

« de savoir s’il a montré plus de talent à écrire ou plus de bonheur à faire des enfants » : v. notule {c}, note [6], lettre 159.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : Patiniana I-4 (1701)

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(Consulté le 02/05/2024)

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